jeudi, janvier 25, 2007

Le déclin des Lettres

Un rapport de l'Education Nationale constate que la filière littéraire au lycée périclite dangereusement. Tombant sur l'officialisation de cette nouvelle, dont les effets sapent nos chers lycées depuis dix ans déjà, j'essaie d'obtenir des suppléments d'information, persuadé qu'un tel cataclysme a déjà engendré les promesses solennelles de nos candidats à l'élection présidentielle. Las! Personne ne semble s'inquiéter outre mesure de la catastrophe, alors que le péril place la société française devant ses vraies responsabilités : comment appelle-t-on l'attitude qui consiste à demeurer impassible à côté d'un arsenal chimique qui menace d'exploser? En l'occurrence, la situation ne date pas d'hier. Le compte à rebours est enclenché depuis belle lurette.
La disparition des Lettres n'est ni anodine, ni subite. Voilà trente ans au moins que le pouvoir cautionne la prééminence des filières scientifiques, avec une indulgence arrogante pour la filière économique. Je parlais de filière scientifique, j'aurais dû en fait la baptiser technologique, car chacun sait que ce sont les études techniques de haut niveau qui se trouvent valorisées par le système. Les sciences pures subissent une désaffection dans la mesure où les mathématiques constituent le pendant des Lettres. En gros, tout ce qui pousse à réfléchir sur le réel au-delà du fini est considéré comme ringard et quasi inutile. On fait des Lettres pour s'exprimer à l'oral ou à l'écrit; des mathématiques pour s'en resservir en informatique.
Est-ce un hasard par ces temps d'ultralibéralisme sauvage si les activités considérées comme peu lucratives subissent la désaffection flagrante de la société? Il est vrai que la valeur pragmatique d'un roman de Balzac crie famine par rapport à n'importe quel traité de médecine! Pensez! Où l'un vous perd de précieuses heures à acquérir des vétilles de psychologie sans garantie d'intérêt immédiat, l'autre vous permet d'accéder aux branches du savoir valorisantes à tous points de vue!
Je n'ai rien contre la médecine. Sans elle, je me porterais même fort mal. Mais je dirais d'elle ce que Montaigne disait des gens de savoir avec une prémonition à couper le souffle : que je l'aime, mais ne l'adore point. Il est frappant de constater que la technologie du vivant rapporte aujourd'hui beaucoup plus d'argent que le sot métier de professeur de Lettres en lycée. En cas de récrimination intempestive, le grand public aurait tôt fait de tancer l'impétrant qui se commettrait en protestations comminatoires. Que vaut l'activité d'un professeur de Lettres en comparaison des miracles qu'accomplit un chirurgien après avoir étudié pendant quinze ans les linéaments de son pénible et précieux labeur? N'en déplaise à Royal et à tous les technocrates acharnés à la dévalorisatoin des Lettres (quand on a fait l'ENA, Balzac sert à classer des dossiers administratifs pointus, rien de plus), la médecine, aussi importante soit-elle, sauve les vies dans l'immédiat.
Elle ne confère aucun sens à la vie. Mais cet aspect n'a aucune importance à l'heure actuelle. En l'espace de cinquante ans, on est passé du médecin cultivé qui savait ses Lettres au supertechnicien surbooké et recouvert de brillantine prestigieuse. Est-ce un hasard si d'ores et déjà on considère en toute bonne foi que le seul intérêt d'un livre tient dans son exclusif recyclage à destination des matières techniques?
Une société qui considère les productions artistiques comme dévouées aux activités techniques est une société qui marche la tête à l'envers. Tout le propre de l'ultralibéralisme! Il est vrai qu'autrefois, l'analphabétisme et l'illettrisme rendaient impossibles l'accès au savoir. Désormais qu'on la trouve à portée de main, la lecture est affaire si ennuyeuse qu'elle mérite à peine l'acharnement d'un élève de CP (et encore!). Un livre est tellement moins kiffant qu'une console de jeux ou une virée en boîte de nuit ! On n'y consentira qu'en échange de gratifications immédiates. Seuls comptent les intérêts qui rapportent (gros), c'est-à-dire ceux soumis au domaine fini. Bien entendu - CQFD. Il ne faut pas s'étonner de la survalorisation de métiers qui autrefois ne valaient que pour ce qu'ils rapportaient. Aujourd'hui, qu'on se le tienne pour dit, le salaire est le fin des fins ! Le must intégral! Commercial ou ingénieur, la voilà, la seule solution qui vaille la peine qu'on s'y attelle !
Si l'on persiste dans cette voie suicidaire, il arrivera ce qui arrivera, mazette : les métiers d'honneur deviendront des tâches ingrates, confiées aux marginaux et aux ratés de la société - ceux que la Nature ne para pas des vertus suffisantes pour réussir dans le Technique, que l'on s'empresse de baptiser scientifique pour faire plus prestigieux. La maladie de l'époque est de se parer d'atours auxquels elle ne saurait prétendre et auxquels elle croit d'autant moins.
Les mathématiques ou la recherche scientifique pure ne sont guère mieux loties que les Lettres! Comme telles, elles ne sont que des modes de pensée qui rapportent peu. Justement, il est grand temps de valoriser à leur juste valeur les métiers d'honneur. Ce beau métier de professeur mérite un autre traitement que celui qu'on lui fait subir. La transmission des savoirs est le socle qui conditionne l'équilibre de la société à moyen terme. Dans une époque qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez, mieux vaut être golden boy que poète... On fonce dans le mur à tous les étages, décidément!
L'enseignement des Lettres ne trouvera sa juste place qu'à partir du moment où l'élève comprendra qu'il ne lit pas pour mieux écrire (ou parler), mais que la lecture l'emmène vers des horizons qui autorisent à voir le monde autrement et à penser. Oh, les gros mots! Les vilaines insultes que je n'ai pas proférées! Mille excuses! J'avais oublié que la richesse reconnue de l'époque est toute pécuniaire!
A quand le jour béni où le politique mènera campagne pour que soit reconnu l'inverse de ce dont l'on n'a cessé d'accabler le citoyen depuis l'avènement des sociétés technico-démocratiques? Le slogan est séduisant en diable : tout ce qui ne génère pas d'argent n'a pas de valeur. C'est l'inverse qui est vrai. Il ne s'agit nullement de dévaloriser la médecine ou l'ingénierie informatique (pour prendre des exemples disparates), mais de repositionner les savoirs dans l'échelle des valeurs. La médecine est primordiale, les Lettres (je n'ai pas dit les lettres) plus capitales encore! Je rêve de sociétés où l'écrivain sera respecté comme le prophète incompris de son époque! Il est vrai que nul n'est prophète en son pays...
Sans relation à l'art, sans la compréhension du rapport essentiel qu'il délivre au monde, l'homme est fichu. Le plus affligeant est qu'il s'en moque ouvertement et qu'il révère pendant ce temps et à sa place le prédateur de la haute finance. Edouard Stern vs Honoré de Balzc! C'est non seulement la promesse sinistre et lugubre du totalitarisme qui pointe le bout de son nez à l'horizon de notre millénaire balbutiant, mais la disparition de l'homme qui est en jeu. Sans livres, plus de sources auxquelles s'abreuver à l'eau vive des vivants !
Les Lettres ne sont pas seulement l'alphabet qui permet de déchiffrer les fiches d'utilisation des micro-ondes. Les Lettres sont notre clef d'accès au réel. A trop rester confiné dans l'arrière-boutique de nos cuisines mièvres (riches en carences essentielles), l'on finira claustrophobe! Il est temps de rappeler avec bon sens la valeur de la vie!

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Un vibrant plaidoyer dont on ne peut que goûter infiniment la pertinence. Merci pour ces quelques lignes de courageuse diatribe contre la déréliction de la société française.
A tous les étages le plancher est pourri, on risque sa peau, sa santé mentale à laisser le matérialisme ambiant épurer ce qui faisait de notre langue maternelle un phare pour l'humanité. (par le génie de ses auteurs) Moi je veux des noms! des coupables! Cohn Bendit serait-il le seul responsable?, j'ai peine à le croire...La France colonisatrice, esclavagiste, collaboratrice, doit maintenant payer son tribut à tous les ratés, tous les tarés qui oeuvrent dans ses ministères afin de tailler méticuleusement en pièce notre prestigieux héritage. Merci de rester à votre poste puisque j'ai cru comprendre que vous faites partie de ces heureux élus, chargés de prêcher dans un des déserts le plus inospitaliers qui soit...

Anonyme a dit…

Tous les conseils que vous avez partagés sont adorables !!! Merci.

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