samedi, janvier 20, 2007

Docteur David et Mister Lynch

David Lynch est le meilleur réalisateur contemporain que j'aie rencontré - sur les écrans. Non que les bons cinéastes manquent. J'ai récemment eu la chance d'assister à la projection du dernier Scorsese, un très bon tonneau ma foi, Les Infiltrés. Pourtant, quand je sors d'un film de Lynch, comme ce sera bientôt le cas en février avec Inland Empire, l'impression est radicalement différente. Scorsese traite de sujets intéressants avec un talent indiscutable, mais sa manière d'aborder les thèmes respire la convention. Scorsese est très bon - très attendu, aussi.
J'imagine que le premier producteur qui se trouva confronté aux premières oeuvres de Lynch comprit surtout que l'artiste autiste sortait des sentiers battus. David Lynch est unique. Déjà par ses thèmes, qui oscillent entre fantastique et mysticisme. Ensuite par sa manière de filmer, troublante à force de verser dans l'onirisme et l'obsessionnel. Lynch a sa manière de rendre la couleur, en l'occurrence le rouge, omniprésent, inquiétant et terriblement oppressant; ses gros plans flous recueilleraient l'indignation d'un jury académique.
C'est pourtant par ses flous que Lynch m'a marqué en premier. Tout est admirable chez ce plasticien reconverti à la pellicule, mais le flou représente chez lui la fine pointe du réel - sa texture intime et indicible. Lynch a compris que le réel était au-dessus des mots, de tous les mots. Raison pour laquelle il privilégie les histoires troubles, dans tous les sens du terme. La violence est si sourde qu'elle ne manque jamais d'alarmer le spectateur. Mais le trouble abonde aussi dans l'esthétique. Je ne compte plus les scènes où la voix subit une distorsion, où l'image se brouille et se floute. C'est d'ailleurs le message diffus, mais omniprésent, qui ressortit des films de Lynch. Le plus étonnant n'est pas encore que l'on y trouve des médiums paumés ou psychotiques, des psychopathes en relation harmonieuse avec le diable ou des schizophrènes souffrant d'hallucinations surnaturelles.
Le surnaturel n'est pas l'élement le plus étonnant chez Lynch. La Loge Rouge ou la Blanche, pour extraordinaires qu'elles soient, ne sont jamais que de l'ordinaire dans l'extraordinaire qui peuple les scénarios. Le réalisme n'est décidément pas le fort de Lynch! Peut-être Docteur David excelle-t-il davantage dans le genre, lui qui réussit à accoucher le grand maître d'Une histoire vraie.
Mais Mister Lynch est l'ordonnateur ultime de son imaginaire! C'est bien lui, et lui seul, qui est passé maître dans l'art de dévoiler l'envers du décor : ce qu'est le réel derrière son réalisme habituel et son apparence routinière. Le réel est-il aussi inquiétant que Lynch veut bien le montrer? L'angoisse à laquelle nous conduit Lynch n'est-elle qu'un effet de manche un peu cabot? Je ne sais, mais je n'ai jamais éprouvé autant le sentiment de la menace que face aux délires psychologiques du Mister. Bob engendre bien plus de terreur que tous les dentistes psychopathes du monde!
C'est que Lynch pose la question fondamentale à laquelle a à répondre la philosophie : le réel se réduit-il à nos humaines représentations ou déborde-t-il de toutes parts leurs limites et leurs faiblesses? Pour Lynch, la cause est entendue : le réel est ce grand inconnu mystérieux dont nos rêves et notre imagination nous fournissent un aperçu plus adéquat que nos sens.
Justement, Lynch mêle avec un génie provocant et cruel l'ontologie à la morale : en posant la question du Mal avec une telle acuité, il ne fait que prolonger ses terribles prémonitions : notre expérience du réel, dans laquelle nous tentons tant bien que mal d'instaurer le règne du Bien et de l'Ordre, ne serait-elle que la face immergée d'une réalité qui serait terriblement complexe et ambiguë?
Il est frappant de constater à quel point Lynch ne peut concevoir le surréel sans y adjoindre une touche maléfique et poignante. Le Mal ne s'élabore pas n'importe où : c'est dans l'anodin qu'il prospère. Blue Velvet, Mulholland Drive, Twin Peaks, autant de titres de films ou de séries qui tissent leurs terribles trames dans les endroits les plus paisibles : quartiers bourgeois, bourgs de forêt isolés et bucoliques, résidences luxueuses et discrètes...
Le danger se tapit au coeur de la tranquillité - le Bien dans les entrailles du Mal. En témoigne la série Twin Peaks où Laura Palmer est à la fois la vierge effarouchée et la putain dévergondée. Laura apparaît à la fois dans la Loge Rouge et la Blanche. Même l'enquêteur n'est pas un héros comme les autres. Avant d'apparaître comme le plus farfelu des médiums, il est l'incarnation contre-nature et amorale de Bob lors de la dernière scène (curieux de constater que la figure du démon, soit l'incarnation du sadisme à visage découvert, porte le diminutif le plus ordinaire de la vie américaine, Bob).
Inextricablement mêlées, la violence et la douceur cohabitent comme les deux mamelles auxquelles le monde s'abreuve pour perpétuer sa marche en avant indéfinie et aveugle. Lynch se contente de constater sans prendre parti. Je n'ai jamais vu le sens aussi mis à mal que dans un film de Lynch : pas un film qui ne soit compréhensible! Malgré tous les efforts de recollage ou de reconstruction a posteriori, il reste toujours un élément divergent ou une contradiction qui perdure. Impossible de fournir un sens cohérent à Mulholland Drive ou Lost Highway, moins du fait d'une erreur d'écriture que d'un effacement du sens au profit du réel. Le spectateur se retrouve dans la position habituelle de l'homme qui humanise le réel en lui adjoignant du sens après coup. Après coup toujours, car aux commencements, il n'y avait - rien.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonsoir ayant lu votre note je me demandai si vous seriez intéressé par une avant-première de Inland Empire de David Lynch ce mercredi à 17h. Si oui écrivez-moi à vbalnave@vanksen.com

susane a dit…

Tous les conseils que vous avez partagés sont adorables !!! Merci.

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voyance gratuite par mail a dit…

J’aime beaucoup les sujets que tu traites, qui semblent tellement simples et habituels pour nous blogueuses qu’on ne pense même pas à en faire un article.