dimanche, avril 29, 2007

Atours du réel, pour ceux qui en ont assez des billets d'humeur.
http://atoursdureel.blogspot.com
La saison 2 d'Au Tour du Réel a commencé : http://autourdureel2.blogspot.com/
Eloge de la concision : Soit dit en pensant.
http://soitditenpensant.blogspot.com/

jeudi, mars 29, 2007

mercredi, mars 28, 2007

Victime

Ce sont les vainqueurs qui écrivent l'histoire. Cette célèbre formule permet d'expliquer que les faits, tels qu'ils sont relatés par les mémoires humaines, dont les écrits prennent le relais, sont toujours présentés à la gloire de ceux qui les écrivent. Ainsi des Perses d'Eschyle, qui livrent l'apologie inconditionnelle des peuples et cités grecs, à tel point que le dramaturge s'offre le luxe de présenter les Hellènes comme les faibles ayant vaincu par la ruse et l'intelligence les mastodontes promis à la victoire, dans un combat central et décisif.
Malheureusement, la vérité diffère grandement. Les Perses devaient se moquer de ces défaites et considérer les Grecs comme les limbes marginales de leur Empire munificent. Quelle serait la version perse de son rapport controversé aux Grecs? Sans doute pas celle que l'on connaît de Salamine et consorts. Les Perses étaient incomparablement plus puissants que les Grecs. Ceux-ci durent trouver un motif rare de glorification pour en profiter et se targuer du luxe de la victoire. Si les Grecs avaient perdu...
Mais les Grecs n'ont pas perdu ! Au contraire, ils sont au fondement de la civilisation occidentale, cette même civilisation qui aura réussi l'exploit de cimenter les traditions juive et romaine pour instaurer une domination sans partage sur le reste du monde (pour l'instant). Civilisation qui est aussi à l'origine du plus formidable paradoxe de l'histoire : d'avoir à la fois reconnu le droit des victimes et participé au système politique classique, qui consiste à cautionner le droit du plus fort sans aménité. Ce qui fait la force fait aussi la faiblesse.
L'Occident est cette civilisation qui aura la première aboli l'esclavage, alors qu'elle l'avait largement pratiqué durant les siècles précédents, prenant une large part aux traites négrières (qu'elle n'avait, il est vrai, jamais fomentées, puisque les traites négrières furent lancées par les grands rois nègres, avant que les Arabes n'en reprennent le principe - je renvoie au remarquable travail de Pétré-Grenouilleau, Les Traites négrières. Essai d'histoire globale). De la même manière, l'anticolonialisme le plus conséquent est né en Europe, non en Afrique ou en Asie (ce paradoxe connaît un redoublement saisissant avec la critique antiaméricaine, dont on sait que les variétés les plus fouillées et cohérentes se trouvent en Amérique du Nord).
Il n'est pas besoin de chercher plus loin le principe de la victimisation, qui s'est emparé de certains esprits, à tel point qu'ils n'hésitent pas à se déclarer victimes de naissance, de culture et de sang. A quand une victimisation raciste? Puisque cette dernière existe déjà et tait son nom derrière certains étendards d'antiracisme, il serait temps de distinguer la victime du manipulateur éploré. Car la victime, elle, est cet être qui a souffert sang et eau et s'en serait bien passé.
Ainsi de l'esclave, quels que soient les motifs de correction que l'on puisse apporter pour resituer l'esclavage dans son contexte. Ainsi de l'Afrique d'aujourd'hui, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle s'impose comme la victime de l'esclavage, du colonialisme et du néocolonialisme ajouté. La moindre prouesse de l'Occident n'est certainement pas d'avoir laissé entendre qu'il s'était retiré de son Empire après 1960. En réalité, il n'a fait qu'user d'une ruse géo-stratégique et instaurer un colonialisme de tutelle, camouflé en façade par des régimes qui n'avaient d'indépendance que le nom (et encore).
Paradoxalement, la grande victime cache souvent le vainqueur de demain. Au contraire de ces Noirs qui font de la politique avec la souffrance du passé, jusqu'à instaurer des purges culturelles aberrantes aux Etats-Unis, au nom de la discrimination positive, les Africains qui paient, au Cameroun, au Congo, ou ailleurs, la mise sous coupe réglée de l'Afrique et de ses richesses, ignorent que leurs petits-enfants participeront au développement du monde et aux profondes mutations qui attendent l'équilibre de l'humanité. Je me souviens d'un ami mauritanien qui m'expliquait que l'Africain était ce paysan rivé à sa terre et ses traditions, totalement réfractaire aux mutations technologiques, et en particulier aux avancées spatiales. Dans ma boule de cristal, je discerne les signes exactement inverse.

lundi, mars 26, 2007

Violence

A la question : que fait-on de la violence?, l'homme moderne n'a toujours pas répondu. Il serait pourtant temps qu'il s'en saisisse et y cherche un début de solution. Car la formidable déflagration de violence qu'a soufferte le vingtième siècle n'est pas inexplicable ou anecdotique. N'oublions pas que le vingtième fut le siècle des idéologies et que ces idéologies se révélèrent toutes criminelles. C'est ainsi avec la perfection : elle accouche immanquablement de l'imperfection.
Que le siècle qui se voulut le siècle de la liberté et de la paix se soit révélé le plus meurtrier (selon la constatation étonnée de Revel et, aussi je crois, de Furet) n'est pas un mince paradoxe. Ce n'est pas pour autant une surprise. Car le grand mouvement lancé contre la violence atavique, le système politique classique, a autant consisté à s'attaquer aux phénomènes de boucs émissaires et à l'équilibre de l'institution sociale qu'à instaurer la prédominance de la rationalité.
Ce mouvement possède des racines amples, qui plongent dans la Renaissance, et surtout dans le siècle des Lumières. Sans doute cette foi dans la raison cache quelque aveuglement quant à la puissance réelle de cette faculté si limitée. La raison est loin de gouverner l'homme, même si ses pouvoirs demeurent réels. René Girard a montré avec pertinence que le mouvement rationaliste devait ses racines au christianisme, soit à la religion qu'il a combattue comme un fils son père. Non pas le christianisme du coeur ou de l'intériorité spirituelle, mais ce christianisme dogmatique, de la cité des hommes, devenu si fou qu'il engendra le mythe impressionnant de la Légende du Grand Inquisiteur chez l'incomparable Dostoievski.
Justement, le grand reproche qui est adressé au christianisme porte sur le devenir de cette violence mise à jour. Défendre les victimes, le parti-pris est un bouleversement humain insigne, mais que fait-on de cette violence, dont il ne faut pas oublier qu'elle participe du désir et qu'elle est source d'une grande force et d'une grande énergie? Je me souviens d'un théologien et philosophe musulman algérien (fort valeureux, celui-là, à l'inverse des énergumènes énervés qui sévissent sur certaines chaînes du câble), qui, si je me souviens, expliquait que l'Islam refusait de condamner la violence en tant que telle. La vengeance et la défense trouvaient ainsi une légitimité, faute de quoi le commandement conduisait à l'hypocrisie.
Il est vrai que, dans le Nouveau Testament, Jésus appelle à tendre la joue gauche quand on vous frappe la droite. Je me montrerais sceptique sur cette non-violence si extrême qu'elle en devient extrémiste. Car Jésus est ce même qui renverse les marchands du Temple et leurs colifichets avec une vigueur (heureusement) peu bêlante, tant il est vrai que l'amour du voisin n'est pas la soumission aveugle à ses moindres desiderata.
L'Occident a tant et si bien rationalisé ses lois et ses moeurs que, bon an mal an, il parvient à diminuer la violence institutionnelle. La disparition de l'esclavage et l'avènement de la démocratie constituent les deux pierres d'angle de cette mutation profonde. Il est certain que, pour n'avoir pas posé le devenir de cette mutation, la violence a investi d'autres formes. D'institutionnalisée et d'encadrée, elle s'est adaptée à la condamnation officielle et à sa mise en lumière. Ce n'est pas un hasard si le féminisme est intervenu comme l'émancipation emblématique du vingtième siècle. Le décryptage de la violence ne pouvait que sonner le glas du machisme et l'affirmation du féminisme. La violence s'est transformée : de soumise à des normes cruelles et horribles, elle est devenue diffuse et incontrôlable. Voilà pourquoi des théories toutes faites ont prétendu à son éradication.
La règne de la perfection est bien l'émanation de la raison. Il faut suivre aveuglément la raison pour penser que le réel peut accoucher d'une perfection dont on remarquera qu'elle descend toujours des formes du raisonnement et non de l'expérience. La perfection idéale n'est pas tant la promesse d'une réalisation à venir que la mirage de lumières aveuglées par leurs productions. La raison en théorisant simplifie toujours le réel, a fortiori quand elle croit en exprimer et en saisir sa quintessence.
Le communisme, le nazisme ont été les monstres du rationalisme triomphant et les contreparties de la démocratie et de l'abolition de l'esclavage. Au siècle où les femmes ont le droit de voter, jamais il n'y eut tant de guerres et de massacres en tous genres! La raison, bien qu'effarante, en est simple : la raison a cru se substituer à l'empire de la violence par l'exercice de ses simples (quoique tortueuses et complexes) théories.
En réalité, elle n'a fait que déplacer le problème. La formidable soif de mort et de destruction qui, dans une réduplication ontologique, assaille l'homme, ne saurait être contentée par l'hypothèque de beaux mots découlant de belles âmes transies. Dionysos contre le Crucifié? En réalité, il se pourrait que cet affrontement soit étranger à la réelle bataille qui attend l'homme et que cette mise en bouche préalable annonce le véritable défi si l'homme ne veut pas disparaître sous les coups de buttoir de la formidable violence qui habite le réel dont il fait partie (qu'il le veuille ou non).
Car le seul moyen pour l'homme d'affronter efficacement la violence n'est pas dans l'exhumation de telle ou telle faculté qui l'habite. L'homme est impuissant face au flot de violence qui parcourt le monde et lui permet de subsister. Sans la violence, le réel aurait disparu depuis belle lurette. L'homme aimerait sans doute être le roi d'un royaume qui n'est pas de ce monde. S'il veut encore appartenir à l'ordre des formes réelles, et non pas aux ombres du passé consumé, il lui faudra respecter la loi de son désir. Plus simple qu'un impératif catégorique, celle-ci énonce que le désir suit les linéaments tortueux du devenir. Soit : le désir n'est pas incomplet, il permet l'avènement de la répétition et de l'originalité.
Sans cette nouveauté, l'homme devrait affronter la répétition de la rengaine démocratique, selon laquelle la violence s'est abolie en un tour de mains. En réalité, la démocratie n'est compatible qu'avec l'annonce d'un but en mesure d'absorber les formidables réserves d'énergie qui animent l'homme et augurent d'horizons plus optimistes que ceux que réservent les puits de pétroles à l'ombre des dunes du désert. Cette manne prophétique n'est pas le nouvel or vert censé succéder au précédent. Il est vrai que les problèmes environnementaux qu'il rencontre actuellement ne sont que la conséquence de cette violence qu'il s'est imaginé retourner contre le monde, alors qu'il se l'infligeait avec une vigueur sans aménité.
La véritable solution qui attend l'homme réside dans le repoussement des frontières de son monde vers cet extérieur inconnu, qui le fascine autant qu'il le terrifie. L'univers est infini. Voilà qui plante le décor de la nouvelle conquête humaine. La colonisation de l'espace est le seul moyen qui permettra à l'homme d'échapper à ses démons et d'utiliser à bon escient la violence qui l'habite. Sans sens, l'homme est condamné à se dévorer lui-même. Héraclite a dit quelque chose comme : "Mieux vaudrait pour les hommes que n'arrivât point ce qu'ils désirent". Loin d'être l'erreur de fabrication qui le condamna à la disparition, la violence est le ressort qui le sauve. C'est elle qui lui a permis de triompher de ses rivaux hominidés, dont la douceur et la mollesse rappellent étrangement ces pauvres Vaudois massacrés que Voltaire évoque dans le Traité sur la tolérance. C'est elle qui lui autorisera à poursuivre sa route vers cet extérieur dont il ne cesse de repousser les limites. Souvenons-nous : Asimov était le Verne du vingtième. L'espace était son Dieu.

vendredi, mars 23, 2007

Ligne de fuite

Qu'est-ce que l'histoire? Une fuite en avant?

Léviathan

Léviathan : ton sort t'attend !

mercredi, mars 21, 2007

Bas les masques !

Vu l'émission de Dumas. C'est drôle, Dumas, à l'exception d'un avocat, qu'on entend peu, à part quelques sarcasmes bien sentis, n'a invité que des partisans de la pratique prostitutionnelle. Loin de se livrer à une apologie inconditionnelle, elle a, avec une grande finesse, par touches imperceptibles, démasqué les faux discours et les compromissions éculées. Parmi les invités, on trouvait, qu'on en juge :
- Massimo Gargia, qui nous expliqua doctement qu'il avait séduit, sur ses simples charmes, quelques professionnelles. Je passe sur le cas affligeant de la téléréalité.
- Frank Spengler, directeur des éditions Blanche. Le pedigree de l'énergumène en dirait-il davantage qu'un long discours? Ce fils de Régine Desforges et d'un industriel n'a rien trouvé de mieux, après plusieurs tâtonnements, que d'ouvrir une maison spécialisée dans l'érotisme. Il édite ainsi l'écrivain Alain Soral, célèbre pour ses provocations homophobes, antisémites et machistes et pour son ralliement au FN, en tant que proche de Marine Le Pen et conseiller du président. Il s'est en outre signalé pour "avoir publié en janvier 2003 Serial Fucker, journal d'un barebacker, un livre d'Eric Rémès qui lance un appel à la contamination des militants d'Act Up-Paris. Dans ce même livre, l'auteur prodigue des conseils sur la manière de contaminer quelqu'un à son insu en découpant au rasoir le bout d'un préservatif ou en le perçant de coups d'aiguille" (je cite un communiqué d'Act Up, bien que je n'aie rien à voir avec cette association). Quoi qu'il en soit : le moins qu'on puisse dire, c'est que Spengler témoigne d'une fascination aussi ambiguë que prononcée pour la violence. Avec une constante, qu'il importe de démasquer : dans toutes ses prises de position, ses transgressions reviennent chaque fois à légitimer les formes classiques de totalitarisme sexuel, au nom, bien entendu, de la liberté d'expression et de la provocation. Quant à ses arguments sur le plateau, tout aussi attendus, il expliquera qu'il est un client irrégulier, parfois compulsif, parfois absent. Il considère que la prostitution est compatible avec le mariage et ne correspond pas à de l'infidélité. La prostitution lui permet d'assouvir certains fantasmes en marge du mariage, avec le consentement tacite de son épouse - il va sans dire, aux oreilles des bouseux, que les époux qui se respectent n'ont pas besoin de se parler pour se comprendre. A bon entendeur...
- Claude Dubois (et non Jean-Paul, comme je l'avais cru initialement!) : cet obscur écrivain a grandi dans une famille où le père fréquentait le bordel et s'en vantait en toute liberté. Dubois invoque d'ailleurs souvent la liberté pour justifier de sa pratique assidue des personnes prostituées. Il n'hésite pas à entrer dans les détails pour expliquer l'excitation sexuelle qu'entraîne chez lui une passe. Il se justifie de son immoralité supposée et de son infidélité conjugale en expliquant que lorsque son épouse est tombée malade, il est restée à ses côtés durant quatre ans et demi, contrairement à beaucoup d'hommes. L'argument qui consiste à invoquer la morale pour justifier ses actes les moins avouables se nomme de la crapulerie. En l'occurrence, Dubois ne s'en cache pas. C'est donc de la perversion. Ah, j'oubliais : Dubois nous signale qu'il est doté d'une libido débordante, ce qui explique son recours compulsif à la prostitution. Dernier détail : le coût faramineux des passes pour le client. Si Dubois se rend aussi souvent qu'il le prétend chez ses chères péripatéticiennes, il ne nous précise jamais l'argent qu'il débourses pour satisfaire à ses lubies désintéressées. Cet aspect de la question n'a d'ailleurs jamais été évoqué, alors qu'il est crucial et explique l'élitisme forcené qu'implique la prostitution.
- Sonia, 55 ans, prostituée belge exerçant dans une vitrine à Bruxelles. Sonia se lance dans l'éloge vibrant et passionné de la prostitution : elle aime ses clients, qui le lui rendent bien; elle leur prodigue des conseils psychologiques, sexologiques, thérapeutiques (phénoménologiques?). L'avocat remarque que Sonia présente un panel de qualités éclatantes. Sonia ne s'est pas privée d'expliquer qu'elle recevait un grand nombre d'hommes mariés et qu'elle sauvait bien des couples de la séparation et du désamour. Dumas lui demande quand même si elle parvient à conjuguer le sexe professionnel et l'amour hors travail. Sonia lâche une première perle : son travail n'est certes pas envisageable pour toutes les personnes. Il faut être fait pour ça, nous explique-t-elle doctement, c'est-à-dire être capable d'écarter les cuisses sans y mêler les sentiments (sic). Sonia estime y parvenir sans problème, objet sexuel et psychologique de midi à dix-huit heures, et retrouver une condition radieuse à vingt, femme comblée. On aimerait demander à Sonia, qui a oublié que la prostitution n'était pas qu'une affaire de femmes, mais qu'elle s'adressait (quasi) exclusivement au public masculin, si les travestis et les homosexuels prostitués n'éprouvaient aucune peine à écarter les fesses. Le temps ne nous est pas accordé d'entrer dans ces considérations saugrenues. Sonia a déjà accouché, si l'on ose dire, de sa deuxième perle : grâce à la perspicacité de Dumas, plus fine que la débat aguicheur qu'elle propose (pour les besoins de l'Audimat?), nous apprenons que notre hétaïre belge, lectrice assidue de Husserl, Wittgenstein et Lacan, a été violée à six ans, sans qu'il entre la moindre corrélation entre ce drame trop tu et son évolution future (vers la prostitution). Bien entendu.
J'en arrête là, lassé de ces billevesées, qui toujours empruntent les mêmes trajectoires et les mêmes détours. Plus que jamais, cette émission démontre à quel point la prostitution est défendue par ceux qui légitiment, souvent à leur corps défendant, la violence machiste, qu'ils travestissent en nécessité physiologique, voire, ritournelle plus envoûtante encore par les temps qui courent, en apologie de la liberté (question à la Ponce Pilate : qu'est-ce que la liberté? Faire n'importe quoi?). Messieurs les censeurs, plus que jamais, encore un effort! Car le temps qui passe ne vous est pas favorable, ne vous déplaise. Il dévoile votre formidable aveuglement face à la violence que vous cautionnez. Bas les masques?

Anticipation

Voir ou ne pas voir
Telle est la question.


Avant même de voir (ou pas) l'émission de Mireille Dumas de ce soir, consacrée à la prostitution, je prévois, peut-être à tort, la répétition convenue des vieux malentendus. Pourquoi à chaque fois qu'on évoque ce sujet sensible, ce sujet qui sent la poudre parce qu'il interroge notre part la plus intime, celle qui nous tient le plus à coeur, et que nous aimerions sans doute rendre étrangère à nous-mêmes, faut-il cette somme harassante de préjugés et de redites?
On m'objectera sans doute que je n'ai pas vu l'émission, intitulée de façon prémonitoire Bas les masques!. Fort bien. Mais quand je vois que les invités sont Massimo Gargia, un éditeur, un écrivain (Claude Dubois) et l'acteur Fabrice Lucchini, je me dis qu'une fois de plus, les tabous tenaces qui permettent à la solide institution de la prostitution de perdurer ont la vie belle.
On m'objectera au surplus que des prostitués et des clients sont invités et donneront leur témoignage éclairé. Pour avoir assisté au tragique malentendu de ces hommes et de ces femmes qui viennent dire une vérité qui ne correspond en rien à celle du trottoir, celle que je connais, moi qui sors à la rencontre de ces personnes depuis bientôt sept ans (eh oui, que le temps passe!), je ne suis pas dupe de l'erreur, quand ce n'est pas du mensonge.
Et que l'on ne vienne pas, les sabots crottés et la mine enfarinée, m'expliquer que je parle à la place des personnes prostituées. Je ne fais que constater le caractère biaisée (faut-il s'en étonner ou s'en émouvoir?) de toute parole soumise à la violence extrême et au mensonge généralisé, qui empêche une prise de conscience politique et sociétale.
J'en vois d'ici d'aucuns me parler de la condition des SDF, qui, eux, se plaignent de leur précarité, alors que la parole des personnes prostituées varient de la dénonciation à la revendication de légitimation, en passant par toutes les positions imaginables. Cet argument est faux, en ce que les associations au contact trouvent de nombreux et troublants points communs entre les deux situations de précarité. Alors, pourquoi les SDF interrogés dénoncent-ils toujours leur exclusion, quand les personnes prostituées laissent entendre un son de cloche si mitigé, si frileux, quand il n'est pas carrément réglementariste?
Peut-être faut-il chercher les causes du malentendu dans le trouble que ne manque pas de susciter l'argent chaque fois qu'il pointe le bout de son nez? Soit la présence d'un intérêt fort, en mesure d'expliquer la légitimation de la prostitution et la condamnation de la clochardisation. Quel serait l'intérêt du clochard à dormir sur le trottoir? Il n'y gagne en effet rien. Encore que je connaisse certains clochards déséquilibrés (l'un fort savant et philologue, fils de riche famille et atteint d'une psychose maniaco-dépressive, de l'avis d'un psychiatre) exigeant le droit de dormir dehors en plein hiver. Parlera-t-on à son endroit de consentement devant lequel il faut s'incliner toutes affaires cessantes? Est-on libre de risquer la mort et la déchéance, comme ces nombreux cas de malheureux hères préférant affronter les affres du froid que l'humiliation d'un accueil en foyers (fort peu hospitaliers, il est vrai, dans leur ensemble)?
Ce qui choque avec les SDF laisserait songeur, quand ce n'est pas de marbre, pour les personnes prostituées, à cause des fortes sommes d'argent que génère la prostitution? On se souvient des rengaines que ne manque jamais de dégainer le grand public mal informé (et qui délivre d'autant plus son avis définitif qu'il se targue avec honnêteté de ne rien connaître à la situation) : les putes aiment coucher, elles aiment la thune, si elles le font, y'a bien une raison, etc. Il n'est pas jusqu'à cet inspecteur de la Brigade des moeurs qui me laissa entendre qu'il partageait ma position pour les prostituées slaves ou africaines, mais qu'il en connaissait de libres et de riches par ailleurs. Je pouvais le croire sur parole!
Outre qu'il mentait (elles étaient si libres que leur Jules, dans une délicieuse polysémie, n'était autre que leur mari, selon une tradition solide dans le milieu classique du proxénétisme), il se récria et poussa des cris d'orfraie quand je lui soumis l'éventualité de proposer à sa fille la voie lucrative de la prostitution plutôt que les difficiles études d'avocat auxquelles elle s'astreignait, qui plus est de mauvaise grâce. Que diable laissait-il la pauvre enfant suer eau et sang, alors que se dessinait pour elle une alternative lucrative ? Il n'en était pas question! Jamais pour sa fille!
Je me refusai à comprendre plus avant la duplicité d'un tel discours, qui consiste à juger bon pour les opprimés et les déshérités ce qui est de l'ordre de l'inconcevable pour les familiers, voire les rejetons de sa chair.
Et si cette redoutable propension à légitimer la prostitution n'était pas l'expression de la vérité? Non que j'adhère subitement aux arguties des réglementaristes et affidés, pour qui la prostitution, pour être le plus vieux métier du monde, n'est jamais qu'un métier comme un autre, appelé à se libéraliser dans tous les sens du terme : soit à connaître, après les affres du proxénétisme, les havres de la félicité.
Je connais trop ce milieu pour savoir ce que cache les promesses de lendemains qui chantent (faux). Un peu comme pour l'intervention en Irak, au nom du Bien, les discours de libération de la prostitution ne sont que les paravents qui permettent aux crapules du crime international de légaliser la plus lucrative des activités. Rendre admissible le crime, quelle prouesse!
Justement, je ne peux manquer de citer la violence du proxénétisme, la violence de la prostitution, la violence du client, la violence de la légitimation sociale, la violence de cet argent qui pour le coup tue (sans que l'argent soit le responsable des tristes débordements -trop- humains qu'il génère) en évoquant le pénible, quoique passionnant, sujet de la prostitution. Serait-ce que la prostitution, thème politique et philosophique par excellence, soit le point de ralliement, le panache sombre, de la violence qui ne dit pas son nom - soit de l'essentiel de la violence que l'homme expérimente, le plus souvent à son corps défendant et en hurlant non?
Allons plus loin : si la prostitution génère autant de violence et de légitimation, en toute bonne foi, c'est que le sexe lui-même, cet objet de tous les tabous et les interdits, qu'on voudrait libérer, y compris en le dérégulant, contient cette formidable violence en son coeur - pour le meilleur et pour le pire. Face solaire et ombre sombre qui expliquent que le lieu de la violence paroxystique, celui de la contrainte et de l'oppression, celui de la destruction (de l'identité en particulier) et de l'exploitation soit parfois perçu comme la simple condamnation de ce qui ressortit du préjugé atavique et de la haine du sexe (donc de la pudibonderie bien comprise).
Dans tous les cas, un constat : la violence est reconnue. Seul diffère le diagnostic, essentiel : pour les uns, la prostitution est une violence; pour les autres, ce sont les préjugés qui constituent la violence - la prostitution étant une activité comme une autre, qui rompra avec la violence en quittant le domaine de l'interdit.
Le sexe n'est le réceptacle de la violence qu'en tant qu'il est le lieu par excellence de la vie et du lien avec le réel. Comme si la création n'allait pas sans une débauche d'énergie et de violence. Rappelons-nous que désir et violence ne font qu'un et que ce qu'on loue comme mécanisme positif ne diffère de la violence stipendiée que par ses effets sur l'homme.
La reconnaissance de la prostitution passe par la reconnaissance de la violence sexuelle. Celle qui explique (enfin) les viols, les déviances sado-masochistes, les conduites (auto)destructrices, les conjoints battus et harcelés, singulièrement les femmes, ces créatures plus faibles, le machisme, où la femme devient le bouc-émissaire de la violence inter-sexuelle (pas seulement). Les tenants de la marchandisation du sexe ont bien compris cette donnée fondamentale, eux qui expliquent que la marchandisation du sexe régulera et réglera la violence.
Je me souviens d'un article de Iacub dans Le Monde des livres, où l'auteur, "à l'instar de beaucoup de féministes américaines" révèle "sans fioritures qu'au commencement, à la base, dans la structure des relations entre les sexes, "il y a le Viol". Cette simplification abusive et extrémiste du sexe à la pure violence en dit sans doute plus long sur les fantasme ou la mauvaise foi qui agitent l'auteur de cet article qui se veut transgressif et provocant.
Il n'est jamais que l'expression de la banalisation de la violence, selon laquelle la violence est une donnée brute, qu'on ne peut qu'accepter. La seule manière de contrer la violence dont on est victime revient à y opposer une violence supérieure, afin de rendre coup pour coup. Cette conception mercantile (et non biblique) se réclame de la longue et glorieuse tradition du totalitarisme classique. Point n'est besoin d'avoir lu les travaux de Girard pour sentir poindre non loin la manifestation essentielle du bouc émissaire. En l'occurrence, le bouc émissaire de cette violence, ce sont les personnes prostituées (mais aussi les clients, en tant que complices de la tragi-comédie). Je reviendrai plus tard sur l'article de Iacub et le compte-rendu effarant qu'elle dresse du King Kong Theory de Despentes.
Pour le moment, je me bornerai à constater que le progressisme éclairé implique l'éradication de la prostitution, comme la suite logique des combats, qui démystifièrent l'esclavage, le colonialisme, le machisme et le totalitarisme, puis entraînèrent leur mise hors la loi (du moins, en terre d'Occident, ce qui n'est pas un mince paradoxe, à l'heure où certaines consciences victimaires aimeraient à faire de l'Occident le Grand Méchant Loup). La prostitution n'est que le chaînon manquant de la sexualité, qui veut que l'humanité se soit attaquée à la violence comme au problème crucial de l'organisation politique. Pour le meilleur et pour le pire. Pour l'instant.

mardi, mars 20, 2007

Chagrin

A mon ami Matteo.

"Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins!"

BAUDELAIRE, Élévation.

On dit souvent d'un désespéré qu'il noie son chagrin pour signifier qu'il s'enivre. Ne dit-on pas : noyer son chagrin dans l'alcool? Le chagrin d'amour est sans doute l'expression par excellence du chagrin. Soit la souffrance morale qui assaille un individu à cause d'un événement précis.
C'est en tout cas ce que nous signifie la définition du Trésor de la Langue Française, excellent dictionnaire édité par le CNRS et l'Université de Nancy 2. Dans ce cas, si le chagrin d'amour était aussi palpable, il suffirait d'un peu de recul, d'un peu de réflexion pour qu'il s'estompe, puis cesse bientôt de nous tourmenter. Après tout, les décès obéissent à cette règle, qui veut que la disparition d'un proche vous accable, puis que l'affliction finisse par laisser le pas au retour dynamique de la vie.
Il est vrai que certains chagrins consécutifs à des morts dramatiques, surtout lorsqu'ils frappent des proches plus jeunes, laissent l'odeur rance d'un poison qui ne disparaît jamais tout à fait. Ainsi de la mort d'un enfant, et quelles que soient les qualités morales du parent qui subit l'épreuve. Le malheureux est ici prisonnier des rets d'un piège diabolique, qui l'accule à s'affliger d'autant plus qu'il essaie de sortir la tête de l'eau - un peu comme le poisson prisonnier de la nasse, à ceci près que ledit poisson ne rêve, lui, que de s'immerger dans les effluves coutumières du fleuve qu'il chérit.
A côté de ces morts exceptionnelles, en ce qu'elles contrecarrent l'ordre de la vie, le chagrin d'amour pourrait apparaître peine bien vénielle. Il faudrait faire montre de mauvaise foi pour remarquer que ce type de chagrin relève de l'exception. Rien de plus coutumier - et à tout âge. Si bien que l'impétrant qui prétendrait avoir échappé à la torture de la déception amoureuse mériterait certainement plus le qualificatif de menteur (ou de grand distrait) que celui de chanceux (presque miraculeux).
Il me souvient de l'histoire cruelle d'un apprenti footballeur d'origine congolaise (Congo-Brazza) qui se vantait, émérite lycéen, de n'avoir jamais été plaqué. Arriva ce qui devait arriver : il subit la déconvenue quelques semaines plus tard, de la part de sa copine de l'époque, qui ne manqua pas de se répandre en propos désobligeants sur le vantard trop hâtif et présomptueux.
Ce footballeur connut la morsure et le venin qui attaquent tous ceux, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, qui ont l'infortune classique d'endurer les affres de la maladie d'amour. De sorte que l'on ne risque pas de s'aventurer vers quelque absurdité en remarquant que l'amour, qui est l'expérience la plus gratifiante qui soit, peut conduire aux tourments les plus destructeurs quand elle implique la perte et l'abandon. Jusqu'à la mort dans les cas les plus désespérés, ce dont atteste l'expression courante : mourir de chagrin.
Quoique cette constatation ne s'avère d'aucune utilité pour les affligés, je conteste l'idée commune que le chagrin découle d'un mal précis. Tout juste ce mal est-il l'occasion d'une expérience qui déborde de son prétexte initial pour prendre la tournure d'un mal universel et absolu. Car le chagrin ne signale pas tant la perte d'un être (ou d'un objet) cher que l'éloignement du réel.
Expérience ontologique de déréalisation ou de dépersonnalisation, en ce que le réel s'éloigne et que l'identité vacille (cette définition est sans doute moins celle de la folie que de la mort). Mais ces deux termes signalent la même expérience - ou tant s'en faut. C'est même chose que de perdre le réel et de perdre sa propre personne.
Le chagrin est une scission du lien constitutif qui fait que nous sommes au monde en relation (je n'ai pas dit osmose!) avec l'environnement. Certes, la séparation brutale ne conduit que rarement aux états psychotiques (qui signalent des perturbations relationnelles dans la mesure où la destruction du moi accompagne les manifestations de ses symptômes aigus).
J'observe cependant que cette séparation subite et inacceptable fait écho à la séparation violente qu'encourt le nourrisson au sortir du ventre de sa mère et qui fait de toute relation au monde une relation tourmentée et frustrée par définition. Le chagrin est le symptôme d'une perte singulière qui signale la perte universelle. Dès lors, l'événement précis perd en signification et cède le pas à l'absence de repères spatiaux et temporels. L'affligé est condamné à errer dans un monde sans repères ni coordonnées, jusqu'à ce que sa boussole éperdue rétablisse les repères et qu'il recouvre les notions indispensables à sa bonne relation aux êtres et aux choses.
Parfois son épreuve n'aura pas été sans grave dysfonctionnement et le retour à la vie en conserve de substantielles stigmates. Quoi qu'il en soit, on ne sort pas de la vie sans encourir les tourments les plus divers (quand ils ne sont pas conjugués)! Heureux celui qui se targue de mourir en bonne santé, tant sont nombreux les cas infortunés pour qui la mort sera moins un fardeau que la délivrance d'un poids de toute façon constitutif.
Non la vie comme bien infini, que les inconvénients fâcheux ne manquent jamais d'accompagner, dans un cortège étourdissant et parfois fatal. Dans la Peau de chagrin, roman initiatique incomparable, le jeune Raphaël de Valentin est terrassé par un amour déçu qui l'a entraîné à la ruine. Lorsqu'il se voit offrir un talisman qui exaucera ses voeux au prix de sa vie, il ne s'en émeut guère. De toute façon, il souhaitait déjà se donner la mort!
Le talisman tient en une peau d'onagre, qui rétrécit à chaque fois qu'un souhait se réalise, diminuant d'autant l'espérance de vie de son propriétaire. On remarquera que l'étymologie de chagrin provient de cette peau qui rétrécit, de ce cuir grenu, préparé avec la croupe du mulet, de l'âne ou du cheval et utilisé en reliure et en maroquinerie (à en croire le TLF).
On remarquera que le chagrin consiste moins en un agrandissement de la peine qu'en une récession du sentiment. Mais c'est toujours la même rengaine, le processus identique et immuable : le sentiment qui rétrécit condamne de ce fait les portes de l'accession au monde, en un mouvement aussi réciproque qu'impitoyable. Valentin meurt de ne plus pouvoir accéder au monde, faute de posséder assez de sentiment et d'amour de soi.
La corrélation entre l'amour-propre (au sens littéral) et l'amour du réel est évidente : il faut s'aimer pour aimer - et non l'inverse. C'est parce que Valentin n'est plus en mesure d'aimer qu'il dépérit (la peau de chagrin s'étiole dans une métaphore éloquente).
Le chagrin d'amour n'est que la manifestation éloquente du chagrin en général : soit la perte de l'objet aimé qui entraîne par contrecoup la perte du réel. Comment passe-t-on de cette perte singulière à la perte universelle? C'est que le réel ne saurait se perdre en tant qu'abstraction immatérielle. Il s'incarne nécessairement en une myriade de singularités éparses.
Le chagrin d'amour en dit plus sur la teneur de nos sentiments que de longues recherches phénoménologiques. Car si la perte de l'être aimé cause de tels tourments que le monde vacille, et parfois s'écroule, c'est que l'objet de notre amour incarne le réceptacle du réel. En d'autres maux : le singulier est l'universel. Le sentiment, spécifiquement d'amour, est ce conducteur énigmatique qui transmute l'or en plomb. Je veux dire : le sentiment discerne l'universel tapi dans le singulier.
D'où la dévastation présente au coeur du chagrin. Le chagrin révèle en creux la nature profonde du réel, dont le mystère le plus mince n'est pas cette union intime, quoique incompréhensible, entre le particulier et le général. Bien qu'inexplicable, le réel n'en demeure pas moins universel par sa puissance singulière de manifestation et de présence. Voilà une constatation qui ne mettra pas un terme au chagrin (d'amour), mais qui donne au moins ses lettres de noblesse à la connaissance ontologique qu'il délivre!

lundi, mars 19, 2007

I have a nightmare

Episode 1.

Cette nuit, je me suis réveillé en sursaut et en sueur. Quel cauchemar! Que l'on en juge...


François Millerand est né dans une famille de petits notables bourgeois de la Sèvre. Élevé dans le culte de la famille et de l'ordre par des parents catholiques et conservateurs, il devient le produit de cette éducation : à l'instar de milliers d'autres jeunes gens, il se pose en jeune ambitieux de cette France de l'entre-deux guerres qui ne veut pas d'un nouvel affrontement avec le Troisième Reich surmilitarisé.
A cette époque de la jeunesse, Millerand est à droite de famille et de principe. Il rêve d'une charge d'avocat et est persuadé que l'avenir de la France passe par le rétablissement de la Patrie et de la Famille, valeurs dont le déclin, comme l'on sait, est responsable du délitement de la Patrie et des valeurs traditionnelles. C'est par sa famille qu'il met le pied à l'étrier et se lance en politique. Sa soeur et son frère sont proches des membres fondateurs d'une organisation secrète révolutionnaire d'extrême-droite, le Comité National Révolutionnaire, qui se distinguera par plusieurs attentats contre les Juifs et les cercles de la Troisième République.
En 1939, la soeur aînée de Millerand, celle dont il se sent le plus proche, se marie avec la tête pensante du CNR, un dénommé René Bosserand, qui se trouve fasciné par la violence. Bosserand est proche de Rebatet, de Drieu La Rochelle et des cercles nationalistes. Millerand, qui est monté à Paris faire son droit, fréquente avec assiduité les réunions mondaines de la CNR, mais ne s'implique jamais à titre personnel.
A-t-il senti qu'il valait mieux toujours cloisonner et ne jamais s'impliquer? Ses amis lui ont-ils demandé de jouer le rôle du politicien vertueux et droit dans ses bottes, afin de mieux infiltrer les cercles du pouvoir? Toujours est-il que Millerand se lance dans la politique et fréquente avec assiduité le Parti National Français, parti nationaliste et colonialiste. Il se retrouve pleinement dans les idées de son leader, le Colonel de Roquentin.
Il devient avocat et fréquente les milieux du pouvoir. Parallèlement à cette honorable carrière qui balbutie et ne dit pas son nom, il est amené à mieux connaître Bosserand et consorts. Il en est devenu l'intime depuis l'internat des Pères du Sacré-Coeur, une organisation catholique fort bourgeoise, où se retrouvent tous les fils de bonne famille et d'industriels. Comme de bien entendu, les membres du CNR sont des adeptes du Sacré-Coeur et des catholiques proches des milieux influents de l'intégrisme colonialiste et occidentaliste.
C'est lors de rencontres au Sacré-Coeur que Bosserand tisse des liens avec le fils de financier, lui-même haut financier, Jean-Pierre Backri, fondateur du groupe de cosmétiques Boréal, qui subventionna un temps les actions de Millerand durant la Quatrième République.
Pour le moment, Millerand est à cent lieues de se douter de sa destinée de grand homme politique. Il a compris qu'il importait pour réussir de n'avoir pas d'opinion précise, surtout de l'ambition et très peu d'envergure. Il est persuadé qu'il faut flatter d'une patte matoise les activistes de l'extrême-droite française, très puissants, riches et influents, pendant qu'on tisse ses réseaux au sein de la bonne bourgeoisie, de la franc-maçonnerie et de certains cercles juifs.
Millerand se défie des Juifs, dont il soupçonne les implications avec les puissances occultes de l'argent et du commerce, mais il comprend l'importance de figurer dans tous les milieux. Raison pour laquelle il se lie d'amitié avec un jeune avocat juif issu de la haute bourgeoisie parisienne, Georges Rayan. Il prétendra plus tard qu'il lui a sauvé la vie à plusieurs reprises, lorsque les Têtes Brunes, étudiants d'extrême-droite, s'en prirent violemment aux intérêts du Complot Juif Mondial.
Il reçoit la bénédiction tacite de Bosserand, ravi de compter sur une pointure aussi subtile dans les milieux de la politique. Quand la guerre éclate, Millerand est très lié au CNR, dont il connaît tous les membres secrets. Il ne réprouve pas leurs attentats et leur vindicte extrémiste, même s'il leur préfère de loin l'engagement modéré et bon teint - pour plaire à sa mère, une bourgeoise de province restée très attachée aux valeurs d'ordre et de paix sociale.
Cela tombe bien, Millerand a horreur de la guerre. C'est un pleutre et un couard congénital, qui s'évadera pendant la guerre et hésitera longtemps sur l'engagement à prendre. Ses amis du CNR ne cessent de pester contre l'Allemagne nazie et de prôner un nationalisme radical et pro-français. Millerand reprend l'antienne et se persuade que la débâcle est l'événement le plus heureux qui pouvait arriver à cette Troisième République moribonde, qui ne s'est jamais remis de la Grande Guerre.
Abandonnant une carrière d'avocat qu'il n'a jamais véritablement commencée, Millerand se lance dans la politique à pleine brassée, poussé par son inclination personnelle. Il sent qu'il a plus qu'un talent, un véritable génie pour l'intrigue et les manipulations en tous ordres. Il a compris qu'en ne s'engageant jamais nettement pour un bord ou pour un autre, pour un courant déterminé, il gardait toutes ses chances de réussir pour l'avenir.
Dès cette époque, il sait qu'il sera président un jour ou l'autre. Il n'en a aucun doute et met tout en oeuvrer pour réussir à réaliser cette ambition que d'aucuns jugeraient dévorante. Pour le moment, c'est l'heure de la Collaboration. Millerand n'a aucune inclination pour la Résistance, surtout lorsqu'elle est animée par les communistes, ses ennemis intimes.
Il aimerait de loin fuir cette violence et attendre que l'horizon agité se calme. Le mieux est de suivre les conseils que lui prodigue son maître en politique, Bosserand, qui est secrétaire d'Etat dans le gouvernement de Laval et récolte les fruits de son nationalisme sous les ordres du légendaire maréchal Pothin. Il exige que Millerand participe au gouvernement d'union nationale, en tant que sous-secrétaire à d'obscures affaires.
Millerand n'en demande pas tant. Le voilà propulsé dans un gouvernement national, même s'il n'occupe encore que des fonctions subalternes! Il sait qu'il a commencé à tisser sa toile, avec un patience d'ange, à moins qu'elle n'émane de l'obstination d'un démon. Il s'occupe pour l'instant de ses préparatifs de mariage avec une jeune bourgeoise au front riant et au sourire replet, Maryvonne Pulgent, appelée à devenir la speakerine la plus populaire de France...

Maman Loko

Chez Maman Loko trône au salon le triomphe. Au milieu du mobilier kitsch et kit, l'inscription sertie d'un panneau de bois nimbé d'osier est en évidence au-dessus de la pendule sans âge : "Tout être petit qu'il soit est dans la main de Dieu". Madame Loko croit beaucoup en Dieu. C'est sa raison de vivre. Comme une Africaine qui se respecte, une Africaine qui, par conséquent, respecte la tradition sans chercher à la comprendre, ni à y discerner le moindre sens, maman Loko est une Africaine jusqu'aux bouts des ongles.
Dieu est grand, donc ses parents, donc ses ancêtres! Madame Loko a beau vivre dans le quartier HLM le plus mal famé d'Eonville, au milieu des racailles et des dealers, l'estampille de banlieusarde ne la freine pas. Elle ne l'effleure pas. Elle continue à vivre comme en Afrique, trente ans après son départ. Aucun événement ne changera le cours immuable des choses. Trente ans après son mariage avec le fils de notable que ses parents lui avaient imposé, elle est demeurée la même. Une Africaine.
Elle s'en souvient comme si c'était hier. Un fameux pasteur venait de fonder une secte chrétienne dont la renommée ne cessait de grimper un peu partout dans le pays - et jusqu'en Côte d'Ivoire. Un fils de pasteur est toujours quelqu'un de respectable, quel qu'il soit. Un fils de pasteur (comme un prêtre) n'exprime pas seulement le lien avec le sacré. Il est aussi l'assurance de l'aisance matérielle. Vous savez, celle sur laquelle on ne crache jamais?
Madame Loko s'est retrouvée épouse Ozonwilou, mariée. Pas très heureuse, parce qu'elle en aimait un autre, un paisible jeune homme de son von de Porto Nuevo, Dahomey. La France, quand on parle mal français, n'était ni une terre hospitalière, ni un lieu attractif. Son mari était froid et absent. Il passait ses journées au travail, à ranger des surgelés dans une usine. Après une maîtrise d'agronomie, ouvrier qualifié. Il travaillait beaucoup, se plaignait du manque de reconnaissance, des études inutiles, de l'intégration impossible. Il n'était pratiquement jamais à la maison. Avait-il des copines? Maman Loko s'en moquait. Avec quatre enfants, deux garçons, deux filles, elle n'avait pas le temps de s'ennuyer, soit de se poser des questions inutiles. Ce qu'elle aimait chez son mari, c'est qu'il suivait scrupuleusement la Bible et qu'il se montrait sévère comme un patriarche.
Au bout de la quatrième naissance, la venue en ce bas monde d'un certain Jacob, enfant de Dieu, maman Loko la pieuse a vu quelques notables changements survenir. La terre avait tremblé, le ciel saigné, la mer s'était fendue. Le Prophète, l'Envoyé de Dieu, le Patriarche était mort! Maman Loko n'a pas triché. Elle a beaucoup pleuré. Elle crut que le malheur contribuerait aux intérêts de sa famille. Son mari est parti à l'enterrement, au pays. La mémoire de papa Ozonwilou était sacrée. Quand le mari est revenu, maman Loko n'avait discerné aucun changement dans sa carcasse élevée. Elle ne pouvait pas prévoir ce qui allait se passer. Elle a appris avec satisfaction que papa Ozonwilou avait laissé les clés de la boutique à son fils aîné. Rien que de plus légitime et prévisible. le Prophète était un lion qui avait douze garçons et quinze filles de six femmes différentes. C'était à l'aîné de gérer les intérêts florissants de l'Eglise Céleste de la Maison de Dieu.
En changeant de statut, le mari a changé de peau : il est redevenu noir de noir. Féru de traditions multimillénaires. De prolétaire du système blanc, il est passé grand manitou de l'Afrique de l'Ouest. Qui aurait deviné dans sa cité HLM d'Eonville qu'un de ses humbles membres était le personnage le plus considérable d'un autre bout du monde?
Pour prouver son élection, le nouvel élu, le descendant de sang du Prophète, le Grand Pasteur a commencé à ramener des femmes à la maison - comme son père. A la pelle. Maman Loko n'a pas accepté. Elle était d'une autre génération que sa maman! Elle voulait encore bien d'un mari chef de secte, d'une hérésie chrétienne qui prônait la prière à toute heure du jour et de la nuit, les génuflexions et les cérémonies de vaudou, les rites de purification et d'exorcisme, elle ne voulait pas de la polygamie. Signe des temps, maman Loko refusa ce que sa mère avait accepté, les épouses annexes et les enfants du même père - pas de la même mère.
Du coup, le mari, qui avait changé de statut, de sphère, et qui tenait à ce que le miracle se mesure au nombre de ses épouses et de ses conquêtes, se fâcha tout rouge. Ce n'était pas une femme, pas même une Blanche, qui allait lui apprendre la vie! Il n'en démordrait pas : les femmes témoignaient de la puissance virile et il était devenu plus qu'un chef, plus qu'un roi : un Grand Prêtre! Les femmes constituaient la preuve intangible et la reconnaissance de son statut de chef spirituel.
En plus, il travaillait dur pour agrandir la secte et lui conférer des bornes internationales. Il n'avait pas l'intention de déchoir! L'oeuvre de son Père nécessitait qu'il sorte de ses gonds, qu'il ne se satisfasse plus du rôle dans lequel les Blancs bornés de France l'avaient enfermé, avec leurs préjugés de colonialistes qui s'ignorent et se targuent de leurs préjugés tolérants! Il n'était pas né pour obéir! Il était venu au monde pour commander.
La cause était entendue. Il ferait de l'hérésie chrétienne de son père le plus éclatant exemple de syncrétisme que l'Afrique ait vu. Il ferait prospecter son Église, jusqu'à ce qu'elle soit reconnu du Vatican, qu'elle prospère entre les Nations, et qu'elle devienne la puissance de Dieu. Il n'y avait pas à hésiter : n'était-ce pas ce que lui serinaient les voyants de son entourage avec une constance qui ne trompait pas?
Madame Loko n'avait pas le choix : de tous les pays, du Dahomey, de Côte d'Ivoire, du Ghana, du Nigeria, des Antilles, des Amériques, de Paris et de Londres, les pères s'empressaient de lui proposer leurs plus belles filles comme des alliances honnêtes et honorifiques. Pourtant, contre l'évidence, contre la tradition, maman Loko divorça. Quand elle décidait d'une chose, rien ne pouvait l'en dissuader! Il était écrit qu'elle quitterait cet homme cruel et impavide, qui n'avait pas hésité à marier des perles du Dahomey et qui lui ramenait chaque mois des maîtresses, des copines, des pieuses croyantes, toutes membres de la secte et littéralement en transe à l'idée de coucher avec le fils direct du Prophète, qui plus est son digne successeur, lui-même porteur du Sceau de la Révélation et de l'Apocalypse.
Maman Loko avait consenti de quitter sa terre, sa famille, ses amis, son chéri pour suivre le mari choisi par ses parents - elle ne perdrait pas ses enfants dans une organisation tentaculaire qui la dépassait! Ne lui restait plus que le plus précieux, la chair de sa chair, ses enfants bien-aimés, petits bambins bourrés de vie et de sourire. Avec eux, elle tiendrait. Coûte que coûte, elle tenait son divorce entre les mains - de Dieu. Elle savait : lui aidait les humbles et les simples. Il serait à ses côtés. Dans les bons comme les mauvais moments.

dimanche, mars 18, 2007

Népotisme

Pour illustrer la cote actuelle du système, ce jugement de Balzac fera l'affaire. Je le tiens de l'inénarrable Jean-Edern Hallier (L'honneur perdu de François Mitterrand). Ce pamphlet, si fameux qu'il occasionna les persécutions de la fumeuse cellule de l'Elysée, respire certes la mégalomanie, le faste et la grandiloquence, mais le courage d'attaquer une crapule auréolée de sa vertu socialiste, quand bien même il en remontrerait à l'inconscience ou la folie, mérite l'adhésion du coeur. Depuis, la profession de foi socialiste est une antienne bien connue, d'autant plus que les actions s'inspirent d'évidence des élans contraires. Être socialiste se résume-t-il au simple serment de la générosité endiablée?
[Le népotisme] "est une tyrannie invisible, insaisissable, qui a pour auxiliaire des raisons puissantes, le désir d'être au milieu de sa famille, de surveiller ses propriétés, l'appui mutuel qu'on se prête (les garanties que trouve l'administration en voyant son agent sous les yeux de ses concitoyens et des ses proches...)"
Belle définition de la conception du pouvoir selon Mitterrand, dont on peut mesurer qu'elle n'a fait que s'amplifier depuis lors. Le mérite insigne que celui de la récolte des charges à vie, à tous les fils de qui ne disent pas leur nom et transmettent à leur progéniture babillante leur sémillant savoir-faire de palimpsestes ambulants!

samedi, mars 17, 2007

Grain

Prince Michkine : "La beauté sauvera le monde" (DOSTOIEVSKI, l'Idiot, parole issue de l'Apocalypse).
Le même sentiment qu'à la fin d'Inland Empire!

Telle mère, telle fille !

Episode 3.

De l'eau a coulé sous les ponts. Le fils n'en peut plus, il est à bout. Il décroche son téléphone et appelle le seul qui puisse l'écouter. Le confident ultime. Les autres amis ne lui prêtent plus attention depuis longtemps. Celui-là possède encore le sens de l'amitié - ou sa naïveté déconcertante. Le fils s'est fait plaquer. Après la copine innocente et jolie, celle qui ne veut plus parler de lui, le fils a bien essayé de jouer les séducteurs avec les quelques bambinettes qui rêvaient de sortir avec lui du fait qu'il avait une copine. Le mimétisme classique. Le grand jeu médiocre du désir, dans lequel se complaisent les fils et filles de nantis qui s'estiment loin des lois de la Nature.
C'était prévisible : ça n'a pas marché! Il est trop insolvable, trop égoïste, trop détraqué. Il aurait pu s'enfoncer dans la solitude suicidaire ou l'auto-analyse. La remise en question salvatrice? Il n'a rien trouvé de mieux que de sortir avec la meilleure amie de son ex. Enfin, la meilleure amie... En un sens, oui. Dans un sens bien compris. Celle qui passait souvent parce qu'elle tombait pour lui. Elle n'est pas vraiment belle. C'est le moins qu'on puisse dire. Elle connaît la chanson!
Avec son nez en patate et son air effronté, elle ressemble à une harpie que la féminité aurait désertée. Elle est maigre, presque malingre. Sont-ce là les qualités qui ont séduit le fils? Ou sa familiarité (tré)passée avec celle qu'il aimait? Mais il n'a jamais aimé personne, le pauvre déshéritée de la vie! Il n'est capable que de détester avec talent! Il va répétant que son ex est une conne qui ne méritait pas sa compagnie.
S'il aime la nouvelle, c'est qu'elle lui rappelle irrésistiblement l'Aziza. Une Beurette qui lui donne la touche d'exotisme dans sa vie de misère (affective)? Le cas est un peu différent. L'Aziza ne te veut pas si tu veux d'elle. Comme son identité se résume à être de nulle part, l'Aziza vit de haine. Elle déteste la France, elle déteste son père, elle déteste les femmes, elle déteste la vie. Elle n'adore qu'Allah, mais seulement parce qu'Il est le Grand Absent et qu'elle a trouvé dans les préceptes théologiques de l'islamisme rampant les élucubrations en mesure de justifier sa haine viscérale.
C'est aussi ce qui a attiré le fils. Lui qui faisait souffrir sans espoir de trouver un point d'attache, a changé de tactique et de fusil d'épaule. Désormais, il souffrira aussi. Les autres vous quittent, mais on ne peut se quitter soi-même. Du coup, devant tant de zèle, l'Aziza s'est déchaînée. Elle a montré qu'en matière de perversité, elle pouvait faire aussi bien que son rival mâle.
Sa tactique est simple : s'appuyer sur la justification morale pour justifier le moindre de ses caprices. N'importe quel individu normalement constitué l'aurait envoyé balader séance tenante. Une pimbêche revêche, c'était au-dessus du concevable! Le fils s'est accroché. Plus elle le faisait souffrir, plus elle lui rappelait sa mère. L'Aziza était le seul moyen dont il disposait pour s'en débarrasser et la remplacer par son double rampant.
Il ne s'est pas privé de l'aubaine. L'Aziza non plus. Elle a affiné son refrain repassé. La Religion est son guide! Elle doit honorer son père et parvenir vierge au mariage! Le fils court, ravi de cette pureté revendiquée. Le mouton suit? Elle invoque alors les coutumes et l'Islam pour exiger sa conversion! Séance tenante! Le fils a peur des réactions de sa famille, mais se convertir, c'est aussi changer de peau. Pourquoi pas dans son cas? C'est l'aubaine de la transmutation tant guettée!
L'Aziza trouve l'ultime dérobade, celle qui en fait l'avatar moderne et pervers de Pénélope moins la grâce : elle refuse de se marier avec le fils sous prétexte qu'il n'est pas Arabe. Le fils commence par implorer et tempêter. En vain. L'Aziza n'a nullement l'intention de le larguer. Elle veut juste se divertir et tester son pouvoir de séduction un peu particulier. Un coup, elle lui annonce qu'elle le quitte; un autre, elle le retrouve en pleurs et fait mine de céder au nom du coeur et de la foi.
Le fils se détruit à petit feu. Grâce et miséricorde! Tout ce qu'il cherchait se réalise par miracle! Non seulement il s'empresse de poursuivre, mais il s'affaire et s'enferre! Jusqu'au jour où, chagriné par sa vieille peau tannée, il se brise le poing contre le mur d'une maison. Un pauvre mur grisâtre, qui ne lui avait rien fait! Électrochoc : d'un coup, l'ampleur de son ratage lui revient en mémoire. C'est peu dire qu'il fonce dans le mur. Il a beau plastronner et mentir, il ne va plus à la fac, il est plus seul que jamais. Ses amis l'ont quitté. Le gosse de bourgeois dispendieux et vaniteux fait peur, avec sa mine cirée et ses cuisses faméliques.
Pas de doute, pour parvenir à un tel résultat, l'Aziza n'est pas n'importe qui. C'est l'envoyée du diable en personne. Elle exige à présent qu'il quitte tout, famille, amis, appartement, pour se consacrer à sa dévotion. Dans un sursaut d'instinct vital, le fils contacte le seul ami qui peut encore l'écouter pour lui confesser sa terrible descente aux enfers et entrevoir l'espoir d'un calmant.
Car le fils n'envisage nullement de rompre. Ce mode de vie lui convient. Ne rien faire et souffrir, tel est le destin qui l'accommode. Il a trouvé le confident qui lui permettra de garder la tête hors de l'eau, de ne pas avoir à affronter l'horrible reflet de ce visage qui refuse de se regarder. Tant il est vrai que Narcisse ne contemple pas son reflet, mais celui de l'altérité.
Le fils possède le salut à ses maux insalubres. Il ne croit qu'en la rédemption de la souffrance. Il ne desserrera le lien qui le lie à la mère qu'avec un amour plus amer. Il n'obtiendra des deux femmes de sa vie, sa soeur en plus de sa génitrice, que détestation et mépris. C'est exactement ce qu'il récolte chez l'Aziza! Qu'ils se sont bien trouvés, les deux tourtereaux du vaudeville tendance SM ! Elle, cruelle, pour mieux souffrir la vie. Lui, c'est l'inverse : sadique à condition de récolter le fouet et la mort.
Le problème de ce type de rédemption, c'est qu'elle ne génère d'amélioration que sporadique. Semblable à l'administration d'un médicament dont les effets s'altèrent à mesure que le corps du patient s'y habitue, la rédemption par la perversion n'est qu'occasionnelle et délivre un état plus terrible encore. Le fils a tout perdu à son petit jeu du soin par la souffrance. Il ressortira avec des cicatrices plus atroces encore. Il a trouvé le moyen d'affirmer sa différance. En bon disciple de Derrida, il implore les mânes de ses ancêtres. Qu'elles lui octroient de quoi différer l'horrible mais inaltérable vérité!
L'équilibre provisoire est trouvé : les conseils (du confident) pour mieux encaisser les coups (de l'Aziza). Dans un jeu de balancier réconfortant : le confident le réinsère dans la réalité sociale et la lucidité psychologique; une fois remis sur pied, sur sa selle d'âne bâté, il ne lui reste plus qu'à quémander les flétrissures et les meurtrissures. En attendant que le couperet du funeste verdict tombe, il vit d'eau rance et de charogne en charpie. Il est condamné, il le sait - reste à savoir quand. Pas de quoi se plaindre. N'est-ce pas le lot de tout un chacun?

vendredi, mars 16, 2007

Mon oeil !

Je n'ai d'yeux que Dieu.

Identification

J'écoute l'empoignade qui oppose Bruno Gollnisch et Marc-Olivier Fogiel et je comprends comment les exclus du système politique finissent par s'identifier depuis vingt ans au Front National, soit à un parti politique réactionnaire et dont les relents sont nauséabonds et impraticables.
Fogiel recycle à cette occasion les mêmes méthodes que celles qu'il applique d'ordinaire à ses autres invités, sauf qu'à l'occasion de l'invitation de Gollnisch, il se croit autorisé à lâcher les vannes de sa hargne et de sa vindicte inépuisable. La technique de Fogiel? Les Guignols de l'info ont eu le nez fin en le grimant sous les traits d'un gourmé suivi de ses hyènes prêtes à s'esclaffer avec fracas à chacune de ses vannes virevoltantes.
Fogiel est-il une hyène? Le rapprochement est trop sévère, trop hâtif pour l'animal médiatique! Serait-il préférable de l'appeler coyote ? Je n'ose charogne... En tout cas, la mauvaise foi de Fogiel est à la hauteur de son harcèlement verbal. Fogiel n'est pas un pitbull. C'est un roquet qui voudrait se faire plus gros que le rodvailer qu'il fantasme d'être.
Pour preuve, je retranscris de mon mieux son débat avec Gollnisch. Sans commentaire. Juste quelques codicilles au final.
1) F. rappelle la condamnation de G. pour contestation de crimes contre l'humanité. G. rétorque que F. l'a bien été pour injure raciale, pour un SMS sur l'odeur des Noirs. G. : la différence entre lui et F.? Il est innocent. F. contre-attaque en répétant que ça n'a rien à voir et que G. doit se calmer.
2) F. affirme que le FN se victimise dans son accès aux médias, alors que G. serait l'homme le plus compliqué à inviter de l'émission. G. : a été prévenu il y a trois jours. F. souhaitait-il l'inviter? Pour F., ce n'est pas grave, c'est de la forme, pas du fond.
3) F. : G. a-t-il été mis de côté par son parti parce qu'il a des idées un peu trop hard et que le FN souhaite se moderniser sous l'impulsion de Marine Le Pen? G. est-il le pur et dur, le réac? G. : occupe le même bureau depuis cinq ans, contrairement aux allégation d'un journaliste de l'émission.
4) Si le FN parvient au pouvoir, G. sera-t-il premier ministre? G. ne le sait pas et appelle de ses voeux l'hypothèse d'un gouvernement de coalition avec, pourquoi pas, pour premier ministre une personne issue de la société civile (dont il vient, rappelle-t-il).
5) F. : on va en venir au fond, mais encore des questions de forme. Le Pen est-il en bonne santé? D'après Bachelot, il serait à l'article de la mort, ses cuisses auraient fondu et une assistante le soutiendrait dans ses déplacements au parlement européen. G. dément. On ne peut pas en dire autant des cuisses de Bachelot! Tous les participants s'offusquent du manque de classe de G. Ça, c'est ridicule, selon F.! Sa remarque ne portait pas sur le physique de Le Pen, contrairement à celle de G. Le fils de Bedos se lamente. Savoir Le Pen en bonne santé! G. lui rétorque que sa grand-mère est sympathisante du FN. Le (petit) fils Bedos écarquille une moue de dégoût consterné. Lemoine s'amuse que G. ait des dossiers sur tout le monde. F. insinue que G. se croit déjà dans un état policier. Puis que les idées ne sont pas génétiques. G. s'en délecte et martèle que les caractères moraux ne sont pas héréditaires, ce qui est dommage.
6) F. revient sur la contestation de crime contre l'humanité. G. veut-il débattre sur l'existence des chambres à gaz? G. : ne peut répondre librement et sort un joker pour ne pas s'attirer d'ennuis. S'estime victime des questions des journalistes. Laisse les historiens décider. N'a pris position que sur le massacre de Katyn, dû, non aux nazis, mais aux communistes. F. l'interrompt.
7) F. évoque l'interview dans La Croix, où Le Pen parle du 11 Septembre comme d'un incident. F. cite la définition du mot incident. G. demande à F. de poser les questions à Le Pen. F. répond qu'il était invité et n'a pas voulu venir. F. constate, sarcastique, qu'il n'était pas invité en premier. F. confirme : d'abord Le Pen, puis sa fille, puis G. - par ordre hiérarchique.
8) Fogiel parle de l'IVG. G. veut-il revenir sur la loi? G. refuse de laisser les femmes avec la seule contraception. Considère que le corps des bébés n'appartient pas aux femmes. F. conclut que G. veut revenir sur le droit à l'avortement.
9) Sur le mariage homosexuel, F. accuse G. de ne pas être clair. G. est prêt à expliquer. Selon F., G. a rapproché le mariage homosexuel de la polygamie. G. conteste les termes repris dans l'interview accordée au Journal du dimanche. G. aurait parlé du PACS, qui comprend la répudiation unilatérale, comme dans les pays de charria, dans les pays où le statut de la femme est le plus inférieur. F. : G. voudrait-il un mariage pour les homosexuels? Pour G., le mariage est fait pour transmettre la vie. Les autres formes sont parfaitement libres. Lemoine : G. est-il contre le mariage des personnes stériles? G. : absolument pas, parce qu'ils n'en excluent pas la perspective a priori. Il précise qu'il ne condamne pas les personnes, mais que la société doit favoriser les naissances. F. le coupe et change de thème.
10) F. aborde la proposition de Marine Le Pen de supprimer la couverture maladie universelle. Ça va intéresser Augustin Legrand (présent lui aussi et qui toise du regard G. sans lui parler depuis le début). En quoi G. trouve-t-il scandaleux que les personnes les plus démunies aient accès aux soins? "Alors là, franchement, (...) y'a des trucs qu'on ne comprend même pas. Donc que les plus pauvres, ceux que Legrand rencontre, qu'ils crèvent?" G. veut répondre de ces propos. Legrand constate l'absence de cohésion au FN. Selon G., les étrangers en France disposent d'une couverture totale refusée à certains Français dans la misère. En quoi l'un exclut l'autre? G. : "Dans les faits, cela exclut, quelle que soit la générosité à titre personnelle". F. demande si on laisse ces étrangers crever sur le trottoir. G. répond que le FN prendra les mesures que réclame Bongo pour qu'il n'y ait pas plus de médecins gabonais en France qu'au Gabon. F. s'énerve et demande à ce qu'on parle de la situation actuelle des étrangers démunis. G. répète qu'il faut soigner les étrangers chez eux. F. l'accuse de ne pas répondre à la question. G. prétend parler du futur comme un porte-parole de l'opposition au système. F. revient sur les propos de Marine Le Pen en 2003, exigeant l'abrogation immédiate pour les familles les plus pauvres. G. réfute que ce soit pour les Français. F. résume : en France, pas de droits pour les étrangers. G. : les droits vaudront seulement pour les étrangers qui cotisent. Il est anormal que des étrangers en situation irrégulière soient soignés gratuitement en France. Il faut inverser le courant de l'immigration. F. essaie de faire dire à G. qu'il veut laisser les étrangers pauvres crever sur le trottoir. Legrand s'énerve de nouveau. Carlier demande s'il faut renvoyer les médecins gabonais. G. : on s'efforce de... Il est interrompu par F. qui lui enjoint de répondre à ses questions (G. répondait à celles de Carlier). "C'est la même chose!", tranche F. G. rappelle qu'il n'est pas question de laisser qui que ce soit mourir dans la rue, sur le ton de l'évidence amusée.
F. attaque le débat sur la soupe au cochon populaire. J'en arrête là ma retransmission, laissant le soi à l'internaute de se rendre sur Dailymotion pour visualiser l'interview scindée en deux parties. Je ne résiste pas au plaisir de citer le mot si fin de Carlier : le FN serait le parti du plaisir (référence à la candidature d'un pin-up siliconée). La preuve? Il s'en branle... Carlier se lance après dans la psychologie de comptoir : à quel moment G. a-t-il basculé vers la haine? G. : Higelin a plus de haine que lui. F. : G. a invité en 1990 à Lyon un ancien officier des Waffen-SS par esprit d'ouverture. G. répond qu'il s'agissait du chroniqueur vedette de la radio bavaroise pendant trente ans, du député européen et président d'un parti politique légal (d'extrême-droite). G. précise que des officiers Waffen-SS de haut vol ont fait des carrières politiques brillantes au sein du parti socialiste allemand après la guerre.

Il ne s'agit nullement d'entreprendre le commencement d'un début de défense de Gollnisch, du FN, de Le Pen. Il est clair que ce type de réaction est d'autant plus réactive qu'elle propose clairement la violence contre le désordre. L'ordre s'obtient par la violence. L'excès de violence est le refus de la violence, soit l'égalisation du réel dans une uniformité de l'ordre. Et pour cause : si tout est détruit, tout est égal. D'où la parenté avec les impressionnants résultats des chapelles communistes.
Toujours est-il que les démocraties susciteraient moins de rejets si elles ne s'exposaient pas à cette violence qui reste au moins sournoise et rampante. Pour que le FN obtienne plus de 20% des suffrages, il faut que la démocratie française soit en crise. Elle n'est pas seule. Cette crise correspond à la confiscation des institutions et des principes démocratiques par des coteries élitistes, qui réclament d'autant plus la démocratie qu'elles ont beau jeu d'en confisquer le pouvoir.
La variante intellectuelle de cette appropriation antidémocratique, au nom de la démocratie, s'est affirmée en France avec le socialisme bobo des années 80 et la montée des intellectuels médiatiques et médiocres, façon BHL. Elle amorce son ressac avec la génération Royal&Enthoven.
La variante médiatique est moins cercle fermé sur les mérites indépassables de sa qualité supérieure, mais plus populisto-snobinarde. Il n'est pas étonnant que le Français blanc en proie à la pauvreté, ou inquiet de la mondialisation, qui a déjà tendance à chercher des boucs émissaires auprès des récentes générations d'immigrés, vote pour le candidat qui recoupe le sentiment d'injustice qui l'étreint. L'électeur du FN n'en peut plus que des élites corrompues et déconnectées de sa situation lui serinent avec condescendance que le problème de l'immigration n'existe pas; que l'insécurité est un fantasme nauséabond; que l'antiracisme primaire est le fondement de l'impératif moral; et qu'il faut se serrer la ceinture!
A écouter la horde des lyncheurs du PAF et d'ailleurs tomber à bras raccourcis sur les thèses du FN, avec la bonne foi du nanti donneur de leçons, l'électeur qui souffre finit par se dire que le FN s'en prend trop sur la gueule pour n'être pas une victime expiatoire à sa mesure. On ne parle du FN que pour le diaboliser. Le FN est le repoussoir des élites hypocrites et largement corrompues qui dirigent la France au profit quasi exclusif de leur renouvellement depuis trente ans. Le FN est le miroir de ce pouvoir qui n'est pas démocratique et qui ne veut pas passer la main, trop satisfait de ses prébendes graisseuses. Plus les Fogiel du show-business, qui n'est que le miroir aux alouettes du world-business, s'acharneront avec leur mauvaise foi formatée, sur les épigones de Le Pen, plus l'électorat brimé et protestataire s'incarnera dans le sein de son seul exutoire et de son seul mode d'expression. On veut être entendu! Par tous les moyens!
Le coup de Fogiel se réclamant, avec la mauvaise foi d'un diablotin en rase campagne, de la Compassion et des Valeurs Universelles de Justice, pour excommunier les suppôts de la haine, est trop connu par celui que l'incompréhension agresse chaque jour. Allez lui expliquer, d'un air sentencieux, que la Raison commande de ne pas être raciste et de se montrer patient, quand une horde d'un autre ordre, composée d'Arabes à 90%, squatte son entrée, deale, pisse et chie sur le pas de sa porte. Les distinguo sont plus aisés à fourbir place des Vosges à Paris...
Fogiel plus pourri que Gollnisch? Telle est probablement la tragique vérité d'un système qui n'en peut plus de macérer sur pied. Le miroir du FN, toutes les pertinentes analyses sur ses détestables méthodes, ne cache qu'une vérité : si le FN est incapable de gouverner, c'est que les dirigeants actuels sont juste capables de détourner à leur porfit la démocratie. Quant aux opprimés qui se désespèrent de voter Le Pen, ils ne seront pas entendus tant qu'un bon coup de pied n'aura pas été donné dans la fourmilière. Le renouvellement est la condition sine qua non de la préservation de la démocratie. A l'heure où tous les fils de viennent polluer les chaires et les strapontins, jusqu'à confisquer les caisses de résonnance de l'écho du KO, ce constat a valeur de dernière semonce. Messieurs les damnés, tirez en premier - votre balle dans le pied?

Haine et amour

La haine sépare et détruit. C'est son avantage et son inconvénient.
Le vrai amour n'unit pas. Il crée.

jeudi, mars 15, 2007

Renaissance

J'écoute le passage de Royal avec Chabot. C'est un véritable robinet à promesses que déverse la Jeanne d'Arc socialiste sans se rendre compre que le temps des promesses en politique est fini. Bayrou l'a bien compris. C'est peut-être la raison pour laquelle il sera élu. Les Français, face à l'érosion de la démocratie qu'instille à son profit l'ultralibéralisme, soit le règne de la consommation et de l'élite marchande, n'ont pas le choix d'imiter le dégoût électoral qui prévaut au sein des communautés qui forment le peule américain. Ils sont contraints de jouer leur rôle historique : d'être les fers de lance de la création d'une politique qui épouse les contours de la mondialisation. Le mensonge cardinal qui enserre à l'heure actuelle l'impulsion globalisatrice? L'idée que l'on peut abolir la politique - au profit de l'économique. C'est l'inverse qui est vrai : non seulement le politique est appelé à gagner en valeur, mais il est contraint d'inclure dans son évolution l'écologie. C'est l'écologie qui appelle la restructuration de l'économique au profit de la seule décision qui compte, celle que l'économique ne peut pas résoudre : que fait-on de la violence pour en faire une force et une alliée?

Vacances

Tout sens contient son absence.

mercredi, mars 14, 2007

Les amis

Que l'écrivain Calixthe Beyala est pénible à entendre, à chacune de ses apparitions médiatiques! Elle vocifère, elle vitupère, elle morigène. Telle la poule, elle prouve qu'on crie d'autant plus fort qu'on a tort. A force de se lancer dans des caricatures incoulables, on va finir par penser que les Noirs sont protégés par les préjugés qui les accablent! Quand ils profèrent des imbécillités, on feint de ne pas entendre le scandale qui aurait provoqué l'excommunication de tout bon Blanc qui se respecte. Comment une plume si mal taillée subit un succès aussi confondant de mauvaise foi fielleuse? Faut-il que les écrivains noirs soient de mauvais écrivains pour être reconnus comme écrivains par le système artistico-médiatique? Comment expliquer qu'Ahmadou Kourouma n'ait jamais eu le retentissement populaire que ses oeuvres méritaient? Il est vrai que Kourouma dérange et que la subversion qu'il instillait n'est pas vraiment l'apanage de Beyala. Au passage, puisque Beyala est camerounaise, une pensée pour Um Nyobé, Félix-Roland Moumié, l'UPC et les Bamikélés. Comprenne qui pourra!
En entendant les commentaires porter sur l'élection présidentielle, fleurir les plus savantes analyses, les plus tortueuses prospectives, les plus fouillées envolées, j'ai plus que jamais le sentiment que le commentaire est le plaquage d'une machine un peu artificielle et vaine sur le réel. Non que le sens soit indépendant du réel, mais que le sens n'est jamais en mesure que d'exercer ses lumières a posteriori.
L'artifice du réel, sa botte secrète, celle qui emporte l'adhésion conquise et irrévocable du grand public, c'est de laisser croire que le commentaire possède une méthode pour donner sens aux moindres événements du réel. Les analystes politiques, gens savants et surdiplômés, partagent la faculté hypertrophiée et étonnante de se montrer capables d'apposer leurs méthodes sur le moindre des événements avec d'autant plus de brillance et de voyance.
Pool! Nos impétrants sont partis. Ils vous expliqueront avec autant de talents et de persuasion, et le retrait de Jacques Chirac de la vie politique, et sa candidature surprise à la présidentielle; et l'effondrement de Le Pen au premier tour, et son accession au deuxième; et le caractère ringard du candidat Bayrou, et ses chances de finir à l'Elysée, en successeur de VGE et de Delors.
La force du commentaire, c'est de tout commenter. C'est aussi sa faiblesse. Nos brillants rhéteurs, avant de figurer dans les grands jurys politiques, furent tous d'inoubliables énarques, normaliens, agrégés, journalistes, politologues si sûrs de leurs connaissances inégalées. Le savoir est le meilleur instrument du mime. Celui-ci s'appuie sur les thèmes scolaires les moins engagés. L'agrégé est ainsi capable de scinder toute leçon en trois parties, ainsi que de réciter l'explication de n'importe quel texte. Quel que soit le sujet, quelle que soit la valeur de l'auteur, il tripatouillera, mais, même si l'intitulé est plus abscons que certains fragments des Véda, il s'en sortira. Avec les honneurs.
Le propre de toutes les études, de tous les concours en terre d'Occident? Laisser croire que l'ordre préexiste au formidable bouillonnement qui agite les productions humaines, spécialement celles qui font tourner notre monde - les idées. Et cet ordre permet de tout expliquer, de tout illuminer. La démarche préconisée consiste à retrouver cet ordre béni, cet Age d'Or de la connaissance, et à le porter au fronton de l'intelligence radieuse et épanouie.
On mesure pourquoi l'homme se persuade que les diplômes sont le signe d'excellence de l'intelligence épanouie. De l'intelligence? Certes. Reste à savoir laquelle. Il ne suffit pas de rappeler que la prééminence de l'intelligence abstraite sur la pratique suffit à disqualifier tout type d'intelligence qui ne respecte pas la rigueur, soit le respect studieux à cet ordre universel.
L'intelligence que l'on élit, c'est celle qui établit l'essentialisation du sens, le fait que le sens précède l'existence. Cette annonce, plus que contestable en soi, suppose, pour être socialisée, politisée, bref, humanisée, qu'elle se fonde dans le moule de l'académisme. Pour que sa valeur se révèle à l'usage, il ne faut pas qu'il présente une valeur relative. Si l'académisme n'était que le rappel à l'ordre des choses, il serait un juste passage obligé. Mais l'académisme n'est pas la loi selon laquelle l'imitation précède tout type de création (l'apprentissage, tout type d'action). Il exprime dans le même temps le coup de force confinant au coup d'état que la raison lance sur le réel.
Une OPA en bonne et due forme, qui permet au sens de s'investir en puissance créatrice du monde avec la bienpensance assurée des gens convaincus d'avoir raison : le sens est tout-puissant! Qu'on se le tienne pour dit! Au commencement était le sens... Je crains fort que cette erreur programmatique, qui veut que le sens soit le père/mère du réel soit une erreur plus que perverse (soit : le sens sens dessus dessous). Le genre d'illusion qui (or)donne ses lettres de noblesse à l'anthropomorphisme et qui permet de conforter l'ordre social.
Il n'a échappé à personne que le formatage consistait à donner du fond à ce qui n'en avait que la forme. Soit : à donner ses lettres de noblesse à l'ordre au détriment du mystère du réel (que l'on peut nommer désordre ou chaos sans désagrément). Problème : sans mystère, pas d'ordre. Si le sens est seul, il est vide - aussi. L'académisme, le scolaire, le formatage ne sont que trois termes différents qui recoupent la même réalité. Elle s'énonce ainsi : le fait d'universaliser arbitrairement le sens au motif que le réel asensé est trop inconnu, trop insaisissable, trop angoissant.
Bien entendu, il serait dangereux de penser qu'on peut se passer de tous les avatars du sens, y compris l'académisme et le formatage. L'homme a d'autant plus besoin du sens qu'il disparaîtrait sans ordre. L'académisme est plus essentiel à l'homme que le rappel de la précellence du désordre. Le pédant, le diplômé, le commentateur rigoureux seraient-ils plus importants que le subversif, le marginal, l'inclassable? Vaudrait-il mieux s'approcher de la figure du fils à papa installé que du clochard fier de vivre en marge des institutions?
Nullement! Disons que les marginaux sont aussi nécessaires à la bonne marche de l'humanité que les fils à papa qui ont intégré à leurs circuits agiles et performants les conventions de l'imitation. Évidemment, le plus confortable est de se tenir dans la moyenne conforme. D'être un imitateur pas dupe, dont la priorité est de faire des enfants - soit de sacrifier à l'impulsion la moins sensée, al moins rationnelle qui soit. Mais pour sa position dans la société comme dans la vie, on ne choisit pas. A bon entendeur, salut! Il reste que la crise du sens se manifeste toujours quand le sens en fait trop, quand, ayant perdu la boussole, il en arrive à tout contrôler. A prétendre, pour le dire un peu vite, que seule l'imitation existe.
Cas de la scolastique, de la théologique Sorbonne et des inoubliables Aristoteles dixit. Cas également de toute la modernité, dont Rosset a bien montré qu'elle ne fait que suspendre le sens pour mieux le réinstaller dans un plus tard introuvable (la fameuse et emblématique différAnce). La modernité vit une crise du sens qui se manifeste par un surinvestissement du sens.
Paradoxe? Demi paradoxe? En tout cas, la valeur du sens s'étalonne à l'aune du crédit qu'il accorde à ce qui ne fait pas sens, à ce qui ne s'autorise d'aucun ordre, ni d'aucune constitution. En tant que tel, cet aléatoire est aussi ce qui ne se laisse pas évaluer, mesurer, décortiquer. Les tenants du sens ne peuvent que se défier de ce réel qui a en outre l'outrecuidance de rappeler qu'il n'est pas réductible aux investissements du sens. L'infini dans la lorgnette du fini n'exprime jamais que la profonde incompréhension que les deux termes engendrent. Le commentateur se défie toujours du créateur.
Pourtant, sans créativité, l'humanité ne pourrait survivre à sa peine. L'imitation pure conduit à la déperdition qualitative du savoir dont elle s'enorgueillit. Il faut bien que de l'originalité qualitative surgisse d'on ne sait où, d'un certain no man's land, pour que l'imitation devienne opérante. L'imitation aurait-elle le besoin impérieux de ce dont elle se défie le plus? Je dirais même plus! La négation de la créativité coïncide avec le surinvestissement du sens. Sans créativité, le sens est perdu comme la boussole privé de ses chers points cardinaux. Sens et créativité forment un couple tumultueux. Qu'aucun ne tombe à l'eau, sans quoi le bateau les suivrait sans tarder!
Pour éviter le naufrage, une question : d'où viennent les idées? Cette question participe d'une autre, similaire : d'où procèdent les oeuvres d'art (quelles qu'elles soient)? Certainement pas du sens, ni de la raison! Sans quoi les artistes seraient les tenants de l'ordre intellectuel, de ces penseurs cooptés par le système dominant, cette fameuse pensée dont on glose sans savoir par quoi la remplacer. Même si l'on ne croit pas dans l'idéal d'une société parfaitement huilée, il est certain que si cette option était la bonne, BHL (ou d'autres) serait le Kant de l'époque. Malheureusement, il n'en est que le larbin trop prévisible.
Allez savoir! L'artiste est cet inclassable, cet incunable qui dérange d'autant plus qu'il est indispensable à l'avancement de l'humanité et du sens. Ce n'est pas son plus mince paradoxe : d'être le plus fidèle allié de son meilleur ennemi. Son pire ami.

Prétention

La prétention n'est pas le fait de se croire supérieur aux autres. C'est de le vouloir.

mardi, mars 13, 2007

Représentation

La perfection ou l'imperfection ?
L'imperfection est la perfection.

Invisible

"Les parents ont mangé les raisins verts et les enfants ont eu les dents agacées."
ANCIEN TESTAMENT.

On se rappelle que le romancier nord-américain Chester Himes dénonçait, comme caractéristique principale du racisme dont étaient affligés les Noirs (soit les descendants d'esclaves africains), l'invisibilité. Était-ce seulement la conséquence - la dénonciation des multiples discriminations intentées à l'encontre des Noirs-, ou la cause - le fait que la conception de la vie qui anime l'Africain soit à l'origine de ses persécutions par l'Occident métaphysique et monothéiste?
Bon, un peu d'éloge! Moi qui ai si peu goûté le numéro 7 de Philosophie magazine, coincé entre les écoles de pensée qui suivent l'air du temps et les pédants moralisateurs, j'ai été emballé par un petit article marginal. Les Fantômes de l'hôpital. C'est souvent ainsi : le détail donne son sel à l'essentiel. Quand le détail devient l'essentiel, l'essentiel devient l'accessoire... Il est vrai que les événements suivent des courbes étonnantes et imprévues. Je laisse aux disciples des Shadok les amphigouris du dossier spécial consacré à l'école-de-pensée-révolutionnant-le-sexe-et-la-morale. J'entends évoquer le séminaire que le philosophe burkinabais Didier Ouedraogo livre, à l'hôpital Saint-Louis de Paris, aux professionnels de la santé souhaitant s'initier aux méandres des conceptions africaines.
Dans le Réel et son double, Rosset explique que selon Hegel, "ce monde-ci est l'autre d'un autre monde qui est justement le même que ce monde-ci : car cet itinéraire mystérieux, au cours duquel le phénomène se médiatise soi-même en soi-même pour devenir manifestation de l'essence, n'est autre que le chemin qui conduit de A à A en passant par A."
Hegel réconcilie le monde sensible avec le monde idéal grâce à une médiation qui fait du suprasensible "l'exacte duplication" du sensible. J'ignore au juste si Hegel, que je n'ai jamais lu, pour ma grande confusion et ma grande satisfaction, est proche de cette mentalité africaine qu'il a tant décriée dans La Raison dans l'histoire. Il est vrai que les grands philosophes de l'Occident n'ont jamais que délaissé et méprisé la pensée africaine, y décelant l'évocation de sauvageries infra-conceptuelles. Laissons aux historiens de la philosophie cette propension curieuse à ignorer le futur au nom de l'intelligence et de la Raison. Mille pardons!
Hegel pan-africain, l'anecdote ne manquerait pas de sel! Encore que Hegel est l'antithèse du modèle africain. Pour être métaphysicien accompli, Hegel croit à la réconciliation du sensible et de l'idéal grâce au deuxième monde suprasensible. Ce deuxième monde n'est pourtant pas le sensible. L'unicité du réel est ainsi déniée au profit d'une réconciliation de la pensée.
A en croire Ouedraogo, mais aussi l'extraordinaire Kapuscinski d'Ébène, les cultures ouest-africaines ont ceci de commun entre elles qu'elles adhèrent au moogo, "un monde scindé entre celui des vivants et de ce qui les entoure, et celui des génies et des ancêtres invisibles et éternels", selon Lia Duboucheron. Duboucheron toujours : "Deux vases communicants avec une prédominance du second qui investit en permanence le premier et le dépasse puisque c'est lui qui décide de ce qui advient aux hommes." Ouedraogo : "Si nous occupons l'espace éthique de cet hôpital ce matin, c'est parce que le monde invisible nous le permet, c'est une concession de jouissance. Les ancêtres sont impliqués dans tous nos actes quotidiens."
Quelle serait la différence entre la conception hégélienne et la version africaine du réel? Il n'est jamais facile de différencier le dualisme de l'unicité pour la simple et bonne raison que l'unicité conçue comme matérialisme n'est guère plausible et que toute conception qui tend à différencier le réel de sa représentation est catégorisée duelle.
Reste à expliquer le caractère incompréhensible de ce monde-ci. Soit par l'adjonction d'un autre monde, satisfaisant celui-là; soit par l'idée que la représentation est parcellaire et tronquée. En ce cas, l'unicité du réel, plus cohérent que l'ailleurs introuvable, possède une meilleure pertinence que l'unique insignifiant.
Si le réel est double, c'est du fait de la propension humaine à comprendre le même par l'autre. L'homme est contraint à dédoubler l'un en deux pour l'expliquer. Il se pourrait que la conception africaine, dont l'antériorité sur les autres conceptions ne fait pas de doute, n'ait pas accouché que de la métaphysique occidentale, n'en déplaise à Kant ou Hegel (il serait aisé de trouver des correspondances importantes entre la pensée hellène et son ancêtre égyptienne).
Elle porte aussi en son sein la philosophie du futur, selon laquelle, si le réel n'est pas complet, ce n'est pas du fait d'une imperfection du réel (le sensible), mais du fait d'une limite de la représentation humaine. Non pas tant que cette représentation soit imparfaite, mais qu'elle soit ajustée aux besoin immédiats du vivant. C'est la bizarrerie et la supériorité de l'homme que d'envisager ses besoins au-delà des nécessités matérielles. Bizarre : l'homme s'en trouve désemparé et à jamais inquiet. Supérieur : grâce à cet apport, l'homme est capable de s'extraire du pur présent et de dominer son monde.
Il reste à savoir si cette hégémonie tyrannique, dont on mesure les résultats destructeurs à l'aune des avertissements que la communauté scientifique adresse à l'humanité, n'est pas aussi la faiblesse qui perdra le plus grand prédateur de tous les temps. La solution se trouve, non pas dans le ressassement des anciennes métaphysiques, mais dans leur dépassement par la réconciliation. La réconciliation hégélienne supposait la médiation de la synthèse, l'idée d'un troisième terme pour remédier aux antagonismes du dualisme. L'élan de la mentalité africaine vise précisément à réconcilier le monde avec le réel en intégrant le réel qui nous dépasse au monde de l'homme. C'est précisément l'inverse de la démarche moderne, l'homme occidental n'ayant rien trouvé de mieux, pour accroître sa puissance, que de nier le réel transcendant au profit d'une extension inconsidérée du domaine du fini.
En deux mots : de deux, revenons au un. De la complexité duelle, le primat de la représentation, regagnons la chaleur hospitalière de la simplicité singulière - le primat du réel. Ce n'est qu'avec l'Afrique que nous entreprendrons ce retour aux sources, ce retour aux racines. Voyage initiatique aux portes de l'entendement?

lundi, mars 12, 2007

Le plus vieux métier du monde

Si la prostitution était un métier, avec une qualification professionnelle, on trouverait des écoles de prostitution, et les plus brillantes personnes prostituées intégreraient l'Ecole Normale Supérieure de la Prostitution, sise dans les beaux quartiers proches du bois de Boulogne. On y trouverait la fine fleur des personnes prostituées, les homosexuels et les travestis, les sados-masochistes, les gérontophiles, les zoophiles, tous les représentants de toutes les catégories, en fait. Les personnes prostituées verraient leur métier enfin reconnu, perçu à sa juste valeur, célébré après des milliers d'années de brimades et d'assimilation moraliste à l'esclavage sexuel, après des âges de glace où l'on a considéré la prostitution comme une activité nécessaire, mais inassimilable à toute politique.
Depuis que la société occidentale a opposé l'esprit critique à la tradition, le mythe de la libération sexuelle a plus tendance à occulter le problème qu'à le résoudre. La libération sexuelle n'a pas affronté le vrai problème tapi au coeur de la violence : celui de la violence qui meut l'être humain et n'en fait certainement pas un animal gouverné par la raison. Cette fameuse libération évoque plus la porte d'entrée de la prison qui ne dit pas son nom, quand elle ne prétend pas indiquer la sortie, que l'évasion réussie. En attendant que la libération sexuelle ne se contente pas de révoquer les interdits de la tradition comme si les tabous ne cachaient que des illusions dépassées, ladite libération demeurera un voeu pieu, qui aura accouché de quelques progrès incontestables, mais, la plupart du temps, d'un dangereux aveuglement.
Ce n'est pas parce qu'on décrète que la mort n'existe pas que l'on ne mourra plus.
Pourquoi ne trouve-t-on pas d'études en prostitution? Parce que la prostitution n'est pas un métier. C'est même un acte qui échappe à l'argent et qui échappe tellement à la rationalisation que nos sociétés de libération critique peinent à lui donner un sens cohérent. Toutes les voix se mêlent, dans une discorde qui serait joyeuse et salvatrice si elle ne ménageait pas la possibilité, au milieu de l'indulgence débonnaire, des activités les plus criminelles.
Moi qui croyais que le mérite et le propre d'un apprentissage professionnel était d'apporter un savoir-faire! Moi qui pensais qu'on ne s'improvise pas plus boulanger que magistrat et qui admirais l'artisan et l'intellectuel! Je sais bien que la formation n'est pas le chemin indispensable qui mène à la maîtrise. Qui aime la menuiserie en amateur éclairé peut fort bien faire un excellent menuisier à ses heures perdues ou gagnées. Dans tous les cas, avec ou sans diplôme, on ne parvient à aucune compétence sans apprentissage, y compris autodidacte.
En matière de sexualité, les choses se révèlent assez différentes. Pourquoi la sexualité a-t-elle toujours échappé à la formation et la professionalisation? Non que l'expérience sexuelle soit négligeable dans la pratique, tant s'en faut. Mais, à moins d'être atteint d'impuissance ou d'avoir fait voeu de chasteté, la sexualité est la chose la mieux partagée des hommes. Sans crainte de se tromper, on peut affirmer que le sexe est le propre de l'homme. 100 % des gagnats ont tenté leur chance!
L'accès à la sexualité est universel depuis la naissance et jusqu'à la mort. La sexualité n'est certes pas le seul moyen d'éprouver du plaisir à vivre, mais il est celui qui permet d'assurer la reproduction.
A moins de considérer que la vie dispense une formation biologique continue et tacite, il est hautement improbable de ramener les manifestations de la vie à une dimension professionnelle. Pour ce faire, il faudrait que la sexualité accouche en premier lieu du plaisir. Je crains fort que ce point soit contestable et que l'idéologie du plaisir sexuel comme horizon absolu et indépassable soit un fantasme pour nous divertir des bornes si étriquées et si peu satisfaisantes de l'existence. Si le plaisir sexuel s'obtenait de manière mécanique, la question de son apprentissage pourrait se poser en toute rigueur. Malheureusement, on sait que le plaisir sexuel ne peut se définir de manière cohérente que partagé et que ce partage obéit à des lois complexes, faisant intervenir les sentiments et l'expérience de partenaires éprouvés.
Le sexe est au-dessus de la politique en ce que c'est la politique qui sert la sexualité. Au lieu de ce postulat qui a au moins le mérite d'expliquer que toute interrogation sérieuse sur la sexualité accouche de l'indicible, l'homme, autant par dépit que par démesure, cherche à instaurer le primat de l'argent et à caser dans sa hiérarchie le sexe et l'art. Bien du courage! Il est curieux que l'homme compense la perte des valeurs par le totalitarisme de la raison : soit le fait de considérer que le raisonnement humain, cette manière de chercher des principes avant que d'agir, est la faculté la plus importante du monde et qu'elle domine et les comportements humains et le réel qui l'environne.
Cette simplification abusive n'est pas sans engendrer quelques inconvénients, au premier rang desquels l'incroyable masse de destruction qu'elle occasionne. L'homme est capable d'organiser la sexualité au mieux (ce qui n'est pas le cas présent), il n'est certainement pas en mesure de rendre la sexualité absolument rationnelle. C'est pourquoi la récente manière de professionnaliser la sexualité n'est rien d'autre que la faiblesse démagogique que les puissants oppposent aux envies de finitude qui assaillent l'homme depuis qu'il s'est mis martel en tête de détruire le réel au profit de sa propre émanation.
Ce faisant, la modernité ne se rend pas compte que la professionnalisation du sexe, aussi contradictoire soit-elle, rejoint l'ancien totalitarisme qui consistait à accepter qu'une catégorie de victimes paient pour la violence au coeur de la sexualité. Le sacrifice sexuel n'est pas le moindre des sacrifices. Il est seulement le moins remarqué, tout simplement parce qu'il est celui qui dérange le plus nos représentations du réel.
La différence? L'ancien totalitarisme avait sur ce point le mérite de la franchise. La pute était une salope et une créature du diable, une sorcière sans danger social à condition qu'elle se trouve marginalisée. L'ultralibéralisme essaie de normaliser la marchandisation du sexe en banalisant le sexe tarifé après avoir banalisé l'art en versant des sommes exorbitantes pour un tableau de Van Gogh. Le prix de la passe ne se chiffre pas au même montant, c'est le moins qu'on puisse dire! Sans doute est-ce dû à la valeur actuelle de la vie et à ce désir démagogique d'universaliser le plaisir en le rendant accessible à toutes les bourses. Pour l'instant, l'art est trop divin pour se répandre jusqu'aux couches de la plèbe!
La prostitution serait-elle diabolique? L'universalité du sexe incline à édicter sa valeur sacrée, non à le finitudiser avec l'empressement zélé des sacrificateurs en quête de sacrilège. La modernité estime confusément que l'argent donne la mesure de toute chose et que cette tarification monétaire viendra à bout de toutes les difficultés et de toutes les peines. Je crains qu'elle ne fasse que les aggraver.
Entériner le principe de l'hécatombe, c'est tolérer la destruction de quelques milliers d'individus placés au ban de la société, dans des quartiers spéciaux, avec des régimes échappant concrètement à la loi, le tout pour satisfaire aux besoin des mâles et à la complicité des femmes. Les personnes prostituées sont le réceptacle de cette violence qui prend le nom d'amour et se nomme parfois guerre des sexes (je pense à Nietzche, Bataille et quelques autres).
On sait pertinemment que le besoin en personnes prostituées est limité à la demande très particulière des hommes qui pallient leurs carences affectives (quel sens objectif de la résolution!) ou le besoin de domination. Le fait qu'en guise de légitimation, on soit prêt à conférer à la pratique sexuelle une adjonction psychologique est certes grotesque. Je me rappelle d'une bonne émission, Le magazine de la santé, qui n'avait pas hésité à recourir, après de pénibles recherches, au témoignage douteux d'une péripatéticienne du bois de Boulogne pour laisser croire que les prestations à l'abri des buissons constituaient la meilleure thérapie pour lutter contre les problèmes sexuels, les coups de grisou ou les difficultés persistantes de la vie! Plût au Ciel que cette femme si distinguée (preuve de l'esprit de tolérance d'une émission qui se refusait à entériner les billevesées laissant croire que la personne prostituée est victime de la violence?) se fût exprimée dans la langue de Voltaire - ce qui n'était pas loin d'être son cas!
On imagine déjà la scène de cette femme qui, entre deux fellations, parvenait, par la puissance et la singularité des relations tissées avec les clients, à surpasser de très loin les théories de la psychologie moderne, les théories freudiennes, lacaniennes, jungiennes, les TCC, la psychologie de comptoir, celle de bazar, pour délivrer son savoir sexuel! Un bon coup de bite, un vidage de couilles, voilà où se situait la solution aux problèmes psychologiques! Quand je pense à tous ces gens qui se suicident alors qu'il leur aurait suffi de fréquenter une personne prostituée pour mettre fin à leurs souffrances!
Il est vrai que les actrices porno incluent dans leur promo des conseils en sexologie qu'elles n'ont aucune habilitation à délivrer sans éveiller un début d'étonnement. Bien dans l'air du temps, le sexologue présent lors de l'émission sus-mentionnée ne songea nullement à défendre la réalité prostitutionnelle. Mû par le seul impératif corporatiste, il s'empressa de contester le témoignage de la personne de grande vertu en rappelant qu'une péripatéticienne ne présentait aucune qualification pour délivrer des conseils pertinents sur le sexe.
Dispose-t-on d'ailleurs de qualifications objectives pour former des spécialistes du sexe et transformer les pratiques sexuelles en domaines de compétences avérés? Rien n'est moins sûr puisque l'acte sexuel est ouvert (sans vilain jeu de mots) à tout le monde! La sexualité est moins l'apanage de l'individu que de l'espèce, suivant le mot de Schopenhauer! Par contre, tous les désagréments que ne manque pas d'engendrer un acte, si fort qu'il implique l'ensemble de l'identité et de la personnalité, sont pour l'individu.
Il suffit à ce propos de consulter les enquêtes sérieuses qui contredisent les divers arguments-arguties que les néo-réglementaristes dispensent avec ignorance ou mauvaise foi pour exiger que la prostitution sorte de son ghetto et devienne un métier honorable - un métier comme un autre! Que l'on se rende dans certains Länder considérer l'utopie homicide de cette revendication, qui possède autant de chance d'advenir que la dictature du prolétariat ou le règne de Dieu sur Terre.
C'est dire! En attendant, il n'échappera à personne que la prostitution rapporte beaucoup (des milliards) et que l'essentiel des billets rejoint les escarcelles des organisations criminelles. Voilà sans doute la raison pour laquelle ce "métier" si rémunérateur n'est jamais l'apanage que des personnes les plus démunies et les plus détruites. S'il est vrai que la prostitution est le plus vieux métier du monde, c'est qu'elle est dans le même temps le plus dénué de toute qualification - qu'elle transcende toute politique et tout lien social.
Quel cynisme que ces subversifs de la petite semaine qui encouragent la prostitution au nom de l'intensification de la liberté (l'extrémisme libertaire cache le totalitarisme le moins attaquable)! Se rendent-ils compte que leurs arguments servent l'idée qu'il est nécessaire qu'une clique d'objets sexuels assouvissent les pulsions incontrôlables des plus fragiles représentants de la mâlitude (dans laquelle figurent en bonne place ces femmes qui auraient rêvé d'être des autres, soit des hommes)? Peu de chance que ce soit le cas! Et c'est le secret de la violence, en particulier du tabou qui entoure la prostitution, que de fonctionner à partir de la désinformation, de l'ignorance et de l'intellectualisme. Tant il est vrai que l'homme de l'habitude est enclin à ne pas trop s'approcher des pâquerettes. C'est dingue, les vilains secrets que recouvre la pelouse harmonieuse d'un pimpant jardin...