vendredi, janvier 12, 2007

L'élévation du désir

La longue lutte de l'homme pour se maintenir dans le monde a son prix : l'impitoyable éducation de son désir vers des formes qui le reliaient au divin (quelles que soient les définitions proposées). Il fallait éduquer impitoyablement pour s'élever. Sans éducation, ce n'est pas que le désir tournait mal - c'est qu'il tournait à vide.
Quel est le but ultime du désir? Exactement rien. Le désir est un formidable moteur sans autre fin en vue que son fonctionnement. L'animal s'est constitué sur l'évidence : l'éducation supposait l'imitation et la discipline. L'homme, cet animal étrange, ne peut vivre en simple imitateur. La mimesis chez lui aboutit à la décrépitude. L'évolution et l'amélioration sont ses raisons de vivre. Peut-être est-ce la conscience accrue de l'imperfection du monde qui l'amène à se déterminer comme capable d'apporter un correctif à l'ordre des choses (le monde est-il imparfait en tant que tel? Je laisse à Leibniz le soin de répondre à cet épineux sujet).
Il serait temps de se demander sérieusement si l'homme est libre de changer les choses - ou si le changement est déjà déterminé dans les choses. En attendant, l'homme contemporain vit sous le réfime de la démocratie capitaliste. Serait-ce une évolution appelée à se mondialiser, pour reprendre un vocable à la mode? Ou la démocratie n'est-elle qu'une anecdote avant le retour du totalitarisme? A moins que la démocratie n'annonce, de manière apocalyptique, la fin des temps et l'avènement d'un ordre minéral nouveau ou du règne des araignées.
En attendant que se dénouent ces graves et terribles questions, il reste l'art pour juger de l'époque. Le totalitarisme a produit régulièrement les chefs-d'oeuvre de notre histoire millénaire. Depuis que la démocratie a succédé à la monarchie en Occident, qu'est devenu l'art?
Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne s'est pas libéré. La fin de la bourgeoisie consiste précisément à nier la création pour affirmer le règne et la fin de l'imitation. En ce sens, la bourgeoisie incarne le règne de l'ordre et la croyance au sens absolu. Le monde d'aujourd'hui ne pense plus qu'en terme d'économie, d'argent, de capitalisme. Le réel est représenté par l'idéologie dominante comme fini et absurde. On peut même redouter que la force finise par prédominer sur les bons principes à la longue. Soit dit en passant : si les bons principes se sont édifiés, c'est que leur socle n'était nullement absurde, mais en lien avec autre chose. Quoi?
C'est un autre débat. Le système actuel a substitué l'apparente démocratisation des esprits à l'aristocratie inégalitaire et séculaire. Sur le fond, on ne peut qu'être en accord avec cette inclination. L'époque aurait dû engendrer une popularisation des productions artistiques et rendre la créativité accessible au plus grand nombre.
En guise de popularisation, je crains fort que le système ait accouché d'une paupérisation. Existe-t-il encore des arts forts et majeurs de nos jours? Sous prétexte de libérer l'élan créateur, n'a-t-on pas réussi l'exploit inverse de ruiner la supériorité de la création sur l'imitation?
Ce n'est pas qu'il n'existe plus d'authentiques artistes. Mais ils ne sont pas plus mis en avant qu'avant. C'est même l'inverse qui est vrai : car la mercantilisation s'est attaquée par hasard à l'art. L'ennemi du marché comme idéologie, c'est l'art. L'art n'est pas réductible à l'état d'objet. Le système dominant s'est échiné à ravaler les productions à des sommes quantifiables. Que l'on juge ce qui s'est produit avec les spéculations effroyables sur les tableaux de glorieux artistes comme Van Gogh ou d'autres. Le marche de l'art signifiait : la valeur de ce tableau est très élevée puisque certains acheteurs sont prêts à débourser des fortunes pour l'obtenir.
A cette gageure, il faut répondre qu'une oeuvre d'art est l'expression du vivant et que la vie n'a pas de prix. C'est aussi rappeler que la vie n'a pas de sens parce que le sens n'est qu'une émanation réduite d'une forme marginale de réel. Aujourd'hui, que sont devenues nos cathédrales et nos églises? Elles s'élèvent avec majesté pour nous rappeler que l'homme édifiait des constructions sublimes pour dialoguer avec les Cieux. Les HLM et les tours de Babel-béton les ont remplacées pour signifier que l'époque est à l'efficacité.
L'écriture a laissé place à l'édition. La télévision, la chanson populaire, le cinéma se signalent par des productions (dans leur écrasante majorité) infâmes. Si seulement elles n'étaient que mauvaises! On pourrait arguer que mille ratés ont toujours été nécessaire pour édifier un succès. Le drame est probablement que le raté soit devenu la fin. En tant que tel, les arts dits populaires ne sont pas mauvais. Il suffit d'écouter Brel ou Brassens pour apporter un démenti flagrant aux ahannements de Gainsbourg ravalant la chanson à un art mineur. Les siennes, sûrement! Celles du rap aussi.
Ce que la massification a apporté d'illusion pernicieuse et majeure, c'est que la satisfaction était possible sans effort. Héraclite avait eu la sagesse de mettre en garde contre ce penchant : Mieux vaudrait pour les hommes que n'advienne pas ce qu'ils désirent. Si l'horizon démocratique du désir est le contentement à peu de prix, les garde-fous qui permettaient d'élever le désir sont niés.
1-On part du principe que la satisfaction est possible.
2-On fixe une fin assignable à cette satisfaction. C'est l'horizon de la finitude qui est un horizon à peu de prix.
Que vaut une époque? On reconnaît sa valeur à ses fins. En l'occurrence, la nôtre a réussi le tour de passe-passe de substituer les moyens aux fins. Tandis que l'argent devenait le but de l'éducation et de la réussite, le but de la vie était la négation de l'effort. Le slogan : Consommez! est le manifeste en faveur de la facilité et de l'idéologie du Bonheur.
La décadence rôde quand la souffrance est niée. A présent que la télévision est devenue le moyen d'expression généralisé, il est frappant de constater le message que ce moyen de communication véhicule. La télévision est symptomatique de l'époque. Ce que nous dit la télévision n'est pas anodin. Il suffit de se coucher un peu tard pour apprendre que les émissions de qualité existent.
Justement, le postualt de l'époque est clair : il s'agit de faire croire au plus grand nombre que l'existence coule de source et que n'importe qui peut devenir artiste. L'effort est discrédité comme une tare rédhibitoire. Ce discours est hypocrite et pervers, l'effort se trouvant d'autant plus nié qu'il s'agira de rétablir en douce le travail et la concurrence.
Ce paradoxce apparent n'en est pas un si l'on s'avise que le travail renvoie à la répétition infinie de l'action, quand l'effort suppose un dépassement qualitatif vers quelque chose d'autre que du fini et du sécable. Autrement dit : les puissants de notre époque, bien secondés par les slogans des publicitaires, ont abaissé les exigences du désir pour mieux l'exploiter.
Le pire est qu'ils n'ont pas conscience de leur démarche, puissamment guidé par la vulgarité dominante de leur mimétisme étriqué. Il n'est nullement certain que l'époque ait intégré dans ses paramètres cyniques l'idée de pérennité. Existe-t-il une transformation possible du désir compatible avec la négation des règles du jeu (en gros, les règles du réel pour les hommes)?
Rien n'est moins démocratique que l'abaissement du désir. Il exprime au contraire la démagogie et l'effondremenet des valeurs. Il n'est besoin sur ce point que de consulter le meilleur écrivain (à ma connaissance) de l'époque pour en connaître la tessiture avec la précision chirurgicale de l'oracle. La Pythie d'aujourd'hui se nomme Houellebecq. Comme pour les messages confus que délivra le temple de Delphes, il s'agit à chaque fois de faire le tri entre les messages sublimianux du désir et les élans du délire.
Je veux dire que Houellebecq est probablement à côté de ses pompes quand il se pique de pronostics sur l'avenir du monde et de l'humanité. Sa gravité est trop guindée pour ne pas évoquer l'affectation. Un peu comme l'esthétique naturaliste de Zola est absurde, la philosophie idéaliste de Proust banale, le pessimisme prospectif de Houellebecq est illusoire. Non, l'homme ne vit pas son terme! Non, l'homme n'est pas condamné à la possibilité d'une île! Il finira même par peupler le système solaire et ce qu'il nomme l'univers.
Par contre, il est probable que Houellebecq ait reniflé avec une acuité prodigieuse le tanin de son époque. La nôtre en gros. Et avec plus de hances de véracité que les truffes noyées de savoirs en tous genres de nos chers experts bardés de diplômes! L'artiste reste un médium incomparable.
Justement, Houellebecq nous dépeint une société gangrenée par des fins d'une médiocrité effrayante : l'obsession de la pornogarphie signifie la mort de la sexualité et du désir. Voilà pour le résultat de la massification. Est-ce le seul produit auquel puisse parvenir la démocratie? Pour ma part, j'en doute. Si c'était le cas, ce serait à mes yeux la critique la plus pertinente qu'on saurait lui opposer.

1 commentaire:

voyance par mail a dit…

Merci pour ce billet très agréable… et souriant (pour un sujet pas évident) !