mardi, janvier 23, 2007

La tragique démesure du sportif

Un nouveau coureur est suspecté de dopage dans le Tour de France. A vrai dire, cette nouvelle mise en cause paraît superflue, tant le dopage est omniprésent dans le cyclisme. Pas seulement. Le sport en général est soumis à cette suspicion - au-delà du cyclisme. Certes les sports d'effort, comme on nous en rabâche l'antienne sécurisante, l'athlétisme ou la natation ; mais aussi, et c'est moins réconfortant, les sports collectifs censés privilégier la technique et les qualités de groupe, le football ou le rugby.
On ne compte plus les procédures juridiques qui entachent le Sport le plus Populaire du Monde. Il faut toute la puissance des instances officielles et la ferveur des supporters pour qu'aucun scandale médiatique n'ait encore éclaté à ce jour. Cela arrivera bien trop tard! Quant au rugby, les carrures des athlètes ont explosé depuis dix ans (pour cadrer avec les calendriers de mode aux relents pornographiques?). Le sport aux Etat-Unis ne souffre pas de la même hypocrisie : le dopage est tacitement admis, à condition qu'il ne concerne pas les formes avérées de toxicomanie.
Faut-il imiter nos voisins américains et légaliser une pratique banalisée dans le sport de haut niveau? On pourrait arguer que le dopage met gravement en danger la santé des sportifs, qui risquent de disparaître prématurément suite aux prises massives et non thérapeutiques d'EPO, d'hormones de croissance ou d'anabolisants. Mais les sportifs eux-mêmes sont pris dans une telle fuite en avant qu'ils se moquent de leur santé comme d'une guigne. Pariant sur le concept de la peau de chagrin, ils privilégient leurs résultats à très court terme et oublient qu'après la carrière sportive, la vie, la vraie, commence (et reprend ses droits).
On pourrait rappeler qu'aux Etats-Unis les sports traditionnels connaissent une grave désaffection. Les supporters historiques du base-ball, du football américain ou du hockey reprochent l'évolution de leur sport vers le mercantilisme et la perte des valeurs qui lui étaient attachées. C'est une antienne que l'on entend désormais aussi dans les travées des clubs de football anglais...
J'en arrête là. Je pourrais égrener la liste des scandales touchant des sports qui se proclament les vitrines de la vertu et de l'hygiène publique, en particulier pour les jeunes, ce public saint et sacré de la morale moderne. Il me semble plus pertinent de constater que le sport de haut niveau se révèle d'autant plus populaire et médiatique qu'il représente une gigantesque supercherie réelle.
1) Le sport de haut niveau n'est pas du tout cette pratique bénéfique à la santé des athlètes. L'exercice que l'on pratique en amateur peut prétendre à ces critères médicaux. Le sport de haut niveau détruit le corps de l'athlète et, bien souvent, destructure son identité en laissant miroiter une vie idéale totalement déconnectée et annihilée par l'objectif sportif (totalement vain, aussi, mais, chut, ne le dites pas trop fort!). Le sportif vit dans une tour d'ivoire très pernicieuse. Aurait-on lu pour lui La Vie est un songe ou accepte-t-il ce statut de Sigismond de la modernité ? Les exemples de dérives abondent pour illustrer l'implosion qui guette le sportif de haut niveau après sa retraite sportive. Il n efait pas bon découvrir l'âpreté du monde la trentaine passée.
2) Les lois qui régissent le sport de haut niveau sont celles de l'ultralibéralisme le plus sauvage et forcené. Cette banalisation fait fi des anciennes conceptions selon lesquelles le sport n'avait pas pour fin la satisfaction du marché économique. On pourra certes objecter que la pratique intensive du sport met en exergue les inégalités d'aptitude entre les individus et que le sport de haut niveau en lui-même est l'exercice de l'inégalitarisme par excellence. Il n'empêche. La dérive qui frappe tous les sports médiatisés à outrance montre que l'argent est désormais le nerf de la guerre. L'athlète devient un objet mercantile comme la voiture. On aura beau jeu d'expliquer qu'il ne saurait se plaindre du fait des fortunes qu'il amasse en quelques années - et de manière totalement aberrante quand on se rappelle de ses réelles compétences (taper dans un ballon ne relève tout de même pas de l'art suprême)! N'est pas Zidane qui veut pour prétendre à quinze millions d'euros l'année! Surtout, ces sommes ne concernent que quelques heureux élus du naufrage général que suppose la sélection d'entrée. Qui se soucie du sort des recalés du marché aux alouettes, en particulier les sportifs des pays pauvres, souvent traités comme des esclaves de paccotille ? Le sport de haut niveau est une machine à broyer et à concasser. Qui rappelle que l'argent déversée implique une contrepartie lourde de conséquences : à l'instar du pacte faustien, l'as touche le pactole en échange de sa santé et de sa vie. L'hypothèque est terrible et nullement gratuite. Le sportif, souvent sans qu'il s'en rende compte, accepte qu'on achète sa vie et sa santé. Cet échange monstrueux ne lui rapportera que s'il possède le talent nécessaire. Dans l'immense majorité des cas, il aura tout perdu et rien gagné (je ne parle pas des blessures et des injustices). Comme piège diabolique, on peut difficilement prétendre à mieux (ou pire).
3)L'ultralibéralisme qui sévit dans le sport a profondément changé en Europe les règles sportives classiques. Auparavant, l'argent n'était qu'un critère parmi tant d'autres de réussite sportive. Le sport supposait l'affrontement physique et tactique et l'acceptation du hasard. Désormais, l'argent ne suffit certes pas à remporter la victoire, mais il est devenu le principal moteur de la réussite. Que l'on regarde les budgets des clubs de football qui gagnent la Champion's League et que l'on m'explique la régression des clubs formateurs comme Auxerre aux second rôles d'un pâle championnat. On râle aujourd'hui en France contre cet ultralibéralisme qui favorise les championnats européens jouant le jeu de la dérégularisation totale des talents. Mais on ne fait que se rendre compte des pertes et injustices qu'ont subies les pays pauvres depuis quarante ans! Le football européen ne cesse de piller l'Afrique et l'Amérique du Sud avec la bénédiction tacite des supporters aveugles pour peu qu'on leur présente la dernière recrue-star des favellas! Ce phénomène d'exploitation de l'injustice s'est accru avec l'avènement dans le sport de l'ultralibéralisme. On ne compte plus aujourd'hui les fortunes douteuses qui investissent dans les sports médiatiques, en particulier le football. L'argent n'a pas d'odeur, ni pour les supporters, ni pour la presse (elle-même financée par les hauts financiers depuis quinze ans). Les dérives du football illustrent celles qui menacent la société. L'on nous présente la liberté comme la négation radicale de la justice sociale élémentaire au maintien de l'équilibre et de la pérennité de l'humanité. A quand l'avènement des mafias sur la scène financière officielle et leur adoubement médiatique par les politiques et les banquiers?
4)Au final, les dérives qui déforment le sport de haut niveau ne sont pas gratuites ou anodines. Elles illustrent la démesure du monde moderne dans la mesure où l'homme prétend désormais à occuper une place qui n'est pas la sienne. Le sportif de haut niveau n'est nullement cet athlète super entraîné et paré pour les exploits. Le sportif d'aujourd'hui est entraîné dans une spirale folle de la performance qui l'engage à dépasser les limites humaines. D'après un scientifique spécialiste du dopage, un sprinter ne peut passer sous la barre des dix secondes sans l'adjonction de produits dopants efficaces. On aura beau prétendre que les vrais responsables sont les médiais qui exigent du spectacle avant le sport, ces fameuses cadences infernales qui ont engendré le sport business. Je crois que le mal est plus profond. Le sportif illustre l'envie humaine de transcender son monde et de changer de sphère d'appartenance. Le fantasme de parvenu accouche d'une souris : de la même manière qu'un comte n'est in fine qu'un homme, n'en déplaise à la bourgeoise de souche qui eut la bêtise de l'épouser pour ses titres, l'homme du XXème siècle n'est jamais qu'un homme. Le siècle de la technologie a la prétention d'atteindre au Surhomme. Rien à voir avec la (malheureuse) expression nietzschéenne, qui cherchait l'échappatoire à la mort (criminelle) de Dieu. Le Surhomme moderne, que l'on a nié comme avatar du nazisme pour mieux l'exploiter comme marque déposée et pantin breveté? Rien d'autre que cet homme qui aimerait tant bien que mal laisser croire qu'en allant plus vite, il a changé de dimension! Le champion cycliste est-il plus près de Dieu ou du Paradis parce qu'il est bionique? Quel idéal a-t-il atteint en montant les cols à 50 kms/h ? N'aperçoit-on pas la course généralisée et absolument vaine que l'on nous vend comme supercherie métaphysique, tristes privilèges de névrosés qui aimeraient tant trouver un sens à la vie? La vraie course qui commence, celle que le baron de Coubertin inaugura à ses dépens, ce n'est pas la renaissance des antiques Hellènes, c'est le mirage de la destruction contemporaine.

Aucun commentaire: