samedi, janvier 20, 2007

Le privilège de la vérité

J'écoute Ce soir ou jamais du 18 janvier. Robert Reddeker en est le triste invité-vedette. Les philosophes Meddeb et Pena-Ruiz, l'un musulman (très) tolérant et l'autre spécialiste de la laïcité, sont venus pour le défendre inconditionnellement. Ils ne sont pourtant pas d'accord avec le contenu de l'article paru dane le Figaro , qui a valu au professeur l'opprobre des milieux terroristes islamistes. A écouter le débat, l'évidence saute aux yeux : l'Islam est malade de l'islamisme. Cette constatation de bon sens participe d'un terrible constat, de portée générale, qu'édictait d'ailleurs le Coran dans sa distinction entre Grand et petit djihad et la prééminence accordée au premier : les pires ennemis se trouvent à l'intérieur (en l'occurrence, de la communauté). En attendant que l'Islam trouve le moyen de se débarraser de ses théologiens archaïques, il serait bon de se demander comment la violence peut être légitimée à ce point par un courant important de la troisième religion monothéiste (historiquement parlant).
Qu'est-ce que l'islamisme? C'est le cas particulier d'un fait universel : décréter que la Vérité, Une et Irréfragable, est descendue dans l'ordre du sensible. Identifier la Vérité à Dieu n'est nullement affaire suffisante. Il faut de surcroît considérer que la Vérité peut être atteinte par l'homme et s'installer dans le sensible.
Celui qui considère que la Vérité existe, mais que l'homme ne saurait en disposer, ruine d'avance toute possibilité de réalisation de la Vérité. Ainsi de Démocrite. Mais celui qui considère que la Vérité ne saurait faire l'objet d'une incarnation historique ne se montre guère plus amène à l'égard de cette appréciation du divin.
En effet, considérer que la Vérité est compatible avec l'ordre mouvant du devenir et de l'histoire relève d'une profonde aberration, que je n'hésiterai pas pour ma part à qualifier de paranoïaque. A supposer que l'idée de Vérité ait un sens au-delà de l'esprit humain, comment concevoir que cette Vérité puisse être fixée à un moment donné de la finitude et indépendamment du recours (nécessaire) à l'interprétation?
J'ajoute que considérer que la Vérité a appartenu à un moment donné et passé (en l'occurrence par l'entremise de la Révélation) relève du réflexe le plus réactionnaire. Tous les islamistes qui rêvent de ce retour à la Pureté de l'Age d'Or commettent un péché contre la pensée (et, ajouterais-je, contre la cohérence de leur foi). Car le fantasme d'une Vérité qu'il suffirait de suivre pour mener une vie vertueuse s'est toujours manifesté comme l'Arlésienne du désir quand les repères identitaires vacillaient dangereusement.
De même que c'est quand le moi est en crise que le moi identitaire fait parade forcenée d'existence, de même est-ce quand le sens s'estompe que le fanatisme surgit (les analyses de Rosset dans Loin de moi sont sur ce point lumineuses). Le fanatique ne supporte pas l'absence de certitudes à laquelle le réel nous astreint bon gré, mal gré. La trop fameuse citation de Nietzsche ("Le besoin d'une foi puissante n'est pas la preuve d'une foi puissante; quand on l'a, on peut se payer le luxe du scpeticisme") corrobore l'impression que le fanatique se réclame du rationnel pour fonder sa foi. Plus l'on a besoin de certitude et plus l'on ancre son besoin sur la rationalité et le sens. L'incertitude suppose la reconnaissance des limites de la raison et du sens.
Tout comme Salman Rushdie est un écrivain de deuxième zone à qui la fatwa de Khomeyni a procuré une publicité inespérée et imméritée, il est certain que Reddeker divague. Peu importe en la matière. Ce que lui reprochent fondamentalement ceux qui le menacent de mort n'est pas tant son agressivité de ton ou ses erreurs de jugement que le fait qu'il dit vague. Plus de clarté et de précision auraient sans doute permis au professeur d'embrasser leur parti. Celui de la vérité. Tel ne fut pas le cas. Dès lors, tout était dit. Il ne restait plus qu'à venger le parti de la vérité.
Autant dire à faire disparaître l'impétrant. Car il ne s'agit pas d'un crime pour l'esprit paranoïaque, mais d'un réflexe de survie : ne pouvant subsister avec le confort nécessaire que dans un monde garanti avec un certain coefficient de certitude, tout élément rappelant l'incertitude est automatiquement biffé de l'existence. Le fanatique s'arroge le droit tout-puissant de décider ce qui doit exister ou pas au nom de la Vérité. Entre sa propre existence et celle d'autrui, son choix ne se décide pas. Il coule de source.

1 commentaire:

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Vraiment, cet article est vraiment très pertinent, comme toujours.