mercredi, novembre 29, 2006

Le grand cirque du sport

Qui a déjà contemplé à Rome l'immense stade qu'Auguste fit construire pour accueillir ses Jeux? Il en reste trois briques. Les gladiateurs n'avaient pas un sort très enviable : destinés au combat, ils savaient leur vie courte et cruelle. Elle devait connaître aussi son lot de plaisir et d'adoration trouble - mais passons sur cette répétition trouble, qui nous apprendrait que bien des sportifs de haut niveau fréquentent avec assiduité les call-girls et les circuits de la prostitution de luxe. Aujourd'hui, les footballeurs et autres sportifs médiatisés connaissent une telle célébrité que la rumeur qui accompagne leurs exploits les veut heureux et comblés. Bénis des dieux, maintenant que Dieu est mort. Selon le titre choisi pour un célèbre calendrier célébrant la nudité de rugbymen transformés en vedettes de la pornographie gay, les grands sportifs ne sont-ils pas devenus les dieux du stade? Peu de jeunes rêvent d'embrasser la carrière de juges, mais un nombre incalculable donnerait leur vie pour devenir champions de sport. Bien qu'il soit très difficile de réussir l'Ecole de la magistrature, il est pourtant encore plus improbable de gagner l'adulation sportive des foules en transe.
Pourtant, ce ne sont pas les candidats à la reconnaissance qui manquent! La représentation objective du sportif de haut niveau se situe aux antipodes de l'image que la société de consommation célèbre à toute force, y compris contre l'évidence. Le sportif est un dopé notoire prêt à tout, y compris à risquer la mort prématurée, pour parvenir à ses dérisoires objectifs. Le sportif est en quête perpétuelle de performances. Pour améliorer son sprint de quelques centièmes, il tuerait son père et violerait sa mère, sans que personne n'y trouve à redire : contrairement à Oedipe, le sportif souffre (dans tous les sens du terme) d'impunité caractérisée.
Justement, l'hypocrisie de la société montre à quel point le sport de haut niveau illustre le fonctionnement de notre morale. Le sport charrie des milliards et des milliards d'euros. Il n'est qu'à rappeler les budgets respectifs de la FIFA et des JO pour se rappeler que le sport dépasse en richesse les structures d'Etats comme la France ou l'Allemagne. Le but? Est-il vraiment d'endormir le peuple? Qu'on rappelle le réel visage du sport professionnel et médiatisé : le dopage et la corruption en sont le quotidien glauque. Ils le gangrènent d'autant plus qu'il se réclame avec force et conviction du plus moralisateur des messages : "Santé, Vitesse et Eternité" pourrait constituer son tryptique détonnant. Sans doute est-ce la raison pour laquelle un sportif ne consent jamais à reconnaître son dopage. Trahir ce secret, c'est déchoir de son piédestal pour retomber dans la fange. Pantani en sait quelque chose. L'adoration des idoles du sport s'explique en effet par l'image de Surhommes confinant au divin qu'elles charrient. Les nouveaux Hercule galopent souvent, en compagnie des chevaux et d'autres bêtes moins nobles, à l'intérieur des lignes bien délimitées de prés chamarrés.
Sur le moralisme, rien d'étonnant : depuis Molière, on sait que le tartuffe n'est pas l'apôtre de l'immoralisme (en un mot l'épigone de Sade), mais des bons sentiments. Le forfait se justifie toujours par la présentation mielleuse de quelque bon principe - Article premier. Sur l'hypocrisie, elle est avant tout l'apanage surprenant du public : je veux dire que chacun sait ce qui se passe dans le sport moderne - la triche, les perfusions d'EPO et d'autres produits de synthèse, les anabolisants, etc., etc. Personne en tout cas ne peut l'ignorer depuis le scandale du Tour de France. Or, que constate-t-on depuis? Jamais les coureurs cyclistes n'ont pédalé si vite! Lance Armstrong a gagné une demi douzaine de Tours dans l'indifférence générale et l'acceptation du mensonge. Les médias, qui sont aux premières loges pour connaître la réalité du mensonge, feignent l'indignation après la ferveur béate. Ils tuent à petit feu la poule aux oeufs d'or, mais tant que le public suit, il n'y a pas de raison que le spectacle change. The show must go on!
Le rugby se portait comme un charme avant que l'inquiétant magnat des médias australien Rupert Murdoch ne mette les deux pieds dans le plat de l'Ovalie et n'investisse de ses devises la zone Hémisphère Sud. Depuis : les rugbymen ventripotents sont devenus des athlètes bodybuildés et sexy, à tel point que les éructations des All-Blacks ont perdu de leur pittoresque et résonnent aux oreilles expertes comme autant de vociférations mensongères.
Le football n'est sorti indemne des scandales de corruption et de dopage qu'au prix de l'appui inconditionnel des puissants de ce monde. Nous vivons dans une triste époque où le Brésil se fait sortir par la France sur un coup franc surnaturel (à vingt mètres des buts brésiliens, Roberto Carlos, l'un des plus grands arrières latéraux de tous les temps, refait ses lacets en toute innocence alors qu'il est préposé au marquage de Henry et que celui-ci va tranquillement inscrire son but le plus facile de la Coupe du monde) et où l'Italie remporte un nouveau titre mondial l'année du scandale du Calcio. Le championnat italien est endeuillé des plus graves soupçons portés sur son intégrité (déjà largement compromise par le passé). L'Italie aura remporté ses matches avec des joueurs plus que suspects et le Ballon d'Or 2006 fut décerné à Cannavaro, ancien joueur emblématique de la Juve. Sans commentaire.
Zidane assène un coup de boule planétaire? Immédiatement, c'est la ruée. Vers l'or. Les uns éructent, les autres soutiennent des théories extravagantes sur le héros redevenu l'espace d'un geste impulsif un simple humain. Qu'on se rappelle le texte ridicule d'un Nabe célébrant Zidane-la-racaille à grands renforts d'interprétations grandiloquentes alors que son altercation avec Materazzi s'est résumée à une banale dispute d'abrutis. La vérité? Zidane est simplement l'auteur d'un geste stupide et violent, comme des dizaines d'autres émaillèrent sa carrière - largement surestimée au demeurant. Pauvre Zidane! Avait-il besoin, en dernier outrage, que le Président de la République française en personne le soutienne de la plus absurde des manières pour soigner son électorat? Comment voulez-vous que Le Pen ne monte pas dans les sondage après une telle apologie de la bêtise en direct? Si l'Arabe le plus célèbre de France est intouchable quand il déraille, le beauf caillassé par les caïds d'origine maghrébine de son quartier risque de ne pas supporter le deux poids deux mesures!
Pendant ce temps, le vrai génie du football contemporain passe ses journées à l'infirmerie. Je veux parler de Ronaldo, que ses genoux ont trahi à force de supporter les coups et une musculature trop développée. L'important est de répéter qu'aucun scandale ne sort dès que l'on parle de foot. Trop sacré pour y toucher, mon fils! Il n'est besoin que de se rappeler le traitement partial dont les médias français gratifièrent l'événement judiciaire. Le scandale du dopage qui atteint la Juve (un de plus!) n'atteint pas les joueurs français qui y passèrent. Del Piero est certainement dopé, pas Zidane ou Deschamps... Tiens, ce dernier est aussi l'actuel entraîneur de la Juve. Autre coïncidence troublante, l'ancien sélectionneur de l'équipe d'Italie, Marcelo Lippi, fut l'entraîneur de la Juve de ces années troubles. Sans être inquiété... Pas plus que Fabio Capello, qui a migré au Real de Madrid (avec Cannavaro et Emerson) après que son club ait été convaincu de triche envers les arbitres (avec d'autres clubs il est vrai). Thuram échappe au procès qui incrimine les joueurs de Parme et était aussi à la Juve de Moggi. Il joue désormais au Barça, pour un salaire astronomique et avec une aura qui l'autorise à défendre les sans-papiers. Comme Madonna ou Angelina Jolie adoptent des enfants et le font savoir, la star sportive d'aujourd'hui multiplie les actions caritatives. Sans toujours beaucoup de succès si l'on en juge par la portée des actes de Thuram.
Arrêtons cette petite liste non exhaustive des dérives concernant le sport le plus populaire au monde. Ce qui est vrai du foot est aussi vrai dans tous les domaines. Ce que l'on a dit du cyclisme vaut peu ou prou pour les autres sports. Ben Johnson n'était sans doute guère plus dopé que ses adversaires présents sur la même ligne du 100 mètres et les nageuses chinoises ne sont que les caricatures inquiétantes d'habitudes qui ne concernent pas seulement la Chine post-communiste.
Alors, encore et toujours, pourquoi cet engouement pour ce spectacle mensonger, cette adhésion à une morale de l'hypocrisie absolue ?
Parce que le sport reflète l'aspiration intime de notre époque, où l'on ne parle plus que de dépassement et de surpassement. Dans un monde où l'homme a pris la place de Dieu, pour le meilleur et pour le pire, le sportif incarne la puissance en acte et le désir d'accession à un pouvoir infini et indéfini. La quête de record représente au fond l'attente d'un public qui aimerait bien changer de réel sans qu'il puisse accéder à cette demande fantasmatique. Il y a le désespoir abyssal et la frustration portée à son firmament derrière les hurlements d'encouragement hystériques des supporters, qui ne savent que trop que leurs héros sont frelatés et qu'ils ne peuvent opérer la transmutation merveilleuse (proche de l'alchimie) qu'ils attendent d'eux. Le sportif est coincé sur son échelle de la finitude, dans un cercle vicieux qui est aussi une course folle. Toujours plus!, pourrait-on résumer. Ce serait l'adage de notre époque folle, qui croit que l'accélération du rythme de la vie à un niveau de convulsions trépidantes permet d'accéder à la sixième dimension, celle de la transcendance. L'homme a remplacé Dieu par le culte de la puissance et de la vitesse, en somme. La performance est l'indice de la valeur humaine. Le culte du travail a remplacé celui de l'oisiveté. Aller expliquer à un Athénien cultivé du siècle de Périclès qu'il fallait se tuer à la tâche, il vous aurait ri au nez. On avait de l'honneur et on était prêt à mourir au combat, mais sûrement pas pour du travail! C'était le vil apanage de l'esclave, pas du citoyen!
Quel est le prix de ce tragique mirage? Car les choses n'en sortent nullement affectées, il faut le répéter. Les sportifs, comme les gladiateurs, sortent lessivés de cette pressurisation outrancière. A trente ans, ils sont physiquement détruits; bientôt, à quarante, ils approcheront de leur trépas, un peu comme les footballeurs américains, dont l'espérance de vie n'excède pas la cinquantaine (pour se montrer optimiste). Ils ont beau jurer qu'ils s'en moquent et sont heureux de ce nirvana éphémère qu'offre la célébrité et la reconnaissance, de cette ivresse de succès et de réussite, personne ne les croit. Chacun sait trop que les performances sportives sont grotesques et sans intérêt et que le mérite qu'il a à contrôler de la main ou du pied un ballon n'est que très limité. C'est toute notre société qui se trouve aspiré dans le miroir révélateur du sport. Non, nous ne nous en sortirons pas par plus de productivité, plus de profits et plus de concurrence. Le retour à l'humain et au lien religieux est urgent. Pas par les anciennes formes, dépassées. Mais par de nouvelles, à venir.
Une dernière remarque, d'importance. A tout prendre cependant, la morale chrétienne, avec toutes ses outrances et ses offenses, valait mille fois mieux que la moraine de la modernité. C'est un triste constat, dont la face solaire nous ramène à la nostalgie désuète de l'amateurisme et des parties entre amis.

mardi, novembre 28, 2006

Traité du vide

Michel Onfray est le plus grand de nos philosophes - du moins depuis que Deleuze et Derrida nous ont quittés. Deleuze irradiait la scène intellectuelle avec une telle intelligence que Derrida n'eut d'autre choix, pour exister, que d'inventer la déconstruction. Quand on voit les productions des épigones, on se dit que sans la déconstruction, le monde ne serait pas le monde.
Grâce à Onfray, nous sommes enfin en mesure de nous débarrasser de Dieu. Le méchant n'en finissait plus de râler sous les justes coups de boutoir de la modernité. Onfray nous donne enfin les outils conceptuels pour achever le travail de Nietzsche. Enfin... Nietzsche, plus prudent, s'était contenté d'affirmer que Dieu avait été assassiné. Peut-on tuer Dieu?
Michel Onfray ne doute pas une seule seconde de son évidence. Sans Dieu, le monde serait plus beau. Je ne suis pas persuadé qu'avec Onfray, la philosophie ait gagné en esprit. Serait-ce que le Saint-Esprit lui manque? Son Traité d'athéologie est, une fois de trop, annoncé comme le couronnement de son oeuvre corrosive (c'est drôle, en ce moment, tout le monde est subversif : à force de surenchères subversives, le subversif est devenu la norme). Il est vrai que le message philosophique est révolutionnaire : au menu, réécriture de l'histoire de la philosophie biaisée par vingt siècles de christianisme et de platonisme, philosophie populaire (les entreprises populaires se révèlent souvent très méprisantes à l'égard du peuple; se reporter à Lacan, Althusser et tous les férus d'égalitarisme) et hédonisme à toutes les sauces.
Onfray a de la chance : il en sait très long sur le réel. Tellement long qu'il sait même que Dieu n'existe pas. Il se situe bien au-dessus des croyants, tous ces imbéciles qui eurent la folie de se livrer à des entreprises de foi controuvées. Onfray est courageux : tout comme Voltaire, il s'attaque à la papauté et à l'Islam (un peu moins quand même à l'Islam, mais par les temps qui courent, on le comprend). La démarche est terriblement novatrice. Tout comme les intellectuels des Lumières, ses cousins spirituels (pardon d'avance aux sus-dits couins!), Onfray risque la prison, voire sa peau à chaque instant.
On ignore si Onfray croit à ce qu'il dit, tant les inexactitudes pullulent quand il se mêle d'entreprendre son histoire, sommaire, du christianisme. On aimerait seulement lui signaler qu'à l'heure actuelle un traité de l'hédonisme conçu comme antichrétien n'est plus à faire, mais que la démarche inverse presse - la réhabilitation des influences positives du christianisme - et Dieu sait s'il y en eut! Le christianisme a au moins le mérite d'avoir démystifié la violence et d'avoir inspiré les sociétés les plus performantes de l'histoire de l'humanité. Onfray, lui, nous propose de suivre la formule de Chamfort en matière de morale : "Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi ni à personne, voilà, je crois, toute la morale". On aimerait lui rappeler que le même Chamfort avant de se suicider écrivit : "En France, on laisse en repos ceux qui mettent le feu et on persécute ceux qui sonnent le tocsin." Mais aussi : "N'as-tu pas honte de vouloir être philosophe plus que tu ne peux? L'importance sans mérite obtient des égards sans estime." Enfin : "A mesure que la philosophie fait des progrès, la sottise redouble ses efforts pour établir l'empire des préjugés."
Qu'Onfray se rassure : nous ne nous suiciderons pas à la lecture de ses traités. Il n'est après tout que le descendant, en moins talentueux, d'un certain François de La Mothe Le Vayer, son illustre prédécesseur en athéisme et hédonisme, si du moins l'on en croit les cours dont il nous rebat les oreilles sur France-Culture durant les grandes vacances (à ce propos, fut-ce une initiative de Laure Adler que de programmer un tel génie sur les ondes ou cherche-t-on à redonner de la sorte aux professeurs le goût prématuré de la rentrée et du confort?). Il est fort à parier que l'académicien sceptique du Grand Siècle (ou peu s'en faut) se serait bien passé d'une telle descendance et qu'il se retourne dans sa tombe à chacune des mentions dont il se trouve l'innocente victime. Notre philosophe populaire croit réhabiliter un glorieux ancêtre, injustement méconnu, quand il lui fait en réalité la plus mauvaise des publicités. N'en jetons plus! Onfray s'est-il demandé pourquoi il avait connu si vite le succès, Enthoven, Grasset et les faveurs d'un certain public? Parce qu'il était à la mode ou qu'il s'attaquait aux puissances corrompues et destructrices de son temps ? Quel rebelle qu'un rebelle-philosophe de cette trempe !
Onfray se réclame de la gauche extrême pour mieux pourfendre l'injustice et délivrer le plus moraliste des messages. Drôle de nietzschéen en vérité que ce bobo normand épris d'Anti-philosophie! Mais ce provincialiste forcené n'a même pas pour lui d'être méprisé de l'intelligentsia parisienne : il révère Bourdieu et toute la tradition philosophique française qui eut l'heur de se piquer de générosité en statuant que plus on se situait à gauche et plus on défendait les idées de Progrès et de Justice.
En vérité, Onfray occupe dans le cirque médiatique la chaire fort rémunératrice du Philosophe du Plaisir, qui empile, aux côtés de BHL, Glucksmann, Finkielkraut ou Bruckner les best-sellers. De quoi procurer la chair de poule à des auteurs de grands opuscules comme Clément Rosset ! Très loin de Spinoza, il incarne la médiocrité philosophique qui croit représenter la nouveauté quand elle entérine les balivernes de son temps. Qu'Onfray se console : Grasset est une maison trop heureuse d'accueillir un graphomane aussi enrichissant (sur le plan pécuniaire) pour songer à interrompre son babillage lénifiant. Enthoven se moque des Lumières pourvu qu'elles rapportent quelques compensations en espèces. C'est amplement le cas!

Extension du domaine de la pub

Son entrée people fut fracassante. Le premier livre se vendit comme des petits pains. Ami d'Ardisson, il parvint à compenser largement son physique ingrat par une coupe de dandy mondain et des positions très transgressives : n'oublions pas que le bonhomme fut directeur de campagne de Robert Hue et afficha, longtemps du moins, un communisme béat. On comprend la dégringolade du communisme quand on mesure la valeur de l'engagement de pareils monstres sacrés.
Si Beigbeder est communiste, alors il est aussi un grand écrivain. C'est d'ailleurs le concept auquel s'attacha ce grand fils de pub pour meubler le vide existentiel de sa longue litanie de débauches mièvres et consommées. Ne jamais oublier que Beigbeder est l'ami d'Ardisson, autre fils de pub - le plus grand celui-là. La publicité a lancé son OPA révélatrice sur la culture. Du coup, la culture se passe désormais de la télé. Beigbeder a vendu 99 Francs comme un produit marketing. Ca a marché comme sur des roulettes. Un Tropico, Coco? Depuis, il pose comme écrivain. Maudit? Il aurait du mal, le bougre! Il hante les plateaux de télé et les discothèques, sans doute pour puiser l'inspiration entre deux mondanités, à moins que ce ne soit (aussi) pour tester le pouvoir de séduction de l'estampille Vu à la télé auprès des bimbos parisiennes.
Succès garanti! Beigbeder a sorti 99 Francs comme on sort un disque de la Star Ac : en bon publicitaire, son coup de génie fut de laisser croire que ce livre était un horrible pamphlet contre le monde de la pub dont il était issu. Pauvré Frédéric! Le Rastignac raté de la com se présentait en Cosette décatie! Moi, je l'aurais bien vu en madame Bovary. Je m'ennuie, je m'ennuie... Evidemment, quand on a perdu deux heures à lire le livre, on a envie de casser la gueule à l'écrivain. Surtout si on l'a aperçu avec perplexité et effroi lors d'un spectacle avant-gardiste au Livre sur la place à Nancy. Pendant une demi-heure, il s'était entendu comme larron en foire pour partager avec le Claude François de la littérature, Yannn Moix, son goût de l'auto-dérision. Jugez plutôt : les deux larrons s'étaient échangés leur livre respectif et se moquait l'un de l'autre en répétant jusqu'à satiété qu'ils n'étaient que des génies respectifs... Puis je le retrouvai lors de l'Hyper-Show, son fugace mag sur Canal +, et je lui pardonnai aussitôt : devant son piteux échec, je compris que Beigbeder était fait pour être animateur. C'est dans la peau du commentateur décalé qu'il finira. Un publicitaire se recycle nécessairement dans le spectacle.
Un publicitaire se vend. C'est son art et sa rhétorique. Lui vendra des millions de livres. Si Beigbeder avait essayé, il aurait fait aussi de la chanson. Noah bis, pourquoi pas? Les livres de Beigbeder sont ce qu'ils sont - des nullités. Chacun le sait. Tout le monde se tait. Donc Tout le monde en parle! Beigbeder devrait un jour s'arranger pour obtenir le Goncourt devant Houellebecq. Ce serait sa manière de lui signifier combien il l'admire. En attendant, il pavoise, de nouveau sur Canal +, dans l'émission de Denisot, qui en a fait son chroniqueur littéraire. Il a raison, Denisot, c'est encore ce qu'il sait faire de mieux, Beigbeder : parler des écrivains, de cette caste dont il aurait aimé faire partie, lui qui brûle encore d'être reconnu comme un génie littéraire. Du coup, il fait la fête pour se consoler, fort du principe selon lequel on obtient dans cette vie ce que l'on paraît. Il y a comme un vice de forme chez Beigbeder. Quelque chose de fêlé malgré tout. Quand il prend une paire de claques de la part de l'inénarrable Soral, on se dit que c'est vrai, que c'est une redoutable tête à claques. Quand il se fait rembarrer par Revel sur le plateau défunt de Rive droite-Rive gauche (la seule bonne émission d'Ardisson au demeurant), on comprend à quel point cet intellectuel de haut vol est une girouette impénitente.
Beigbeder est un décadent. Le pendant de BHL en plus nihiliste. Quand BHL capitalise le vide, Beigbeder le dilapide. L'influence de la pub a laissé des traces. Il brûle, il brûle, sauf qu'à la différence du Phénix, il ne renaîtra pas de ses cendres. Beigbeder est calciné. Sa disparition coïncide avec son apparition : 99 francs, c'est trop cher pour un roman dont la fin laisse sur sa faim. N'est pas Mac Do qui veut.

samedi, novembre 25, 2006

Lettre ouverte à Josyane Savigneau

Madame,

La lecture de votre article consacrée à King Kong Theory et de la tribune de Marcela Iacub m'a plongé dans la perplexité. Passe encore de lire des absurdités, il se trouve au surplus que le témoignage de Despentes était corroboré par l'avis (éclairé) d'une « féministe » dont l'apport éclatant consiste à défendre le principe de la prostitution en faisant croire que ses prises de position relèvent de la transgression.
Je me présente : je suis le (jeune) responsable de la délégation de Nancy du Mouvement du Nid. Ni moraliste, ni catho. C'est drôle, mes six années d'expérience concrète dans le milieu de la prostitution m'ont beaucoup appris, mais elles contredisent en tous points les billevesées de vos deux brillantes génies, l'une romancière de haut vol, l'autre théoricienne digne d'un Platon ou d'un Hegel!
Pardonnez-moi, je vais vous dire la vérité : Despentes est un mauvais écrivain, qui fait son beurre sur de la provocation d'arrière-garde. Quant à Iacub, il suffit de l'écouter sur n'importe quel sujet pour hausser les épaules. Hausser les épaules? Savez-vous que quand on connaît la situation objective de dizaine de personnes prostituées (toutes celles que j'ai pu rencontrer sur le trottoir ou ailleurs à Nancy), on n'a plus envie de hausser les épaules, mais de se montrer pessimiste sur l'affichage et les relais de la bêtise humaine.
Je ne m'attarderai pas sur les considérations métaphysiques de Iacub. Elles sont du niveau des anthropologues et ethnologues du XIXème siècle qui théorisaient à dessein sur la légitimité de la condition faite aux Noirs. Quand on a le cerveau d'un sous-homme... Je remarquerai que Iacub fait le jeu des réglementaristes, pour qui l'argent de la prostitution, des dizaines de milliards (mais oui...) méritent bien tous les argumentaires travestis, surtout un, bien connu des rhéteurs : face à un problème dérangeant, faites disparaître le problème pour supprimer les difficultés. Le simplisme arrange toujours les extrémistes et séduit les ignorants. En l'occurrence, il y aurait les prostituées-esclaves, victimes de réseaux, et celles qui consentiraient librement à se prostituer...
Madame Savigneau, si vous avez une fille, conseillez-lui d'enchaîner les passes libres, elles rapporteront toujours plus, et à moindre effort, que des études coûteuses et contraignantes! Inutile d'en appeler à la liberté, car on est d'autant moins libre d'un « choix » qu'on se débat dans la violence extrême. On n'est pas plus « libre » de se prostituer que de boire quatre bouteilles de mauvais rouge ou de s'injecter de l'héroïne dans les veines pour ne pas trembler (d'ailleurs, c'est bizarre, les prostituées décident souvent de se droguer quand elles se décident à passer à l'action...).
Tiens, en passant, Despentes avoue qu'avant la prostitution occasionnelle, elle connut le viol. C'est drôle, voyez-vous, son témoignage recoupe comme par enchantement toutes les enquêtes sérieuses qui montrent la corrélation entre le viol et le passage à la prostitution. Sauf que notre romancière d'exception a le courage de sortir « la tête de l'eau pour crier très fort » (je vous cite...) qu'elle s'est reconstruite par la prostitution. Heureusement, elle fait dans la nuance : « Je ne suis pas en train d'affirmer que dans n'importe quelle condition et pour n'importe quelle femme, ce type de travail est anodin », mais pour elle oui. Il y aurait donc des gens pour affirmer qu'on soigne le cancer par le SIDA, le meurtre par la pédophilie et le viol... par la prostitution.
Cet argument est tellement éblouissant que j'en demeure encore confus. A ce niveau de pénétration intellectuelle, il est clair qu'il mérite une pleine page dans un hebdomadaire à large audience comme Le Monde des livres... Soigner le viol par la prostitution, aucun psychologue, même le plus audacieux, n'avait encore osé. Désormais, on saura comment récupérer d'un traumatisme tel que le viol : par la prostitution. Soigner le mal par le mâle, avouez que même Freud n'y avait pas songé!
Voyez-vous, madame Savigneau, tenir un discours complexe sur la prostitution demande de nos jours beaucoup de courage : en rappelant que la prostitution détruit le corps, et plus encore les esprits, on ne dit pas seulement la vérité du terrain, on s'attaque à des puissances qui pèsent des milliards d'euros et dont les lobbys agissent au plus haut niveau de nos Etats. On lutte contre l'hypocrisie à la mode qui consiste à faire croire que se libérer des tartufferies consiste nécessairement à s'affranchir de toutes les influences chrétiennes.
Madame Savigneau, revenez au réel! Croyez-vous sincèrement que la prostitution n'engage chez la personne prostituée que ses parties sexuelles? Pensez-vous que regarder un film pornographique soit anodin pour un jeune esprit crédule de douze ans? A trente, petite confidence, c'est légal, mais l'effet est identique au visionnage de Baise-moi : on s'ennuie et on prie pour retrouver le génie d'un Bunuel ou d'un Lynch. On ne peut pas exiger de Despentes qu'elle soit l'alter ego de Lynch, mais on est en droit d'attendre que des polémiques ne fleurissent pas sur le scandale à « censurer » ce chef-d'oeuvre aux moins de 18 ans. On peut faire dans le subversif, mais n'est pas Pasolini qui veut.
Voyez-vous, savoir que Simenon fréquentait avec assiduité les personnes prostituées ne m'empêche nullement d'aimer les romans de Simenon. Parce que Simenon est un bon écrivain. Mais je ne comprendrai jamais que l'on fasse une telle publicité autour de Despentes. Dans cent ans, les historiens qui s'intéresseront aux femmes tenant des discours sur le féminisme du début du XXIème siècle diront en substance : « Mauvais artiste, elle trouva tous les moyens pour faire parler d'elle. Elle avait au moins compris quel parti médiatique tirer du scandale, fût-il le plus médiocre. Il y avait de la grandeur à exiger le droit de vote ou se battre pour l'égalité au travail, son combat pour légitimer un certain type de prostitution apparaît plus que douteux. »
Et vous, madame Savigneau, que pensez-vous aujourd'hui des maoïstes ou des staliniens? Voyez-vous, j'en finirai sur ces mots, je suis loin de penser que je suis sans défaut, mais parmi les rares choses dont je sois fier dans ma vie, il y en a une, irréfragable, dont mon honneur se réclamera toujours : à mon petit niveau, j'aurai eu la lucidité et le courage de lutter contre le discours dominant (financièrement déjà, politiquement dans de nombreux pays voisins) qui consiste à légitimer un certain type de prostitution et à donner à la barbarie et au monstrueux le visage de l'admissible, du banal et du légal.
Ce ne fut pas votre cas, madame Savigneau. C'est bien regrettable.

vendredi, novembre 17, 2006

Le cas Soral

Ami de Dieudonné, se proclamant non sans emphase champion de la sociologie de terrain, ce marxiste catholique fut aussi, selon ses propres dires, un as de la séduction, avant de devenir le polémiste sulfureux (et médiocre) que l'on sait. D'après ses propres estimations, il est l'homme aux sept cents conquêtes. Interdit de plateau après des passages remarqués dans l'émission heureusement défunte d'Ardisson, Tout le monde en parle, Soral commence par tenir des propos qui font hurler les féministes, les homosexuels et les "minorités oppressées". Jusque-là, la ligne jaune n'est pas franchie, d'autant que certains doivent se féliciter sous cape de ces dérapages à répétition. Quelqu'un qui s'en prend à Isabelle Alonzo ne saurait être foncièrement mauvais... Stupeur et censure médiatique immédiate quand notre intellectuel autodidacte apparaît sous les feux de la rampe, lors d'une émission de France 2, Envoyé spécial, pour sans vergogne cracher la dure vérité de son antisémitisme. Là, ce n'est subitement plus le même son de cloche. On peut prétendre sans problème qu'une pute est nécessaire au bien-être de la société, proférer des insanités discriminatoires à l'encontre des Sionistes-Juifs qui devraient se poser des questions à force de se prendre des dérouillées depuis 2 500 ans n'est pas admissible... Shoah oblige, ce genre d'horreurs n'est pas toléré. On aime sans le dire les méchants, à condition qu'ils s'en tiennent à un certain conformisme. Soral, lui, a vraiment envie de mordre! Après les sionistes seulement, jure-t-il... Trop tard, le mal est fait!
Depuis lors, il ne cesse de vitupérer afin de récupérer son innocence et son honneur outragés, dénonçant dès qu'il le peut, sur des médias mineurs et douteux de la Toile, la manipulation médiatique grossière dont il a été la victime. Soral serait-il nostalgique sans l'avouer de ses apparitions chez Evelyne Thomas? A l'écouter, notre nouveau martyr est de la caste des écrivains maudits. Cette posture est très à la mode : Nabe en joue, et tous se réclament de glorieux aînés, troubles et sulfureux, comme si la subversion impliquait le scandale. Il est vrai que le rôle joué par l'inénarrable Ardisson dans le cas Soral apparaît digne du personnage : malsain et pervers. Ardisson commence par l'inviter pour mieux l'éreinter en son absence, face aux bégaiements de protestation de l'histrion Dieudonné.
On a envie de croire Soral quand il affirme qu'Ardisson le serrait dans ses bras en toute connaissance de cause quelque temps avant dans un restaurant branché pour mieux le clouer au pilori du nouvel antisémitisme français, une fois le scandale survenu! On ne fraye pas avec Ardisson impunément, sans goûter au parfum du diable (voir la Peau de chagrin)... Revenons au cas Soral. Le scandale lui profite tout de même, puisqu'il se construit l'image de l'écrivain marginalisé du fait même de son génie. Soral a beau jeu de vociférer qu'il a manqué d'être assassiné, ce qui est peut-être vrai, par des nervis extrémistes juifs, il accompagne dans la foulée Dieudonné et Meyssian au Liban lors d'une tournée triomphale orchestrée par le Hezbollah notamment. Si ce n'est pas de la provocation consentante...
Tiens, cette posture rappelle comme par enchantement les brillantes envolées d'un certain Nabe, le grand-ami-des-Arabes-pourvu-qu'ils-se-révèlent-les-ennemis-acharnés-de-la-Juiverie-
Capitaliste-Mondialiste... Mais aussi... ce brave Dantec, héros de cyber-polars futuristes et inclassables, dont les positions "politiques" sont certes aux antipodes (pro-Bush et sionisme revendiqué de rigueur !), mais la soif de provocation au même paradigme de zénith. Tous ces penseurs ont pour point commun de dire à peu près n'importe quoi, à condition que ce soit proféré très haut et très fort. Il est certain que leur positionnement respectif se révélera risible d'ici quelques années (point n'est besoin d'attendre sur ce point la décennie). Le seul Soral exprime un cas singulièrement pénétrant, au sens où Nietzsche évoque le cas Wagner. Si Dantec est un bouffon dont les outrances gênent en premier ses amis politiques, si Nabe recherche l'emphase solitaire et posthume, Soral, quoiqu'il s'en défende avec l'énergie du boxeur (dont il possède le punch), évoque des idées rappelant étrangement celles du Front National...
National Hebdo et d'autres médias très à droite ne s'y trompent pas et le célèbrent comme la Voix de la beaufitude, d'autant plus facilement qu'il s'inscrit dans une ligne politique aux antipodes, lui qui se réclame à corps et à cris de l'extrême-gauche (en vrac, Marx, Goldmann et Lukacs lui servent de maîtres-penseurs). Certaines convergences avec l'extrême-droite sont pourtant moins paradoxales qu'il n'y paraît. On aurait en effet pu soupçonner Soral de se livrer à une manipulation perverse et outrancière et d'avancer masqué, un peu comme quand Marine Le Pen se réclame du centre-droit ou que Ben Laden prétend servir la cause des Palestiniens. A ce compte, on peut aussi se prétendre du service divin et suivre la logique des illuminés... C'est oublier que le premier parti ouvrier fut le moribond Parti communiste et que le transfert s'est opéré, non vers l'extrême-gauche (à laquelle plus personne ne croit sauf les bobos) ou le Parti socialiste, mais vers le Front National. Depuis vingt ans, on s'acharne sur les frontistes et leur leader charismatique, à grands renforts d'argumentaires moralistes et hypocrites. Le seul résultat tangible aura été d'accroître la puissance de ce parti démagogique, trop heureux qu'on l'attaque précisément sur son terrain de prédilection, celui de la démagogie et du mensonge. La revendication cocardière conduit droit à l'extrême-droite, où l'on ne rencontre plus seulement pêle-mêle les nazillons décervelés, les nostalgiques de l'Algérie française et les adeptes des valeurs catholiques d'avant-Vatican II. C'est Monsieur-tout-le-monde qui donne sa voix à Jean-Marie - et Monsieur-tout-le-monde, c'est le beauf français.
Justement, Soral se revendique Gaulois, fier de ses racines savoyardes et banlieusardes. Soral déplore avec nostalgie le charme désuet de la banlieue rouge d'avant les vagues d'immigration tiers-mondistes. Soral en a bavé. C'est un autodidacte, un homme du peuple, un titi de la rue parisienne, quelqu'un qui connaît la misère et la souffrance. Ces différents labels suffisent à en faire Celui-qui-dit-la-Vérité-Interdite. Surfant sur l'idée poujadiste que l'essentiel est caché (à la populace), et qu'il suffirait de quelques mesures simples pour retrouver les bonnes vieilles valeurs d'antan, Soral n'hésite pas à jouer sur les stéréotypes les plus éculés et contradictoires pour instaurer un discours démagogique en direction du beauf français. Soral n'a-t-il pas toujours raison? Les faits lui seraient favorables. Il posséderait toujours une longueur d'avance sur les intellectuels à la mode discrédités dans l'opinion, les Finkielkraut, BHL et autres Bruckner... Il est vrai que la cuistrerie d'un BHL est impayable, mais il se trouve que, coïncidence étrange, ces penseurs considérables ont pour trait commun leurs origines juives... D'ici à ce que Soral se rêve en éminence grise d'un candidat à la présidentielle, il n'y a qu'un pas, peut-être imminent quand on mesure les velléités d'engagement politique de Dieudonné (ce papier fut rédigé avant que Dieudonné ne visite les stands du Front National lors de sa fête annuelle). Evidemment, une lecture de la littérature soralienne délivre un verdict embarrassant : notre pamphlétaire vend, et bien, fort d'une trouvaille très marketing : coucher sur le papier toutes les outrances que nul autre que lui n'oserait assumer - dans un style lapidaire et percutant. Au final, ce n'est pas que Soral manque de talent, c'est que ses idées ressortissent de la soupe édifiante. Lui qui ne cesse de se prétendre sociologue de terrain prétend délivrer ses opinions sur une base scientifique qu'aucun examen sérieux ne permet d'étayer. Il assène au lieu de démontrer, se contentant de jouer du paradoxe le plus extrémiste et de prendre à rebours toutes les opinions progressistes à la mode. Il n'est pas inutile de se moquer du Progrès comme idéologie; reste qu'à force de regretter le passé, on finit réactionnaire de choc.
Rien d'étonnant à ce que son rapprochement avec Le Pen, mentionné sur son site même par deux sources de la presse parisienne, se soit opéré par l'intermédiaire de la fille-héritière. Marine a toujours rêvé d'imiter les nationalistes italiens ou autrichiens en offrant le profil respectable de la morale bien-pensante et en rompant avec les outrances injustifiables de son encombrant et charismatique géniteur. Soral lui offre l'occasion unique de trouver une plume en mesure de la brancher sur l'électorat de demain de l'extrémisme-droite : non plus le beauf gaulois, en voie de disparition, mais le prolétaire issu du Tiers-Monde et parqué dans les banlieues, où il n'en peut mais de suinter la haine aveugle et autodestructrice. Le nationalisme n'a de chance qu'auprès des désespérés qui pensent discerner dans les mirages de la violence le salut à tous leurs maux. La Force et l'Ordre peuvent leur offrir l'Espérance à laquelle aucun politicien des différentes coteries démocratiques n'ose s'intéresser, trop occupé à satisfaire les lubies des élites mondialisées. Après tout, ils retrouvent les discours qu'on leur serine dans leurs pays d'origine depuis belle lurette, et avec usure, depuis en fait que la décolonisation a offert à certaines élites corrompues et peu scrupuleuses l'occasion unique de justifier leur exploitation éhontée par le fait exclusif des méchants-Blancs-esclavagistes-et-colonialistes.
Le cas Soral illustre la séduction qu'offre la violence, qui prétend tout résoudre à condition qu'on lui confie en victime expiatoire un bouc émissaire. Soral a compris que le sien ne saurait être l'Arabe marginalisé des cités. Victime idéale de son discours, il en a fait son allié, en comptant l'endormir avec des diatribes pro-palestiniennes et machistes.
Soral connaît la tentation politico-démagogiques de tous les écrivains ratés : c'est un agitateur qui se nourrit à la source de son agitation. Après avoir trouvé un lectorat qui lui confère une légitimité, il rêve désormais d'un destin politique. Pas en chef de parti, mais en cardinal Richelieu, en homme de l'ombre et d'intelligence, de réseaux et d'influences. Soral a reniflé que la société française était malade de ses antagonismes ethniques. Il souffle sur les braises pour voir jusqu'à quel point le petit Beur paumé est prêt à lui emboîter le pas. Avec une idée constante : derrière l'incompréhension se cache la fascination humaine pour la violence. Qu'est-ce que l'extrémisme de droite, sinon l'idée que les problèmes d'une société se résolvent par le recours à la violence - donc que la violence s'institue comme l'arme de dissuasion contre l'imperfection du monde, dans une spirale infernale de surenchère qui conduit à l'escalade finale ?
Soral se réclame de l'extrême de gauche pour mieux prôner celui de droite. Il incarne l'alliance de la victimisation, propre aux discours des déshérités (toutes les critiques qui pleuvent sur ma tête sont injustifiées), et de la violence comme solution, le tout dirigé vers les nouvelles couches susceptibles à ses yeux de se montrer séduites par ce nouveau type de discours - en gros, les musulmans de France, que les critiques les plus acerbes à leur endroit finiront bien par convaincre de rejoindre les rangs frontistes, là où leur est promis le statut d'exceptions méritant toutes les attentions qu'il attendent. Soral personnifie la violence comme besoin indéfini de bouc émissaire.
Le bouc émissaire est justement tout trouvé : c'est le Juif, en tant que figure du Complot réunissant dans une fratrie confuse tous les bénéficiaires du Système corrompu et mensonger. Ainsi le Juif est implicitement au centre des lobbies qui régissent en sous-main la société du spectacle et s'occupent de l'exclure, lui, le héraut de la vérité, parce qu'il dérange à juste titre!
En vérité, Soral hait d'autant plus la victime qu'il se veut une perpétuelle et paradoxale victime. La seule qui mérite l'attention. Les vraies victimes, elles, se passent aisément de leur statut inconfortable. Lui en vit. Et si, demain, les nouveaux déshérités des banlieues trouvaient dans ce type de discours de quoi faire ressurgir les démons qui enfantèrent le nazisme dans l'Allemagne sinistrée de l'entre-deux guerres ou le communisme de la Russie post-tsariste? Khomeyni n'accéda-t-il pas au pouvoir après les excès d'autocratie du Shah? Une intuition : les futurs électeurs du FN ne sont pas la poignée de nostalgiques de l'ancienne France. Ceux-là se comptent sur les doigts d'une main et se trouvent en voie de disparition, en bonne compagnie avec les dauphins et les ours. A force de geindre ou de couiner, ils en seraient presque attachants. Ce sont les enfants de NTM et du shit, exclus du travail et orphelins de la société de consommation. Dans vingt ans, le descendant d'esclave ou d'opprimé(deux catégories qui n'ont pas fini de faire parler d'elles...), qui aura entendu son père hurler jusqu'à se briser les cordes vocales avec Joey Starr, lassé de sa précarité et de son métissage stérile, votera-t-il pour le fils politique enfin convaincant de Dieudonné? C'est la question que l'on peut poser en observant les agitations convulsives qui animent d'ores et déjà Soral, dont on peut se demander si elles ne cachent pas les velléités d'un prochain totalitarisme et d'une nouvelle quête de pureté. L'histoire se répète toujours, pensait Schopenhauer, y compris dans ses démons. Il se pourrait que l'islamisme accouche d'un bâtard fascisant en terre d'Occident.

J'ai envoyé ce texte à Soral. Voici ce qu'il me répond par mail :

"Vous répondre quoi ?
Qu'il vous manque l'honnêteté et le talent ?
Je ne suis pas là pour faire de la peine aux minus mais pour aider les
affligés !

Bien à vous,

AS."


Et voici ma réponse :

Ce n'est pas à moi de décider de mon "talent" ou de ma "grandeur" (car nous en avons tous au moins un peu et il arrive souvent, comme il est dit dans la Bible, que la pierre que le bâtisseur refuse soit celle de touche...) et le fait que vous preniez la peine de répondre est tout à fait louable (ce ne serait pas le cas de tout le monde!). Par contre, je vous trouve très méprisant et définitif - mais peut-être tout votre talent se situe-t-il dans vos narines... En tout cas, le minus, qui n'oublie pas qu'il vous a envoyé une note de contestation sévère, se "console" en se répétant que les derniers seront les premiers!
Comme j'adhère fermement à la sagesse christique, je vous souhaite très sincèrement beaucoup d'amour pour la suite de votre existence (mais oui!), fort du principe selon lequel il est facile d'aimer ceux que l'on apprécie et que le vrai test consiste à aimer aussi et surtout ceux envers lesquels on ressent du désaccord, voire de la réprobation.
Bien cordialement donc,
Koffi Cadjehoun
P.S. : si toutefois l'envie vous prend, j'ai créé un blog d'humeur, qui s'intitule Au tour du réel et dont la présentation est encore provisoire.

Nouvelles réponses :

Pour un honnête homme vous avez beaucoup de pseudos !
Si vous signiez de votre vrai nom pour commencer ?

AS.

Et enfin :

Bien sûr Omar-Koffi-Benoît... Et pourquoi pas Moshé ?!
J'aurais du temps à perdre, je t'expliquerais combien ton texte c'est de la
merde, mais la révolution m'appelle, désolé, plus de temps à perdre !

Bien le bonjour du côté d'Eonville...

AS."

Je lui ai répondu en substance que, navré d'avoir perdu le temps d'un personnage aussi considérable, je préférais retourner cultiver mon Montaigne... La lucidité me commande d'ajouter que Soral est sans doute ce dont il accuse, apparemment dans un réflexe pavlovien, ceux qui le critiquent : un minus de la pensée. Comme symptôme sociologique, lui qui, ne doutant de rien, se présente comme sociologue, Soral par contre incarne, à mes yeux, l'extrémisme de demain réunissant l'extrême-gauche et l'extrême-droite dans un même projet de violence sensée sauver la société de ses dérives multiples.

Doubles et rhétorique

Le double comme marque de l'illusion, cher à Clément Rosset, est aussi la meilleure rhétorique pour s'assurer d'une audience convaincue et incontestable. J'en veux pour preuve, inattendue, le discours sur la prostitution qui fleurit à l'heure actuelle dans de nombreux milieux. Certains expriment franchement l'ignorance, d'autres estiment que la subversion continue à passer par ce type de positions, au nom de 68 et de la lutte contre le moralisme par exemple. En gros, à écouter Bruckner et d'autres intellectuels, champions de l'hédonisme et de la libération des moeurs, certains manifestant un formatage intellectuel franchement médiocres (comme Iacub), il y aurait les prostituées-esclaves, victimes des réseaux internationaux de la traite humaine, et les prostituées volontaires, celles-là réalisant un travail non seulement consentie, mais qui plus est bénéfique pour une certaine catégorie de la population (la prostituée-psychologue et sexologue étant, comme chacun le sait, appelée à remplacer le sexologue et le psychologue). Je pourrais revenir sur les prémisses évidemment fausses de ce type d'argumentaire. En gros, l'aberration consiste à faire croire que la liberté est présente comme une donnée intangible en chaque individu et que son usage ressortit du libre-arbitre de chacun. Je m'attacherai plutôt au vice inhérent à ce type de raisonnement. S'il est vrai que le double est le symptôme de l'illusion, alors ce discours traduit la duplication de la réalité. En l'occurrence, le réel exprime bien la simplicité de toute chose si l'on rappelle la vérité banale et tragique : la prostitution constitue une destruction du corps, et plus encore de l'esprit, pure et simple.
Par contre, certaines données impliquent que ce genre de discours ne soit pas franchement illusoire, comme ce pourrait être le cas d'un certain idéalisme forcené et sans application possible. En l'occurrence, le discours de légitimation d'un certain type de prostitution ne signale pas seulement la confusion (par exemple) entre la libération des moeurs et de la sexualité (salutaire entreprise en tant que telle) et la légitimation de la violence (sexuelle) au nom de cette attente (entreprise perverse et manipulatoire cette fois). Car il faut bien comprendre que la banalisation de la prostitution et sa légitimation sont les préalables théoriques indispensables à la modification escomptée et tacite, d'ordre très pratique celle-là - je veux parler de la réglementarisation juridique de la prostitution qui s'étend à l'Europe, depuis que l'Allemagne a emboîté le pas aux Pays-Bas sur ce triste thème de l'ultra-libéralisation du corps humain. Selon cette vision où l'argent est une fin et le corps une machine (on serait en droit d'attendre plus de modération et de bon sens en rappelant que l'argent est un moyen et que le corps appartient à une personne douée de sentiments), la prostitution devient un métier possible, comme l'agriculture, selon les mots même de l'inénarrable Iacub, l'alter ego méconnu de Voltaire dans sa lutte contre l'Infâme contemporain. Cas typique de duplication hallucinatoire : il y aurait l'esclave et l'agriculteur comme il y a la prostituée et l'esclave sexuelle. En vérité, l'agriculture en tant que telle est une activité qui permet aux sociétés humaines de se nourrir et d'entretenir les sols de leur espace (entre autres), alors que la prostitution est une destruction de la personne au service de l'enrichissement d'organisations criminelles. L'agriculture en tant que telle construit quand la prostitution en tant que telle détruit. C'est une évidence et qui ne veut pas l'entendre pourra toujours arguer de sa bonne foi en suivant un stage chez un agriculteur, puis dans une maison close. C'est d'ailleurs ce que Iacub devrait commencer par entreprendre avant de se lancer dans ses envolées lyriques, dont le comble est qu'elles prétendent défendre la liberté de personnes atteintes dans leur dignité, au même titre que Séraphin Lampion, dans Tintin, prétend défendre l'élégance contre la vulgarité en nous révélant qu'il n'a rien contre la musique, mais qu'en pleine journée, il préfère franchement un bon demi.
Au passage, une énigme me taraude l'esprit : pourquoi une jeune femme charmante aurait-elle le droit de débiter des sornettes dans les médias en bénéficiant de plus de mansuétude qu'un homme à l'esprit sagace ? La beauté et un piquant accent sud-américain seraient-ils de plus pertinents arguments pour le grand public qu'une petite taille et des traits repoussants ? Curieuse discrimination, qui permet à Iacub de délirer, mais à dessein : car la duplication comme mode de fonctionnement de l'illusion autorise, comme par enchantement, la légalisation des dizaines de milliards d'euros que charrie la prostitution sur l'espace européen. A ce propos, Bruckner nous informe qu'il éprouva fut un temps le besoin de coucher moyennant finances avec des grosses - un fantasme comme un autre. C'est curieux, ce besoin d'étaler ses expériences sexuelles dans les médias. Tout le monde devrait se moquer du ridicule de pareilles déballages. Ou plutôt les prendre avec compassion. En effet, c'est une souffrance que d'être narcissique et de se sentir vide. Pourtant, là n'est pas l'essentiel ! Les fantasmes de M. Bruckner nous indiffèrent peut-être, mais ils illustrent les catégories du décalage et de la vacuité. C'est un peu comme si un styliste s'offusquait de la tenue débraillée et du manque de goût des personnes prostituées sur les trottoirs! Curieuse inclination qui consiste à se montrer incapable de saisir l'ordre des priorités et surtout à entrer en contact avec la souffrance d'autrui ! Comme par hasard, cette définition est aussi celle de la perversion. Et c'est sans doute du côte de la psychopathologie qu'il faut chercher les raisons de la légitimation de la prostitution comme activité indispensable : la perversion consiste bien à occulter la violence et la souffrance dont autrui est victime pour se focaliser sur mon indispensable et incompressible besoin de plaisir immédiat et narcissique. Des Juifs montent peut-être dans le wagon vers Daschau, mais, désolé, je n'ai plus de patates dans la cave pour lancer une bonne vieille goulasch. Voilà le vrai problème du moment. Il révèle l'absolue tragédie de l'existence humaine.
La banalisation de la prostitution appartient à la monstruosité quotidienne et ordinaire. Elle permet à beaucoup de vivre l'esprit tranquille, comme si les personnes prostituées ne souffraient pas. Elle touche au domaine du sexe, domaine tabou entre tous, dont la méconnaissance, voire l'effroi permettent d'aborder le sujet en toute méconnaissance et déformation. C'est pourquoi l'attitude se présentant comme volontiers subversive qui consiste à légitimer la prostitution ne fait qu'accompagner l'entreprise classique de manipulation à des fins de profit massif. La vraie subversion aujourd'hui consiste à défendre les personnes prostituées comme des victimes et à lutter contre les discours illusoires. Tout un programme dont le corrolaire n'est pas le retour à la pudibonderie et au moralisme, mais bel et bien à la libération du sexe. La vraie. Celle du réel et de la liberté bien comprise.