mardi, janvier 30, 2007

Exercice de prospective politique

Les exercices de prospective politique sont partie intégrante de la réflexion que mènent certains étudiants de la Haute Ecole des Sciences Subliminales autour de la question capitale du devenir ontologique du politique (à ne pas confondre avec la politique). Les quelques remarques qui suivent ressortissent donc de la spéculation purement imaginaire. Elles ne concernent en rien des événements ayant existé, puisqu'elles travaillent sur des concepts métaphysiques et aporétiques. Toute ressemblance avec des personnages réels serait fortuite et controuvée.

Imaginons que Ségolène R. ne soit qu'une vitrine. Une victime? Un petite groupe influent de parlementaires et d'énarques du parti socialiste, avec à sa tête A., se réunit. Le sujet est aussi ultraconfidentiel que l'atmosphère est lourde. L'heure est à la levée des tabous presque autant que des corps. Avec Jospin le Retour, Fabius le Vautour et DSK le Balourd, le PS n'a aucune chance aux présidentielles. Zéro pointé. Triple zéro. Il faut inventer quelque chose pour empêcher le Déshonneur, le coup de 2002, tel un vilain boomerang sadique et prévisible.
Un doigt se lève parmi les quelques conjurés qui cherchent une issue à la grisaille : et si c'était une femme? Après Primo Lévi, la question ronfle comme le succès impayable. Mais oui, bon sang, c'est bien sûr! Les éléphants sont bons pour le cimetière! Seule une femme peut redonner l'impulsion, le sens de l'espoir, celui de l'histoire! Seule une femme peut incarner la version postmoderne du Progrès!
Quelle est cette femme? Aubry ou Guigou sont grillées : trop grincheuse ou guindée. Il faut plus simple, plus limpide, plus candide aussi.
A un moment surgit du chapeau d'A. ou d'un autre (si Ségolène gagne, il dira que c'était lui; si elle perd, il jurera du contraire) le lapin magique. Je n'ose accorder au féminin, on me tancera d'allusion obscène ou d'outrage machiste. Ségolène venait d'apparaître! Du fait de sa beauté, de sa fraîcheur et de son sourire éclatant, elle était retenue en tête du casting! Elle seule pourrait défaire la terrible malédiction prononcée par le Vieux peu avant sa mort.
Elle énonçait qu'après lui le Déluge. Que les socialos ne remettraient pas le couvert de sitôt. Avec Ségolène, rien n'était moins sûr. Les Français avaient besoin d'une femme pour changer leur vie et dépoussiérer la politique. A., H. et consorts étaient trop connotés phalliques-lubriques-corrompus pour incarner la tête des vainqueurs et du changement. Seule l'ombre leur donnerait l'occasion de prendre leur vraie dimension. Ils deviendraient les éminences grises, les Cardinal Richelieu, les spin doctors à la française qu'ils appelaient de leur voeu! Ils touchaient auport. Ils avaient trouvé leur vocation.
Ils avaient breveté une invention géniale et unique : qui pouvait se targuer à ce point d'avancer masqué derrière la marionnette, la girouette, la nymphette? Détenir le pouvoir sans en assumer les conséquences - ils la tenaient la trouvaille politique géniale du XXIème siècle! Grâce au people, ils allaient subvertir la politique française.
Fini le temps des vieux chefs de parti machos, des politiciens experts dans l'art de s'emparer du pouvoir! Désormais, il faudrait être expert dans l'art de promouvoir le produit politique porteur. Jean-Marc s'en pourléchait les babines d'avance. Seule question : les Français, ces éternels contestataires, se laisseraient-ils rouler dans la farine par une bande de manipulateurs sortis en droite lignée de l'ENA?
A., H. et consorts n'avaient pas prévu une autre question : et si Ségolène refusait? Impensable! Inimaginable! Elle était trop cassante, trop ambitieuse ou arrogante pour refuser l'honneur. Etre la Première Femme Française Présidente! Même la perspective qu'elle passe pour une gaffeuse et une godiche invétérées ne les effrayait nullement. Les Français refuseraient de contempler avec lucidité ce désaveu de leur espoir. Ils l'éliraient de plus belle! Ségolène avait tout bon, et sur tous les tableaux. Avant qu'on n'attaque la Femme-Présidente, le quinquénant pouvait s'écouler! Il serait toujours temps d'aviser la parade! Ségolène était, ils le sentaient, de la race des vainqueurs. De ceux qui décrochent le gros lot du premier coup, la première fois qu'ils jouent au loto.

Le mépris

En regardant l'émission subversive que Canal consacre à ces couples qui virent de peau comme de chemise (de noir à blanc, et vice versa), je n'ai pu que vérifier ce que je savais d'expérience : Canal Plus est la chaîne subersive du PAF en ce qu'elle dénonce les injustices avec trente ans de retard. Au bas mot. Car les réalisateurs de ce reportage post émeutes-de-banlieues-2006 ne font qu'entériner de manière conformiste l'incroyable sommes des préjugés qui sévissent dans nos sociétés postcoloniales à l'encontre des Africains, Noirs ou Arabes.
Delende Carthago est!, assénait avant chacun de ses discours le vieux Caton si ma mémoire est bonne. Les descendants de l'Afrique pâtiraient-ils encore de cette sourde animosité qui animaient les Romains confrontés à la concurrence des Empires africains ?
Des Blancs en Noirs constatent l'impayable résultat : les forces de l'ordre usent de blagues teintées de préjugés (Attention : humour!), les propriétaires louent sur le bout des lèvres leur appartement, le ton est à la méfiance... Comme c'était prévisible, le documentaire traîne en longueur et finit dans le moralisme le plus insoutenable. A écouter les réalisateurs, l'indignation à tendance victimisatrice est l'ultime solution qui reste à la société pour réparer ses fautes!
En attendant que l'on comprenne qu'entre l'égalitarisme républician et hypocrite et la discrimination positive et haineuse, des mesures ponctuelles accéléreraient le lent changement des mentalités, le plus urgent consiste avant tout à ne pas s'associer à ces élans expiatoires qui dissuadent, avant toute mesure efficace, toute tentative d'appréhension lucide du problème. Du haut de mon jugement de spectateur ravi de se hisser jusqu'aux cîmes triomphantes des beaux sentiments, je n'ai pu m'empêcher de constater à quel point le mépris résulte d'une occultation de la réalité. On refuse de voir l'évidence qui dérange!
En l'occurrence, les faits respirent la clarté : la couleur de peau se trouve sans rapport avec la valeur de l'individu. Le mépris consiste à ajouter de la valeur fausse. Il n'investit de valeur que les qualités et critères ineptes. Qu'on se trouve crédité d'un supplément de valeur (autant dire d'Etre) parce qu'on est blanc, riche, aristocrate, beau ou diplômé, ou, en réaction, parce qu'on est noir et pauvre, révèle le besoin d'ordre, de hiérarchie, de sens.
Fondamentalement, l'homme ne serait ni raciste, ni snob, ni arriviste, j'en passe et des meilleures, s'il ne cherchait, dans les tréfonds de son être, à fuir l'horrible vérité : la vérité n'existe pas en tant qu'elle procède du raisonnement anthropomorphique. C'est là que le bât blesse!
Autrement dit : le sens, relatif à une multitude de critères, ne possède aucune norme objective sur laquelle s'appuyer. L'homme est perdu dans la mesure où il se retrouve incapable de définir l'extériorité par rapport à laquelle instaurer son intériorité, investie des marques balisées de l'habitude, du sens, de la quiétude et de la vérité. De toute manière, sans sens, l'homme est éperdu...
Le racisme signale que la boussole, en manque de repères aigu, s'affole. Il lui faut d'urgence inventer et investir l'adversaire idéal qui établira l'opposition intériorité/extériorité, fort du mécanisme qui consiste à décharger sa violence sur une victime innocente des charges dont on l'accuse (les pages que Girard a consacrées à ce mécanisme anthropologique sont magistrales).
J'ajouterai que cette violence s'ancre dans l'indétermination et que tout l'effort de l'homme s'affaire à mettre du sens là où nul préexistant ne le dispute au stable. L'opération Du sens pour la vie suppose un fondement - précisément celui qui n'existe pas. L'homme modèle intériorité et extériorité selon une partition du réel qui révèle en creux la fumisterie des fondements.
Raison pour laquelle le mépris n'est pas tant la réaction controuvée par rapport à un événement menaçant que le besoin de créditer le réel d'une pincée de (bon) sens. Sans cet impératif, que je n'ose qualifier de moral, voilà belle lurette que l'homme ne se battrait plus pour des croyances ! Raison aussi pour laquelle le moralisme antiraciste n'apporte qu'un supplément de contresens (au sens propre comme au figuré) au sens jugé fallacieux. Car s'il est vrai que le raciste est dans l'erreur, la réhabilitation ne passe certainement pas par l'esprit de vengeance.
Après tout, racisme et antiracisme ont pour seul point commun d'imposer leur vérité du moment. La meilleure démystification du racisme (de tous les racismes) n'est pas encore de ce monde. Elle implique seulement qu'on ne croit plus dans la structure première et primaire du mysthe. Aux fondements du sens veillait le sens - déjà.

Telle mère, telle fille !

Episode 1.

A trente ans, d'un strict point de vue social, la fille est un remarquable modèle de réussite intellectuelle. De la même manière que certaines machines à laver ont été construites pour durer, notre robot humain a été conçu pour réussir. Elle a intégré dans ses circuits super mimétiques l'idéologie de la bourgeoisie universitaire selon laquelle un bon intellectuel est un étudiant bardé de diplômes comme autant d'assurances tous risques. De pensée, elle n'en a aucune. Il faut dire qu'elle n'en voit pas vraiment l'utilité, puisque pour elle ce qui n'est pas utile est dénué d'intérêt.
C'est ainsi qu'elle a abandonné tout contact avec l'art et la littérature. Sa mère était encore trop liée aux utopies pour aimer la lecture d'un grand roman. Elle-même s'est repliée sur les langues étrangères. Dans tous les sens du terme : la langue qu'elle a embrassée correspond parfaitement à la nationalité de son mari. Italiano. Un peu comme ces femmes qui ne consentent qu'à sortir avec des Noirs ou des Arabes, elle ne pouvait sortir qu'avec un macho.
Attention! N'allez pas vous imaginer qu'elle chercherait la domination sous la virilité. C'est exactement l'inverse. Elle a retenu à sa sauce la leçon maternelle : pour trouver le bonheur en amour, il faut dominer. C'est exactement ce à quoi elle prétend, la domination.
Domination amoureuse : choisir un homme au menton carré et aux idées courtes, qui se réfugiera dans la musculation et fuira l'affrontement comme la peste. Un homme de qualité, qui trouvera la certitude sous la domination féminine. Les biceps sont parfois le meilleur paravent derrière lesquels se tapit et s'abrite la faiblesse. La faiblesse est trait d'esprit redoutable. On la prend pour gentillesse, alors qu'elle est son exact opposé. Le faible se montre gentil avant les problèmes. Quand ils pointent le bout de leur naseau frémissant, il se fait méchant, fort du principe que la force est la girouette personnelle vers laquelle il s'incline toujours. Sa raison de vivre et de mourir. Il n'est que d'imiter.
Notre fille a trouvé son Rital de service. Qu'il est craquant, avec ses poils d'ours ténébreux et ses yeux revolvers qui lancent des flammes quand il est contrarié ! Qu'elle a bien fait son choix! Il ne court pas la gueuse et les boîtes comme son ex (qu'elle trompait de ce fait avec enthousiasme et bien-pensance) et il n'est pas autoritaire primaire comme les Rebeus de banlieue avec lesquels elle s'est encanaillée. Il faut dire qu'elle n'a pas accompli un exploit en le dénichant à la faculté. Il lui suffit de se contempler dans un miroir pour savoir qu'elle constitue un rapport qualité/prix de la melleure engeance : avec ses gros seins et ses yeux verts, ses faux airs d'Italienne prétentieuse et sa façon d'avaler les mots en roulant des pupilles (elle estime que c'est le signe du charme et du raffinement!), elle avait de quoi prétendre à l'homo maritalus auquel elle aspirait!
Elle l'a obtenu sans forcer, quand elle a compris que courir les ratés allait finir par desservir ses aspirations intellectuelles ! Comme il est encore plus mimétique qu'elle, il recopie sa réussite avec l'admiration du borné béat. Elle est devenue universitaire grâce aux complots de maman? C'est que maman incarne la Voie juste, la Voie droite! Le Rital n'en revient pas. Il est persuadé d'avoir épousé un Génie. D'ailleurs, l'heure est aux femmes. A quand les femmes-génies sortant de leur théière magique pour exaucer les voeux? Les siens se sont trouvés comblés par la grâce de la révolution féministe.
La preuve? Sa femme a réussi l'agrégation d'italien du premier coup, elle a eu un garçon, puis une fille du premier coup, elle est devenue maître de conférence du premier coup! C'est bien simple, c'est tout simplement un premier coup tout court! Il faut toujours s'incliner devant les femmes et ne pas chercher midi à quatorze heures quand il devient évident qu'elles vous mènent à la baguette et vous considèrent comme leur animal de compagnie doué de langage. L'aveuglement et le silence portent bonheur. L'intelligence subversive, malheur.
Le génie de sa femme? Génétique! Oui, vous ne rêvez pas, le miracle athée s'est produit : la mère a transmis à la fille son gène de génie! Les deux ont ce don incroyable d'être capable de traduire n'importe quelle version en n'importe quel thème et n'importe quel thème en n'importe quelle version! Quelles variations et quelles rengaines! En plus, elles ont dans le sang cette prodigieuse faculté de compartimenter n'importe quel texte en trois parties, neuf sous-parties et quatre-vingt une sous-sous-parties! De la virtuosité, du grand art! Du chef-d'oeuvre, n'ayons pas peur des mots!
Lui se sent incapable d'autre chose de plus productif que de soulever de la fonte. Raison pour laquelle il a entrepris une thèse. Pour faire intelligent en société, l'air de rien. Il vit pour la réussite de sa femme en pariant qu'elle rejaillira bien un jour sur sa petite personne. En enfant de l'Occident discipliné (bête et méchant?), il croit dur comme fer que le mimétisme est la clé de l'épanouissement personnel et que les intrigues sont les plus sûrs outils pour accéder au pouvoir.
Qu'il a bien retenu les leçons dont sa femme dispose de manière innée, depuis la naissance! Bien entendu, n'allez pas lui dire qu'il est arriviste, il se fout de la politique comme de sa première chemise! La politique, c'est pas bien, surtout quand c'est Berlusconi qui s'y colle! Sa profession de foi proférée, il fermes les yeux et dort du sommeil du juste.
Sa femme n'en peut plus de finir sa thèse. Elle ne voit pas l'intérêt de lire Dante ou Pétrarque. Maintenant qu'elle est universitaire du premier coup, pourquoi s'échiner à terminer ce qui se trouve dénué de tout intérêt? Chercheuse? Elle préfère ses gosses! Elle s'ennuierait ferme dans son existence chloroformée et ultra formatée si elle ne disposait pas de ces recours qui lui donnent de l'énergie sans qu'elle sache bien au juste pourquoi.
Cette ultraefficace a dédié sa vie à la réussite. Tout est minuté, programmé, le temps ne vaut que saucissonné. Elle adule sa mère, cette femme remarquable qui lui a permis de réussir à ce point sa vie, de lui donner un mari aimant, deux enfants qui réussissent, un travail prestigieux... Il ne lui manque qu'une chose : pourquoi diable son frère rate-t-il tout ce qu'il entreprend? Leur mère ne lui avait-il pas donné toutes les cartes en main pour gravir les échelons de la société? Pourquoi n'est-il pas devenu ingénieur s'il voulait faire montre d'indépendance à son égard ? Pourquoi n'a-t-il pas suivi le Modèle de la Réussite telle qu'elle-même s'y est tenue avec scrupule et discipline?
Le chemin était pourtant simple : tant que la réussite était au bout, tous les moyens étaient bons. Tout ce qui n'apparaisait pas n'existait pas. Mnipulation, mensonge, arrivisme... D'excellents moyens de parvenir aux Fins! Les amis étaient des concurrents dont il fallait se servir pour progresser et avancer. A défaut de posséder cette utilité, ils étaient jetés comme de vieilles chaussettes pourries. S'ils présentaient quelque vernis inutile, comme d'être sympathiques ou intelligents, ils méritaient l'attention et le divertissement de temps en temps - car il faut aussi se divertir pour réussir.
Le reste était jeté impitoyablement aux orties, avec la maladie par excellence : la remise en question. Force lui était de constater qu'elle buttait contre une réalité qui lui demeurait indéchiffrable : loin de l'imiter, son frère, cet aîné falot et déséquilibré, n'avait jamais réussir à dominer ses copines ou à présenter beau. Il fallait se rendre à l'évidence : c'était un raté. Comme son père. Le hasard génétique avait bien mal fait sa besogne! Il fallait bien que quelques malheurs obscurcissent son horizon personnel sans taches. Son frère était une tache à lui tout seul ? Ce n'était pas son problème! Elle ferait en sorte que, dans le tableau familial, son fils ne soit pas qu'un beau brun ténébreux, mais personnifie la perfection au masculin. Un poste de grand cadre dans le haut commerce ou la haute finance ferait toujours l'affaire. Elle ne savait pourquoi, mais son frère était atteint de la passion des requins. Elle aurait bien vu son rejeton trader et sa fille universitaire. Pas forcément italianisante. La répétition faisait trop servile. Il n'était pas question que sa fille perde de sa liberté et de son indépendance! Pourquoi pas sémiologue ou un des ces noms qui ronflent et renflent en dodelinant de la tête ? Décidément, que la vie était belle!

lundi, janvier 29, 2007

Recette

Après avoir lu les pages intérieures de Charlie-Hebdo consacrées cette semaine à Clément Rosset, j'ai trouvé la bibliographie indicative et originale que propose Raphaël Enthoven pour lire l'oeuvre du Gai Savant (surnom de Rosset). Foudroyé par cette innovation révolutionnaire, qui participe de l'idée géniale selon laquelle la lecture ne saurait être qu'un plaisir dénué d'effort (un jeu d'enfant?), je me suis empressé d'appliquer la méthode au Joyeux Luron (surnom de Hegel). Avec des résultats probants.

Ouvrez la Phénoménologie de l'Esprit I à la page qui vous conviendra et lisez-en cinq pages. Si vous ne comprenez pas, relisez jusqu'à ce que vous compreniez. Une fois arrivé à maturation, rendez-vous au II de la Phénoménologie et lisez les cinq dernières pages. Vous disposerez ainsi de la possibilité d'affirmer en société, à table ou autour d'un verre, que vous avez lu la Phénoménologie. Comprendre est un autre problème, mais là n'est pas le problème.
Puis buvez un grand cru, par exemple un Villageoise 2006 ou un Beaujolais nouveau 2006 (ah! mon coeur balance!). Après un premier verre de décontraction dilettante style grand bourgeois parvenu, lancez vous dans l'Esthétique II et lisez-en une page sur deux. Tout s'éclairera, vous verrez. Rebuvez une fiole de Villageoise et ne reluquez pas la bourgeoise. Si vous n'avez pas envie de roupiller, buvez pour vous remonter une petite mirabelle 1976, l'année des bénis, et faites flamber une cuchaça sec. Vous possédez désormais la détermination et l'abstraction nécessaires pour vous lancer dans l'analyse de l'Ethestique-huc! II dont vous prendrez soin de ne pas chiffonner la tranche en la saisissant délicatement avec une chiffonnade de jambon de Bayonne poivrée. Surtout, ne lisez rien et prenez un torchon propre. Finissez cul sec la villageoise qui commence à nous courir la gueuse et crachez le fond de lie dans l'évier (de préférence au plancher). Faites-vous une raison (dans l'histoire) ou lisez dans le Hara-Kiri n° 50 le dessin de couverture de Reiser. Cela vous permettra d'entrer en contact avec la Raison sus-mentionnée. En guise d'oraison, finissez le Beaujolais avant qu'il ne soit plus nouveau et perde en acidité. Cette fois, plongez-vous dans les Leçons sur l'histoire de la philosophie. Si vous avez omis d'acheter le I, point de souci, le II fera aussi bien l'affaire. Fermez les yeux et sentez la bonne odeur du papier imprimé et relié. Il est temps d'imaginer à quoi peuvent bien correspondre les Principes de la philosophie du droit. Une fois que vous êtes sorti de votre méditation, avec une infinie douceur qui vous évitera de tanguer dangereusement et de vomir sur votre florilège de Hegel, assurez-vous qu'il s'agit de l'Édition critique mise à jour des PUF Quadrige, traduite et commentée par Jean-François Kervégan. Une petite mirabelle sera votre récompense. Dépêchez-vous d'ouvrir une page au hasard et de lire à haute et intelligible voix.
(Par exemple, notre propre expérience a avorté, car nous étions saouls comme un cochon sous LSD; mais une connaissance parvenue à terme est tombée p. 165 sur le chapitre 58 : "La prise de possession, non effective pour soi, mais qui représente seulement ma volonté, est un signe à même la Chose, dont la signification doit être que j'ai placé en elle ma volonté. Cette prise de possession est très indéterminée quant à l'étendue ob-jective et à la signification." Cependant, nous devons signaler au lecteur que la plus extrême prudence s'impose. En effet, notre amical cobaye, à la suite de sa lecture, s'est trouvé pris de furie et a mordu son chien, qu'il a ensuite piétiné et a jeté du cinquième étage. Alors qu'il descendait pour en récupérer les morceaux sanguinolents, une pervenche, qui s'inquiétait du devenir de l'animal, s'est vue opposer une fin de non-recevoir aux cris de, je cite : "Mort aux vaches et surtout aux truies!")
Si vous n'avez pas fait un tour par la case prison, option cellule de dégrisement, voire sous-option psychose éthylique, vous pouvez piquer un roupillon bien mérité. Vous êtes certain de vous réveiller hégélien confirmé de l'Ordre d'Arthur.

Il se trouve que l'expérience se révéla si concluante qu'elle appela les concerts de louanges émus du premier cercle haut-marnais des Alcooliques Non Anonymes (et de surcroît, et selon leurs dires, fiers de l'être). Nous proposons donc que l'expérience n'accouche pas d'une souris, mais fasse des petits. Nous attaquerons le foie prochain à Husserl, puis à Merleau-Ponty, et enfin, un peu de détente, à Patocka.

dimanche, janvier 28, 2007

L'abbé Sancho

On nous vend souvent le mythe de Cervantès comme la séparation radicale de l'idéal et du pragmatisme. Par ces temps où l'idéal est perçu comme une fumisterie, on tend à réhabiliter Sancho au détriment de Don Quichotte. Panza serait dans le réel et Don Quichotte dans l'illusion. Je crains fort que le réel ne soit pas l'un ou l'autre - mais l'un et l'autre. Un peu comme Lynch nous contraint à ne pas scinder le réel entre Bien et Mal, Cervantès refuse de prendre position entre l'idéal et le pragmatisme.
J'en veux pour preuve l'évolution que les deux personnages subissent l'un par rapport à l'autre. L'un sans l'autre seraient perdus d'avance. Et vice versa. Sancho n'est rien sans Don Quichotte, autant que Don Quichotte n'est rien sans Sancho. Le pragmatisme ne serait-il rien sans l'idéalisme?
Je ne cherche nullement à réduire l'oeuvre maîtresse de Cervantès à cette question réductrice. Plutôt : cette question m'intéressant en l'occurrence, j'y appliquerai le prisme de Cervantès selon mon propre regard. L'oeuvre est toujours beaucoup plus riche que tous les sens auxquels on voudrait la réduire. Sans quoi toute oeuvre disparaîtrait fatalement au bout de deux cents ans. Heureusement, on lit toujours Homère avec autant de plaisir. En tout cas, c'est mon cas.
L'avantage de l'idéalisme sur le pragmatisme n'est certainement pas de se réclamer de principes parfaits. Car il serait facile de montrer que cette perfection résulte de la haine du réel qui ne dit pas son nom, mais se contente de répéter avec obtination non et non. La supériorité de l'idéalisme se borne à produire du sens. Raison pour laquelle il est toujours le plus réel et le plus irréel.
Sancho le sait bien, lui qui se contente avec sagesse de suivre la pente de son nom et de ses appétits en se remplissant la panse. La panse ne pense pas, et si ce n'était que folie de se nourrir d'amour et d'eau fraîche, Sancho aurait eu tôt fait de considérer son maître comme un hidalgo à la cervelle dérangée. Son attitude est bien plus ambiguë, non qu'il craigne seulement quelque châtiment pour prix de son insolence ou de sa désobéissance, mais qu'il sache que manger quand on a faim ne suffit pas. Le vivant a besoin de sens pour se repaître, et cette nourriture, seul un idéaliste peut la lui délivrer.
Non que Don Quichotte ait raison de prendre des auberges pour des châteaux enchantés et les filles de paysans pour de belles princesses. Don Quichotte sait simplement (j'allais dire : presque prosaïquement) que toute interprétation est un délire (c'est une phrase célèbre de Logique du pire de Rosset : "Il n'y a pas de délire d'interprétation, puisque toute interprétation est un délire").
En vérité, si Don Quichotte prend les moulins à vent pour des tyrans géants envoyés par de méchants magiciens, il n'est dupe que dans la mesure où il sait que l'erreur est indispensable à l'exercice de l'existence. La vérité n'est considérée telle que dans la mesure où elle est l'erreur magistrale, l'erreur en chef, celle à laquelle on adhère par définition. La vérité est la surinterprétation à partir de laquelle s'ordonnent toutes les interprétations abusives et particulières.
Don Quichotte n'est pas fou. Il croit sincèrement. Mais sincère ment. Je ne voudrais pas jouer les psychanalystes gourous tendance Lacan, mais le psychanalyste Jean-Paul Abribat a raison de faire remarquer à Pierre Carles que l'opinion vraie ment vraiment (à props d'un tout autre sujet et dans le documentaire Enfin pris?). Et si c'était la vérité à laquelle Don Quichotte ait accédé - et qu'il s'empresserait de transmettre à son fidèle Sancho et à tous les opprimés? En tant qu'hidalgo, son honneur lui commande de courir après le sens pour vivre. C'est aussi notre humaine condition.
Lorsque Don Quichotte considère qu’une paysanne de son pays, Dulcinée du Toboso, qu'il ne rencontrera jamais, est l'élue de son cœur à qui il jure amour et fidélité, il ne s'agit pas que des fredaines d'un extravagant, ainsi que l'on considère le bourgeois gentilhomme dans la pièce éponyme. Don Quichotte sait trop que l'amour est comme l'honneur : un mythe auquel on se raccroche, sinon il ne resterait - rien. L'amour est une illusion tant qu'on estime être en mesure d'aimer une singularité pour ce qu'elle est vraiment. Au fond du fond, tout est rien. On ne saurait cependant aimer sans accorder créance et prix à la personne aimée (soit au fait de donner du sens à ce qui s'en trouve dénué).
Il faut pourtant vivre! Raison pour laquelle Sancho estime tant Don Quichotte qu'il lui passe toutes ses fredaines et se conforme à sa conception du monde. Il faut bien qu'une certaine conception soit (pour)suivie et l'art de son maître est précisément d'en offrir une précieuse - aussi bien que ridicule, saugrenue et controuvée. Quand, à la fin du deuxième volume, Don Quichotte, vaincu par le chevalier des Miroirs, ou chevalier de la Blanche Lune, car aucune identité n'est définitive (en fait, le bachelier Samson Carrasco), s'en retourne chez lui, Sancho va même jusqu'à le supplier de ne pas abandonner, lui suggérant d'embrasser la carrière de berger. La carrière ou le rôle, tant il est vrai que les fonctions sont des jeux perpétuels de miroirs ne délivrant in fine aucune certitude.
Don Quichotte a le privilège d'une fin d'existence digne, parce qu'il a su auparavant faire preuve d'imagination et d'inventivité. Tout désir est délire. Ce serait aussi une excellente proposition de définition de l'existence et la meilleure réfutation du sérieux qu'on nous vend comme breuvage miraculeux de l'âge de la parole jusqu'au dernier souffle.
Contrairement au sort qui attend les fous dont la folie est méprisée comme marque d'adhésion au fantasme (ou à l'hallucination), Don Quichotte engendre le plus profond respect à son retour d'errance (errance aussi bien que mission, s'il est vrai que tout sens relève de l'errance et de l'erreur).Ayant abandonné la lecture de ses chers romans de chevalerie, notre hidalgo recouvre la raison et fait dès lors preuve de la plus grande sagesse, avant de mourir entouré de l'affection et de l'admiration des siens.
Ces marques de reconnaissance témoignent du sort que l'on fait à ceux qui se dévouent pour faire sens. A sa manière, Don Quichotte est un prophète qui a fait don de sa vie pour montrer un chemin. Non qu'il y en eut d'autres. Le réel est unique et ne comporte pas d'alternatives autres que l'irréfragable nécessité. Mais qu'aussi bien que ce chemin, tout autre chemin aurait été le bon, pourvu qu'il fût chemin. Bine qu'on n'ait jamais le choix, tous les chemins sont bons à prendre. Encore faut-il en pratiquer un. L'idéal a certainement moins besoin du pragmatisme que le pragmatisme n'a besoin de lui. Car l'homme est l'être du sens plus que de la pitance, lui qui supporte les jeûnes les plus rigoureux, mais survivrait péniblement à la vacance du sens (soit aux vacances tout court).
C'est ce que j'aurais aimé rappeler à un journaliste de Canal Plus dont j'entendais la participation au débat traditionnel de treize heures poussières. Alors que j'étais occupé à déguster une délicieuse omelette aux champignons y poivrons (petit hommage à Astérix!), je le surpris, bien dans l'air du temps, à condamner les Don Quichotte pour leur action médiatique et tapageuse. Il est vrai que la ressemblance de leur leader charismatique (dans tous les sens du terme) avec l'abbé Pierre du temps de sa jeunesse n'est pas le fruit du hasard. Il est vrai que l'impétrant est comédien et qu'il a montré que le caritatif flirtait dangereusement avec le jeu de rôle, celui de composition, voire la tragi-comédie. Le temps dira si le droit opposable est une billevesée électoraliste (ce que je pense personnellement) ou un engagement politique viable.
Mais il est inutile de vilipender le combat de l'abbé Pierre comme inutile. L'homme a besoin de mythe pour vivre. Même les Don Quichotte de la Seine, ces rejetons frappés de nanisme aigu (je n'ai pas dit d'onanisme), ont leur utilité. Car si la politique n'était que l'art du pragmatisme, voilà bien longtemps que les SDF ne seraient plus. Non qu'ils auraient disparu de notre paysage, mais que l'homme les aurait précédés dans l'évanescence depuis belle lurette.

Hommage à Jacques Chirac

Autant le dire tout de suite, je n'aime guère Jacques Chirac. Il personnifie toutes les dérives de la Cinquième République, dont j'espère qu'elles n'emporteront pas notre beau pays vers de sombres rivages. Jacques Chirac aimait le pouvoir, fable bien connue des politiciens. Jacques Chirac aimait les honneurs. Jacques Chirac aimait les châteaux. Jacques Chirac aimait les femmes.
Jacques Chirac était un technocrate qui ne pouvait que se laisser bouffer par le système. Cet animal politique fit tous les postes, de conseiller à secrétaire (d'Etat), en passant par ministre, Premier (ministre), deux fois, Président (idem). Il connut tous les scandales de la République. Son modèle était incontestablement François Mitterrand. Mitterrand était un homme de droite qui s'était fait élire sur un programme de gauche. Chirac fut un coeur d'artichaut faisant carrière à droite.
Jacques Chirac n'avait aucune idée. Il savait administrer. Il n'avait rien d'un visionnaire. C'était un formidable exécutant. Raison pour laquelle il se réclama du Général pour accomplir un destin qui n'avait rien d'historique.
A vrai dire, en retournant le problème dans tous les sens, il n'est pas évident de trouver des motifs d'éloges pour celui que les Guignols baptisèrent Supermenteur en raison de son affairisme galopant. Et qu'on ne vienne pas me parler de ses qualités de coeur. Non que je les destine à la galerie et au spectacle, au fameux show must go on, mais on ne fait pas de politique avec le coeur. En tout cas, ce ne sont pas qualités suffisantes.
Car il est une chose dont nos descendants sauront gré à Jacques Chirac au-delà de ses compromissions et de ses faiblesses. Ce technocrate que l'on attendait savant gestionnaire fut d'une médiocrité sans borne dans la gestion des affaires intérieures. Paradoxalement, ce fut la scène étrangère qui l'inspira. Lui qui était dénué d'idée trouva deux sujets d'expression qui donnent un peu de coffre à son engagement très personnel. Sur l'écologie, je ne sais qu'en penser, car il se pourrait bien que notre Président ait plus joué les prophètes démagogues qu'accompli la marche du monde vers la politique globale.
Sa différence, ce fut l'Irak. On ne répétera jamais assez ce que le monde doit à cet homme qui eut le courage de dire non à W. et de ne pas cautionner une intervention impérialiste aux relents clairement idéologiques. Les résultats parlent d'eux-mêmes. Chirac a su faire en sorte que la France ne soit pas seulement cet ancien Empire hypocrite et néocolonial, mais la puissance paradoxale luttant pour la démocratie ou la liberté. Ne nous leurrons pas, les faucons (ou les vrais) qui ont attaqué l'Irak se sont d'autant plus réclamés du Bien qu'ils sont les vrais amis du totalitarisme économique. Chirac a sauvé la France d'un naufrage : celui aurait consisté à s'aligner sur les Etats-Unis et à suivre Berlusconi, Aznar et Blair. Il est d'ailleurs curieux que Miterrand le socialiste ait participé à la Première Guerre du Golfe, aux côtés de Bush père (le monde est petit), alors que Chirac le conservateur a refusé l'alliance du fils.
La France existe bien, pour ceux qui en doutaient, puisqu'elle ne s'est pas alignée sur l'Axe du Bien et a rappelé au monde que la démocratie était aussi une affaire internationale! L'antioccidentalisme a ses limites, puisqu'il arrive que la force ne cautionne pas non plus toujours la crapulerie! W., lui, croit apparemment qu'une fois sorti des Etats-Unis, tout est permis. La démocratie serait-elle l'apanage des yankees et de quelques autres poignées de privilégiés?
Il se pourrait bien qu'on réévalue l'action de Chirac à l'aune de ce haut fait, comme je suis persuadé qu'on finira par juger Mitterrand pour ce qu'il fut vraiment. Si Mitterrand fut un Médicis, Chirac n'aurait-il pas quelques accointances avec Henri IV? Pour ce brillant ralliement au panache blanc, en tout cas, merci, Chirac! Tu fus aussi un bon Président!

vendredi, janvier 26, 2007

André et le génie

J'écoute en différé (et en morcelé) les Vendredis de la philosophie, intitulés Croyance et humanisme. Les invités sont Florence de Lussy, conservateur à la Bibliothèque Nationale de France et Pierre Magnard, professeur émérite à l'université de Paris 4. Deux commentateurs de philosophie catholiques, la première éditrice de l'oeuvre de Simone Weill. J'oublie la guest star cathodique. Figure également le célèbre André Comte-Sponville. Lui se fait appeler philosophe. Je m'étonne de l'usage intempestif de cette appellation non contrôlée. Comte-Sponville est peut-être le prototype contemporain de l'athée bourgeois, mais philosophe, il n'est sûrement pas. Pourquoi ne se fait-il pas appeler par ses titres objectifs? Est-ce une insulte de se targuer de la rue d'Ulm, de l'agrégation de philosophie et du doctorat en philosophie? Est-ce une infamie inavouable que d'avoir occupé la chaire de professeur de philosophie à la Sorbonne?
Une fois que je subissais une émission consacrée au matérialisme antique, j'eus le privilège de constater que j'étais tombé sur un exposé limpide et passionnant. Qui était ce grand professeur dont la clarté et la maîtrise du sujet rendaient des théories absconses vivantes? A n'en pas douter, cet homme était un vrai pédagogue doublé d'un érudit! Un grand professeur, tout simplement. Un beau compliment, également. Etre grand professeur est don remarquable, du CP à la thèse en passant par le collège et le baccalauréat. Est-il besoin de préciser qu'un grand professeur vous change la vie? Qu'il vous découvre soudain l'intérêt évident de ce qui auparavant vous rebutait? Qu'il réussit l'exploit de vous transmettre plus qu'il n'a à donner? Le plus génial idéaliste peut accoucher d'un disciple dissident! Les exemples abondent. Car, contrairement au Dieu de Simone Weill, qui, étant le Bien Suprême, ne saurait créer un monde aussi parfait que lui, le professeur éveille chez l'élève qui adhère une créativité dont lui-même ne saurait de toute façon disposer. La transmission du savoir est l'activité la plus mystérieuse en ce qu'elle échappe à la quantification - raison pour laquelle la désaffection qu'elle subit à l'heure actuelle est si grave.
A notre époque, le terme de professeur frise l'insulte. Apprendre à lire et à compter relève pourtant d'une des activités les plus nobles que je connaisse. Il faut croire qu'il ne suffit pas à Comte-Sponville d'avoir réussi la plus brillante des scolarités dans sa discipline, l'histoire de la philosophie. Comte ne se résout pas à être un esprit intelligent et cultivé. Il lui faut plus. En l'occurrence, prétendre être philosophe.
Bien sûr, il y eut de grands professeurs qui étaient aussi de grands philosophes, et je pense tout naturellement à Aristote. Il serait intéressant de considérer les grands philosophes qui furent de mauvais professeurs, ce dont on parle moins. Un coup d'oeil rapide sur l'histoire de la philosophie suffit à indiquer qu'il y eut aussi des philosophes qui n'étaient pas professeurs. Avant de briller à Cambridge, Wittgenstein occupa même les fonctions d'instituteur tortionnaire dans la campagne autrichienne!
Rappelons-le à Comte-Sponville, on ne décide pas plus d'être philosophe que de naître. On ne décide de rien, finalement. Raison pour laquelle je m'étonne de la supercherie actuelle, qui consiste à se réclamer d'activités transcendantes alors que le snobisme vous tient sous sa férule despotique. Je veux dire que la supériorité de l'artiste tient à son oeuvre, non à sa personne, sans quoi le cas de Céline serait insoluble - je crains qu'il ne constitue pas un cas isolé quand je constate les exemples inquiétants de ceux qui se réclament de la crapulerie célinienne pour justifier de leur posture d'écrivain...
Que Comte se le tienne pour dit, la valeur d'une philosophie tient à l'originalité de son discours sur le réel. Il y a de bons et de mauvais philosophes. Bergson et Alain. Des maîtres et des disciples. Platon et Speusippe. Il arrive qu'un disciple soit aussi grand que le maître. Aristote et Platon. Voire qu'un disciple soit plus grand que le maître. Kant et Wolff.
Je n'ai jamais entendu qu'un professeur soit digne de mépris dans l'exercice de ses fonctions. Mépriser le professeur serait plutôt le vrai objet du délit. Une des mesures politiques les plus urgentes consistera à revaloriser ce sublime métier quand les technocrates se seront rendus compte de son importance véritable et de l'étendue de leur méprise.
J'éprouvai un profond respect en découvrant que le professeur qui venait d'expliquer aussi lumineusement le matérialisme antique n'était autre qu'André Comte-Sponville. Quoi? L'imposteur pédant recelait cette qualité d'explication? Je l'aurais volontiers écouté des heures, ravi d'en apprendre autant! Je mesurai ce jour de jadis le décalage chez la même personne entre la valeur du commentateur et son égarement de philosophe grotesque. Que Comte nous entende : il faut bien qu'il y ait de mauvais philosophes pour que subsistent un ou deux esprit géniaux. Il arrive même qu'une certaine justice rende grâce aux mauvais de leur vivant pour discerner sa reconnaissance posthume aux valeureux. Je pense aux triomphes que subirent Deleuse, Derrida ou Foucault, en comparaison de l'indifférence que suscitèrent Girard ou Rosset.
Compte-Sponville n'entre nullement dans la catégorie des penseurs qui ont mal pensé ou n'ont rien pensé du tout - contrairement au cas de Deleuze. Compte-Sponville n'est certainement pas un imposteur au sens où certains biographes accusent BHL de mieux pratiquer le mensonge que la philosophie. Sans commentaire. Comte-Sponville est un commentateur. Jusqu'ici, rien à redire, bien au contraire. Un commentateur est le plus souvent un esprit brillant et fin qui commente l'oeuvre d'un penseur (dans le cas de la philosophie). Comte-Sponville est très certainement un très bon commentateur, comme Jacques Rivelaygues, Luc Ferry ou surtout Marcel Conche, à qui l'on doit des ouvrages remarquables sur Pyrrhon ou Montaigne. Ces brillants exemples universitaires sont à distinguer de la production philosophique.
Tout comme Conche, Comte-Sponville se piqua un jour (malheureux) de recycler son savoir vaste et profond pour penser à partir de. Comme c'était prévisible, il n'arriva qu'à produire le travail de commentateur auquel il était habitué. On ne philosophe pas à partir de la pensée des autres, aussi géniale soit-elle. Si c'était le cas, Cassirer aurait dépassé Kant, et l'élève de Cassirer, Cassirer lui-même ! Les fondements de la morale auraient été subsumés depuis belle lurette et la métaphysique exhiberait non sans faste son titre glorieux de Science des sciences!
C'est tout le mystère de la création que de s'interroger sur l'origine des idées qui nous frappent sans nous soumettre à leur avis éclairé (et souvent peu éclairant). Les Anciens parlaient d'inspiration. Force est de constater qu'aucune explication décisive n'est venue apporter sa contribution au mythe. Malgré toute notre inventivité technologique, on n'est pas plus capable de fabriquer un génie que de remonter dans le temps. Nos sociétés de consommation ne produisent pas plus d'artistes que les autres époques. Il faut croire que ces espèces bizarres ne suivent pas les progrès foudroyants du Progrès et se rabattent sur des règles inclassables, frisant passablement avec le désordre.
Que Kant soit sorti de son sommeil grâce à la lecture de Hume ne nous renseigne guère sur le mystère, car la lecture de Nietzsche n'a pas été du meilleur effet sur le cerveau de Deleuze. Kant a produit le kantisme avec l'adjonction d'un autre ingrédient que la rencontre de Hume. Hume ne fut pour Kant qu'un éducateur sublime, au sens où Nietzsche qualifiait sa lecture de Schopenhauer.
Je ne sais si ce travers est commun à tous les âges, mais l'époque me semble illustrer particulièrement le fantasme de la création s'exerçant à partir de l'imitation exclusive. Je sais bien que l'imitation est le préalable à la création. En la matière, le symptome de l'époque se réclame de l'extrémisme. Il s'agit d'énoncer que la meilleure des créations résulte entièrement de l'imitation. Nos sociétés sont si mimétiques qu'elles refusent de concevoir la supériorité de la création sur l'imitation. L'imitation est posée comme la fin de toutes choses, y compris de la création. Raison pour laquelle tant de commentateurs sont persuadés que l'oeuvre qu'ils étudient n'a d'intérêt que dans la mesure où ils l'étudient.
Il y aurait lieu de se demander si cette déformation ne découle pas de l'idée selon laquelle le fini ne saurait se poursuivre qu'en se rédupliquant. La création ultime dans un monde conçu comme fini procède nécessairement de l'imitation qualité supérieure du modèle, en tant que finalité découlant du fini.
Compte-Sponville est un symptome de l'époque, où les commentateurs ont la part belle, jusqu'à donner à l'imposture ses lettres de noblesse. BHL s'est prétendu écrivain et se réclamait de Lacan. Ce dernier, malgré ses titres de gloire psychanalytiques, était un génie de l'imposture. Derrida fit croire que la déconstruction était de la philosophie. Comte-Sponville et Ferry pouvaient bien faire croire qu'ils n'étaient pas des kantiens recyclant les philosophes pour laisser entendre qu'ils pensaient. Non que ce qu'ils disent soient dénués d'intérêt, loin s'en faut. Simplement, leur discours ne dépasse jamais le stade de la bonne vulgarisation.
Mon professeur de philosophie en khâgne, normalienne et agrégée, maîtrisait son Kant illustré sur le bout des ongles (qu'elle avait fort manucurés). Seulement, une fois sortie de la répétition, elle était incapable de penser par elle-même. Je ne suis pas persuadé que la lecture d'un ouvrage de Comte-Sponville apporte un supplément de pensée au lecteur.
C'est probablement la raison pour laquelle il ne cessa durant les Vendredis de qualifier ceux dont il parlait de génies. A force de célébrer le génie de Leibniz ou celui de Pascal, de discerner des classements chez les philosophes français (1. Pascal, 2. Montaigne, 3. Descartes), de se déclarer "bouleversé" par les actions du Christ, l'hyperbolisme laudatif menaçait de saturer dangereusement. Le point culminant du compliment (soit le processus de compensation du manque par l'éloge creux) fut atteint quand Comte-Sponville se décida à dresser les lauriers à la gloire de Simone Weill. La philosophe était tout simplement le plus grand penseur mystico-philosophique depuis Pascal. 1- Pascal; 2- Weill; 3- Fénelon (mais où diable était passé Bossuet? 1,5 pour l'évêque de Meaux?). Elle avait eu le génie philosophique rare de penser le monde comme la création nécessairement imparfaite de Dieu. Le Bien Suprême ne pouvait accoucher que du Mal dans son effort de création étrangère et étrange!
C'est curieux, mais plus j'y pense, et plus cet argument me semble de l'argutie spéculative et de l'enthousiasme (je n'ose dire de l'hystérie) à peu de frais. Comte-Sponville souffre-t-il tant de son défaut de génie qu'il mette un soin particulier à en discerner la trace chez le moindre de ses glorieux aînés? Ce n'est pas en nous abreuvant de ses découvertes bouleversantes sur la spiritualité athée ou en nous confiant ses divergences de vue avec son ami Michel Onfray (pour Comte-Sponville, les philosophes seraient-ils des amis en puissance?) qu'il nous convaincra de sa qualité ès philosophe. Il n'incarne après tout que la soap utopie de l'époque qui veut que la philosophie permette de vivre heureux dans un monde en progrès constant.
En repensant aux vies de Gide ou Malraux, je me convainquis que se prénommer André faisait d'un écrivain du XXème un mégalo surfait et mineur en puissance. Comte-Sponville a fait mieux : il partage avec Glucksmann le privilège du bavardage mondain et anesthésiant tel que l'esprit démocratico-bourgeois l'a inventé pour remplacer la pensée véritable. Jouez au tiercé philosophique !
1- Comte-Sponville; 2- Ferry; 3- Onfray.

Le Saint Graal

Découvrir le sens de la vie est la plus vaine des quêtes.

jeudi, janvier 25, 2007

Le déclin des Lettres

Un rapport de l'Education Nationale constate que la filière littéraire au lycée périclite dangereusement. Tombant sur l'officialisation de cette nouvelle, dont les effets sapent nos chers lycées depuis dix ans déjà, j'essaie d'obtenir des suppléments d'information, persuadé qu'un tel cataclysme a déjà engendré les promesses solennelles de nos candidats à l'élection présidentielle. Las! Personne ne semble s'inquiéter outre mesure de la catastrophe, alors que le péril place la société française devant ses vraies responsabilités : comment appelle-t-on l'attitude qui consiste à demeurer impassible à côté d'un arsenal chimique qui menace d'exploser? En l'occurrence, la situation ne date pas d'hier. Le compte à rebours est enclenché depuis belle lurette.
La disparition des Lettres n'est ni anodine, ni subite. Voilà trente ans au moins que le pouvoir cautionne la prééminence des filières scientifiques, avec une indulgence arrogante pour la filière économique. Je parlais de filière scientifique, j'aurais dû en fait la baptiser technologique, car chacun sait que ce sont les études techniques de haut niveau qui se trouvent valorisées par le système. Les sciences pures subissent une désaffection dans la mesure où les mathématiques constituent le pendant des Lettres. En gros, tout ce qui pousse à réfléchir sur le réel au-delà du fini est considéré comme ringard et quasi inutile. On fait des Lettres pour s'exprimer à l'oral ou à l'écrit; des mathématiques pour s'en resservir en informatique.
Est-ce un hasard par ces temps d'ultralibéralisme sauvage si les activités considérées comme peu lucratives subissent la désaffection flagrante de la société? Il est vrai que la valeur pragmatique d'un roman de Balzac crie famine par rapport à n'importe quel traité de médecine! Pensez! Où l'un vous perd de précieuses heures à acquérir des vétilles de psychologie sans garantie d'intérêt immédiat, l'autre vous permet d'accéder aux branches du savoir valorisantes à tous points de vue!
Je n'ai rien contre la médecine. Sans elle, je me porterais même fort mal. Mais je dirais d'elle ce que Montaigne disait des gens de savoir avec une prémonition à couper le souffle : que je l'aime, mais ne l'adore point. Il est frappant de constater que la technologie du vivant rapporte aujourd'hui beaucoup plus d'argent que le sot métier de professeur de Lettres en lycée. En cas de récrimination intempestive, le grand public aurait tôt fait de tancer l'impétrant qui se commettrait en protestations comminatoires. Que vaut l'activité d'un professeur de Lettres en comparaison des miracles qu'accomplit un chirurgien après avoir étudié pendant quinze ans les linéaments de son pénible et précieux labeur? N'en déplaise à Royal et à tous les technocrates acharnés à la dévalorisatoin des Lettres (quand on a fait l'ENA, Balzac sert à classer des dossiers administratifs pointus, rien de plus), la médecine, aussi importante soit-elle, sauve les vies dans l'immédiat.
Elle ne confère aucun sens à la vie. Mais cet aspect n'a aucune importance à l'heure actuelle. En l'espace de cinquante ans, on est passé du médecin cultivé qui savait ses Lettres au supertechnicien surbooké et recouvert de brillantine prestigieuse. Est-ce un hasard si d'ores et déjà on considère en toute bonne foi que le seul intérêt d'un livre tient dans son exclusif recyclage à destination des matières techniques?
Une société qui considère les productions artistiques comme dévouées aux activités techniques est une société qui marche la tête à l'envers. Tout le propre de l'ultralibéralisme! Il est vrai qu'autrefois, l'analphabétisme et l'illettrisme rendaient impossibles l'accès au savoir. Désormais qu'on la trouve à portée de main, la lecture est affaire si ennuyeuse qu'elle mérite à peine l'acharnement d'un élève de CP (et encore!). Un livre est tellement moins kiffant qu'une console de jeux ou une virée en boîte de nuit ! On n'y consentira qu'en échange de gratifications immédiates. Seuls comptent les intérêts qui rapportent (gros), c'est-à-dire ceux soumis au domaine fini. Bien entendu - CQFD. Il ne faut pas s'étonner de la survalorisation de métiers qui autrefois ne valaient que pour ce qu'ils rapportaient. Aujourd'hui, qu'on se le tienne pour dit, le salaire est le fin des fins ! Le must intégral! Commercial ou ingénieur, la voilà, la seule solution qui vaille la peine qu'on s'y attelle !
Si l'on persiste dans cette voie suicidaire, il arrivera ce qui arrivera, mazette : les métiers d'honneur deviendront des tâches ingrates, confiées aux marginaux et aux ratés de la société - ceux que la Nature ne para pas des vertus suffisantes pour réussir dans le Technique, que l'on s'empresse de baptiser scientifique pour faire plus prestigieux. La maladie de l'époque est de se parer d'atours auxquels elle ne saurait prétendre et auxquels elle croit d'autant moins.
Les mathématiques ou la recherche scientifique pure ne sont guère mieux loties que les Lettres! Comme telles, elles ne sont que des modes de pensée qui rapportent peu. Justement, il est grand temps de valoriser à leur juste valeur les métiers d'honneur. Ce beau métier de professeur mérite un autre traitement que celui qu'on lui fait subir. La transmission des savoirs est le socle qui conditionne l'équilibre de la société à moyen terme. Dans une époque qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez, mieux vaut être golden boy que poète... On fonce dans le mur à tous les étages, décidément!
L'enseignement des Lettres ne trouvera sa juste place qu'à partir du moment où l'élève comprendra qu'il ne lit pas pour mieux écrire (ou parler), mais que la lecture l'emmène vers des horizons qui autorisent à voir le monde autrement et à penser. Oh, les gros mots! Les vilaines insultes que je n'ai pas proférées! Mille excuses! J'avais oublié que la richesse reconnue de l'époque est toute pécuniaire!
A quand le jour béni où le politique mènera campagne pour que soit reconnu l'inverse de ce dont l'on n'a cessé d'accabler le citoyen depuis l'avènement des sociétés technico-démocratiques? Le slogan est séduisant en diable : tout ce qui ne génère pas d'argent n'a pas de valeur. C'est l'inverse qui est vrai. Il ne s'agit nullement de dévaloriser la médecine ou l'ingénierie informatique (pour prendre des exemples disparates), mais de repositionner les savoirs dans l'échelle des valeurs. La médecine est primordiale, les Lettres (je n'ai pas dit les lettres) plus capitales encore! Je rêve de sociétés où l'écrivain sera respecté comme le prophète incompris de son époque! Il est vrai que nul n'est prophète en son pays...
Sans relation à l'art, sans la compréhension du rapport essentiel qu'il délivre au monde, l'homme est fichu. Le plus affligeant est qu'il s'en moque ouvertement et qu'il révère pendant ce temps et à sa place le prédateur de la haute finance. Edouard Stern vs Honoré de Balzc! C'est non seulement la promesse sinistre et lugubre du totalitarisme qui pointe le bout de son nez à l'horizon de notre millénaire balbutiant, mais la disparition de l'homme qui est en jeu. Sans livres, plus de sources auxquelles s'abreuver à l'eau vive des vivants !
Les Lettres ne sont pas seulement l'alphabet qui permet de déchiffrer les fiches d'utilisation des micro-ondes. Les Lettres sont notre clef d'accès au réel. A trop rester confiné dans l'arrière-boutique de nos cuisines mièvres (riches en carences essentielles), l'on finira claustrophobe! Il est temps de rappeler avec bon sens la valeur de la vie!

Telle mère, telle fille !

Pilote.

Le patriarcat classique attend d'une femme qu'elle élève les gosses et tienne la baraque. Sois belle et tais-toi! respirait l'extrémisme, mais avait l'avantage de la clarté. Avec le féminisme, il se pourrait que l'évolution ait connu un mouvement de balancier radical. Le propre de toute révolution est d'incliner vers l'extrémisme inverse avec un réflexe de violence compensatoire.
Il est certaines femmes d'aujourd'hui pour penser que l'égalitarisme homme/femme suppose que l'homme soit beau et faible. C'est la revanche des femmes sur les injustices de l'histoire. Il est même certaines femmes pour ancrer haut et fort leur haine dans la pratique sociale. Car le féminisme trash ne correspond nullement à l'égalité des droits, du vote ou du travail. Il s'agit bel et bien d'une haine des hommes pour laquelle il n'existe aucun vocabulaire adapté, ni aucun remède. On pourra arguer que cette absence criante traduit la misogynie des sociétés et la vérité indiscutable et scandaleuse du patriarcat. Reste à se demander pourquoi aucun matriarcat n'a fonctionné et pourquoi la polyandrie est un fantasme féminin fort inabouti.
Le macho a la puissance pour lui. Qu'on le veuille ou non, l'homme détient la force. Et sa principale n'est sûrement pas physique. Elle est morale. L'homme qui domine la femme perçoit cette créature comme douce et irrationnelle. Raison pour laquelle les sociétés réputées les plus machistes sont aussi les sociétés qui réhabilitent le plus l'influence et l'autorité souterraines des femmes. Le macho perdu sans sa ou ses femmes? Ce n'est pas qu'un sujet de lazzis!
La femme ne saurait dominer l'homme par la puissance. Toute femme qui agit de la sorte ne fait que singer le comportement masculin classique, qu'au surplus elle juge (avec raison sans doute) inepte. Les féministes trash ne sont que des hommes ratés, des femmes qui auraient donné plus que leur vie pour prendre la place des hommes. Elles n'aiment ni leurs rivaux impossibles, ni les femmes - ces sous-hommes. En un mot, elles sont invivables.
Une universitaire vivait dans l'admiration de son père. Un homme martial, qui illustrait à ses yeux la toute-puissance virile. Cette femme n'avait jamais accepté son statut de femme. Il lui manquait des couilles et elle tenait à ce que l'incongruité se sache : elle vivrait en homme! Elle commença par s'emparer d'une revendication tout à fait légitime. Il était temps que les femmes investissent les cercles du pouvoir intellectuel, histoire de montrer qu'elles possédaient plus d'intelligence que les hommes. Depuis lors, grâce aux progrès de la génétique, on a appris que le sexe féminin sécrétait des hormones intellectuelles en plus grand nombre que les hormones mâles...
Notre étudiante devint agrégée et s'acoquina tant et si bien avec un professeur de littérature comparée qu'elle devint sa maîtresse. Cette relation de pouvoir avec un aîné de vingt ans la combla. Elle trouvait enfin le privilège de vivre une histoire d'amour avec son père! Malheureusement, c'était un homme marié. Elle n'eut d'autre choix qu'entre la peste et le choléra : les ordres ou le mariage. Elle opta pour le mariage, poussée par sa mère, une intransigeante pour qui le mariage était la fin de la bourgeoisie.
Si elle haïssait autant sa mère, c'était parce qu'elle avait eu la bêtise de la croire vierge et de la pousser dans les bras d'un mari tel qu'elle les rêvait. Un plouc pleutre, un fils de commerçant grotesque et faiblard, qui avait réussi quelques études et faisait dans l'administratif. Une fois mariée, notre jeune femme éplorée vira garce. Il n'était pas question qu'elle supporte la comparaison saugrenue de ce mari avec son père!
D'ailleurs, elle ne lui laissa pas le choix des armes. Elle commença par décréter que ce raté présentait comme seule qualité de fermer sa gueule. Pour lui prouver qu'il aurait toujours tort, elle s'empressa de le tromper avec allégresse. Son patron de thèse était devenu son collègue désormais. Il l'avait pistonnée jusqu'à la bombarder sur les bancs de la fac.
Elle n'avait d'autre choix que de lui rendre la monnaie de sa pièce. Las! C'était un combat perdu d'avance! Personne ne remplacerait jamais son père! Elle le comprit rapidement, car elle était très rationnelle, très manipulatrice, et elle sentait les choses avec une acuité qui ne lui laissait d'espoir qu'entre la carrière d'artiste ou celle de perverse. N'ayant aucune inclination pour la création artistique, elle divorça pour ne pas subir de plein fouet le miroir de l'adultère unilatéral. Son mari était peut-être timoré, mais d'un candide à toute épreuve. D'un coureur de jupons, elle se serait accommodée! D'un fluet falot, elle n'avait que faire.
Elle divorça donc, ravie de perpétrer la transgression les deux pieds en avant (à l'époque, le divorce n'était pas chose courante). Comblée de sa liberté recouvrée, elle décida désormais de consacrer sa vie à son idéal. La littérature? Que nenni! Elle ne comprenait rien à l'art! Il suffisait de l'entendre disserter sur la poésie pour se rendre compte que la raison avait pris l'entière place de la sensibilité. Pour elle, c'était le militantisme révolutionnaire qui lui ouvrait grand les bras. Le woman power serait sa croix et sa bannière! Elle vivrait seule et libre!
Elle commença par coucher avec le plus d'hommes possibles, des collègues, des hommes mariés et des presque inconnus. Jamais avec des femmes. Au vu de ses positions, elle aurait pu par réaction finir lesbienne et se mettre en ménage avec une Autre, comme les universitairEs qu'elle accueillait avec l'hospitalité de celle qui a du temps à perdre dans son luxueux duplex. C'était malheureusement impossible, tant elle méprisait les femmes. Elle ne consentait qu'à considérer les dominatrices, celles qui écrasaient les Autres et annihilaient les hommes.
Elle se serait trouvée acculée au suicide par vacuité s'il ne lui était resté son grand oeuvre : son nabot de mari lui avait donné deux mioches. Sa seule bonne idée, qu'elle n'avait jamais songé à lui dénier. Un garçon et une fille! L'athée réactionnaire et viscérale y avait vu l'effet d'une morale intrigante. Elle qui décelait de la moraline partout n'avait pu s'empêcher d'y relever les indices du Bien : il lui était donné de rétablir la Justice bafouée depuis des millénaires, depuis en fait que les sociétés humaines s'étaient formées sous les auspices de caprices incompréhensibles!
Elle instaura l'arrêté par-delà les mots, dans les tréfonds de sa personnalité tumultueuse et passionnée : ses deux anfants lui offriraient le luxe de compenser les outrages du temps. L'éducation qu'elle dispenserait serait simple et pleine de bon sens.
Article premier : Le père pourrait y faire, il serait pour les deux bambins un insubmersible raté.
Article deuxième : sa fille serait son miroir, son double et son prolongement. En bon robot monstrueux de mimétisme arrogant et servile, elle reprendrait le flambeau de ses formidables réussites et finirait universitaire. N'importe quel domaine, pourvu qu'elle fût universitaire. En échange, elle lui passerait tout, y compris et surtout ses caprices sexuello-sentimentaux. Elle subventionnerait toutes ses attentes de misérable petite chienne en garde, dressée comme une merdeuse emmerdeuse et n'attendant que de de se faire défoncer le cul sur les traces de sa mère en tordant ses seins de spasmes convulsifs. Puis elle mûrirait , tel une pastèque rougeoyante, et prendrait mari. Soit le gendre idéal - un petit mouton insignifiant dont le physique serait aux antipodes, viril et trompeur.
Article troisième : son fils serait élevé dans la rengaine dégainée comme un slogan publicitaire efficace que les hommes sont des ratés-tarés congénitaux - par la naissance et le sexe. Quoi qu'il fasse, quoi qu'il dise, aucune échappatoire n'amoindrirait la faute originelle. Il se retrouverait condamné à la lourde tâche de porter sa croix sur son misérable chemin d'homme. Son péché était un fardeau trop insupportable pour qu'il échappe à sa condition de bite couillue! Quelle abjection ! Quelle monstruosité! Quelle infamie!
Article quatrième : puisqu'aucun homme n'avait eu le bon goût de la supporter, puisqu'elle les détestait tous au point de se laisser sauter avec de plus en plus de frigidité, elle choisirait désormais des jeunes, fort de l'exemple de Duras et surtout de son modèle féminin, Françoise Giroud, pour laquelle elle éprouvait une admiration sans borne. Giroud, qu'elle appelait volontiers Françoise en privé, était la seule femme qui lui arrachait un attendrissement pur et pieux (c'est-à-dire sans la perspective et le prolongement du lit). Les hommes n'avaient de valeur et d'intérêt que jouvenceaux. Ce n'était pas en grandissant que son fils prétendrait le contraire!

Grand jeu Au tour du réel
Devinez ce que deviendra :
1) la fille.
2) le fils.
3) éventuellement, la mère.

mardi, janvier 23, 2007

La tragique démesure du sportif

Un nouveau coureur est suspecté de dopage dans le Tour de France. A vrai dire, cette nouvelle mise en cause paraît superflue, tant le dopage est omniprésent dans le cyclisme. Pas seulement. Le sport en général est soumis à cette suspicion - au-delà du cyclisme. Certes les sports d'effort, comme on nous en rabâche l'antienne sécurisante, l'athlétisme ou la natation ; mais aussi, et c'est moins réconfortant, les sports collectifs censés privilégier la technique et les qualités de groupe, le football ou le rugby.
On ne compte plus les procédures juridiques qui entachent le Sport le plus Populaire du Monde. Il faut toute la puissance des instances officielles et la ferveur des supporters pour qu'aucun scandale médiatique n'ait encore éclaté à ce jour. Cela arrivera bien trop tard! Quant au rugby, les carrures des athlètes ont explosé depuis dix ans (pour cadrer avec les calendriers de mode aux relents pornographiques?). Le sport aux Etat-Unis ne souffre pas de la même hypocrisie : le dopage est tacitement admis, à condition qu'il ne concerne pas les formes avérées de toxicomanie.
Faut-il imiter nos voisins américains et légaliser une pratique banalisée dans le sport de haut niveau? On pourrait arguer que le dopage met gravement en danger la santé des sportifs, qui risquent de disparaître prématurément suite aux prises massives et non thérapeutiques d'EPO, d'hormones de croissance ou d'anabolisants. Mais les sportifs eux-mêmes sont pris dans une telle fuite en avant qu'ils se moquent de leur santé comme d'une guigne. Pariant sur le concept de la peau de chagrin, ils privilégient leurs résultats à très court terme et oublient qu'après la carrière sportive, la vie, la vraie, commence (et reprend ses droits).
On pourrait rappeler qu'aux Etats-Unis les sports traditionnels connaissent une grave désaffection. Les supporters historiques du base-ball, du football américain ou du hockey reprochent l'évolution de leur sport vers le mercantilisme et la perte des valeurs qui lui étaient attachées. C'est une antienne que l'on entend désormais aussi dans les travées des clubs de football anglais...
J'en arrête là. Je pourrais égrener la liste des scandales touchant des sports qui se proclament les vitrines de la vertu et de l'hygiène publique, en particulier pour les jeunes, ce public saint et sacré de la morale moderne. Il me semble plus pertinent de constater que le sport de haut niveau se révèle d'autant plus populaire et médiatique qu'il représente une gigantesque supercherie réelle.
1) Le sport de haut niveau n'est pas du tout cette pratique bénéfique à la santé des athlètes. L'exercice que l'on pratique en amateur peut prétendre à ces critères médicaux. Le sport de haut niveau détruit le corps de l'athlète et, bien souvent, destructure son identité en laissant miroiter une vie idéale totalement déconnectée et annihilée par l'objectif sportif (totalement vain, aussi, mais, chut, ne le dites pas trop fort!). Le sportif vit dans une tour d'ivoire très pernicieuse. Aurait-on lu pour lui La Vie est un songe ou accepte-t-il ce statut de Sigismond de la modernité ? Les exemples de dérives abondent pour illustrer l'implosion qui guette le sportif de haut niveau après sa retraite sportive. Il n efait pas bon découvrir l'âpreté du monde la trentaine passée.
2) Les lois qui régissent le sport de haut niveau sont celles de l'ultralibéralisme le plus sauvage et forcené. Cette banalisation fait fi des anciennes conceptions selon lesquelles le sport n'avait pas pour fin la satisfaction du marché économique. On pourra certes objecter que la pratique intensive du sport met en exergue les inégalités d'aptitude entre les individus et que le sport de haut niveau en lui-même est l'exercice de l'inégalitarisme par excellence. Il n'empêche. La dérive qui frappe tous les sports médiatisés à outrance montre que l'argent est désormais le nerf de la guerre. L'athlète devient un objet mercantile comme la voiture. On aura beau jeu d'expliquer qu'il ne saurait se plaindre du fait des fortunes qu'il amasse en quelques années - et de manière totalement aberrante quand on se rappelle de ses réelles compétences (taper dans un ballon ne relève tout de même pas de l'art suprême)! N'est pas Zidane qui veut pour prétendre à quinze millions d'euros l'année! Surtout, ces sommes ne concernent que quelques heureux élus du naufrage général que suppose la sélection d'entrée. Qui se soucie du sort des recalés du marché aux alouettes, en particulier les sportifs des pays pauvres, souvent traités comme des esclaves de paccotille ? Le sport de haut niveau est une machine à broyer et à concasser. Qui rappelle que l'argent déversée implique une contrepartie lourde de conséquences : à l'instar du pacte faustien, l'as touche le pactole en échange de sa santé et de sa vie. L'hypothèque est terrible et nullement gratuite. Le sportif, souvent sans qu'il s'en rende compte, accepte qu'on achète sa vie et sa santé. Cet échange monstrueux ne lui rapportera que s'il possède le talent nécessaire. Dans l'immense majorité des cas, il aura tout perdu et rien gagné (je ne parle pas des blessures et des injustices). Comme piège diabolique, on peut difficilement prétendre à mieux (ou pire).
3)L'ultralibéralisme qui sévit dans le sport a profondément changé en Europe les règles sportives classiques. Auparavant, l'argent n'était qu'un critère parmi tant d'autres de réussite sportive. Le sport supposait l'affrontement physique et tactique et l'acceptation du hasard. Désormais, l'argent ne suffit certes pas à remporter la victoire, mais il est devenu le principal moteur de la réussite. Que l'on regarde les budgets des clubs de football qui gagnent la Champion's League et que l'on m'explique la régression des clubs formateurs comme Auxerre aux second rôles d'un pâle championnat. On râle aujourd'hui en France contre cet ultralibéralisme qui favorise les championnats européens jouant le jeu de la dérégularisation totale des talents. Mais on ne fait que se rendre compte des pertes et injustices qu'ont subies les pays pauvres depuis quarante ans! Le football européen ne cesse de piller l'Afrique et l'Amérique du Sud avec la bénédiction tacite des supporters aveugles pour peu qu'on leur présente la dernière recrue-star des favellas! Ce phénomène d'exploitation de l'injustice s'est accru avec l'avènement dans le sport de l'ultralibéralisme. On ne compte plus aujourd'hui les fortunes douteuses qui investissent dans les sports médiatiques, en particulier le football. L'argent n'a pas d'odeur, ni pour les supporters, ni pour la presse (elle-même financée par les hauts financiers depuis quinze ans). Les dérives du football illustrent celles qui menacent la société. L'on nous présente la liberté comme la négation radicale de la justice sociale élémentaire au maintien de l'équilibre et de la pérennité de l'humanité. A quand l'avènement des mafias sur la scène financière officielle et leur adoubement médiatique par les politiques et les banquiers?
4)Au final, les dérives qui déforment le sport de haut niveau ne sont pas gratuites ou anodines. Elles illustrent la démesure du monde moderne dans la mesure où l'homme prétend désormais à occuper une place qui n'est pas la sienne. Le sportif de haut niveau n'est nullement cet athlète super entraîné et paré pour les exploits. Le sportif d'aujourd'hui est entraîné dans une spirale folle de la performance qui l'engage à dépasser les limites humaines. D'après un scientifique spécialiste du dopage, un sprinter ne peut passer sous la barre des dix secondes sans l'adjonction de produits dopants efficaces. On aura beau prétendre que les vrais responsables sont les médiais qui exigent du spectacle avant le sport, ces fameuses cadences infernales qui ont engendré le sport business. Je crois que le mal est plus profond. Le sportif illustre l'envie humaine de transcender son monde et de changer de sphère d'appartenance. Le fantasme de parvenu accouche d'une souris : de la même manière qu'un comte n'est in fine qu'un homme, n'en déplaise à la bourgeoise de souche qui eut la bêtise de l'épouser pour ses titres, l'homme du XXème siècle n'est jamais qu'un homme. Le siècle de la technologie a la prétention d'atteindre au Surhomme. Rien à voir avec la (malheureuse) expression nietzschéenne, qui cherchait l'échappatoire à la mort (criminelle) de Dieu. Le Surhomme moderne, que l'on a nié comme avatar du nazisme pour mieux l'exploiter comme marque déposée et pantin breveté? Rien d'autre que cet homme qui aimerait tant bien que mal laisser croire qu'en allant plus vite, il a changé de dimension! Le champion cycliste est-il plus près de Dieu ou du Paradis parce qu'il est bionique? Quel idéal a-t-il atteint en montant les cols à 50 kms/h ? N'aperçoit-on pas la course généralisée et absolument vaine que l'on nous vend comme supercherie métaphysique, tristes privilèges de névrosés qui aimeraient tant trouver un sens à la vie? La vraie course qui commence, celle que le baron de Coubertin inaugura à ses dépens, ce n'est pas la renaissance des antiques Hellènes, c'est le mirage de la destruction contemporaine.

lundi, janvier 22, 2007

Spectres de Derrida

Alain Finkielkraut reçoit dans Répliques du 19 janvier Jean-Luc Nancy, disciple et ami de Derrida, et un journaliste du Monde pour évoquer un colloque qui s'est tenu à Alger autour de la mémoire du philosophe (d'origine juive algérienne). En écoutant, en différé grâce à Internet, une des dernières émissions qui respecte (à peu près) l'art de la conversation, soit le droit élémentaire à ne pas être coupé toutes les minutes par un contradicteur irrespectueux, je n'ai pu m'empêcher de ressentir un sentiment de malaise.
Comment l'incivilité a-t-elle gangrené à ce point le principe de l'entretien? La télévision a interdit sur ses multiples canaux le débat. Les arguments les plus efficaces consistent à couper ou à couvrir la voix de celui avec qui l'on se sent en désaccord. Cette technique participe certes de la rhétorique bien connue de la mauvaise foi. Je crois aussi qu'elle signale l'avènement du totalitarisme moderne, qui consiste à s'accommoder de la démocratie en ne prêtant aucune attention au contenu. Dès lors que la forme a pris le pas, l'audience sera assurée par les moyens au service du spectaculaire. L'engueulade remet au goût du jour la prééminence de la force sur la raison. Il suffit de crier pour exister. Imagine-t-on Bergson sur un plateau face à BHL? Qui aurait le dernier mot, du génie ou du bellâtre ?
Pourtant, les animateurs pourraient aisément s'ils le souhaitaient imposer les règles élémentaires de l'échange réussi, fût-il polémique. S'ils s'évertuent à encourager la cacophonie et le scandale, c'est que leur but n'est pas le débat démocratique, aussi tumultueux soit-il, mais la foire d'empoigne aux relents totalitaires.
Raison pour laquelle les questions les plus creuses et les plus ridicules fleurissent en lieu et place des controverses en droit d'intéresser le citoyen. Rien n'est moins surprenant que ce scandale complaisamment entretenu. Dans le système démagogique (soit la forme dégénérée de la démocratie), le spectateur décide de la qualité des émissions. Une excellente émission sera supprimée si elle n'attire pas le taux d'audimat escompté. Il est temps de généraliser cette trouvaille de premier ordre en l'appliquant à l'école. Fidèle à l'esprit pédagogiste qui anime les pionniers infatigables de l'IUFM, laissons aux élèves de sixième le soin de déterminer leurs programmes. J'imagine déjà la couleur : cours de boulettes puantes en sciences physiques et de strip-poker en SVT. Suppression de l'orthographe et de la gémométrie. L'histoire devient une discpline indexée à la faculté d'imagination.
Encore suis-je clément et miséricordieux. A quand l'avènement d'une politique où le candidat suit les impulsions de ses concitoyens? J'oubliais que c'est malheureusement déjà le cas. Royal n'a-t-elle pas eu le courage insondable de préciser que, sur la question de l'adhésion de la Turquie à l'Union, elle était d'accord avec l'opinion des Français?
Nancy et le journaliste du Monde aussi étaient d'accord sur les points qu'ils développaient, tant d'un point de vue théorique que pratique. Ils poussaient même la prévenance jusqu'à préciser à plusieurs reprises que Derrida aurait approuvé leurs propos. Nancy n'avait-il pas connu personnellement le grand homme? Comme ils ne se coupaient jamais, l'auditeur eut tout le loisir de constater que l'émission de Finkielkraut roulait cette fois sur la plus grave queston dont avait à débattre la philosophie moderne : le conseiller culturel de Bouteflika s'était-il servi de la mémoire de Derrida pour appuyer de vilains motifs anti-occidentaux? Pour donner un peu de corps à cette interrogation lancinante, dont on mesure d'ores et déjà la postérité promise, Nancy contraignit le journaliste à quitter son ton événementiel. Il était temps d'accéder aux hautes sphères de la réflexion philosophique!
Effectivement, nous n'allions pas être déçus! Je me rappelle d'une conférence de Jean-Luc à Nancy. Beaucoup des lecteurs venus en pélerinage repartient déçus. Ton monocorde, propos amphigouriques, références systématiques à Heidegger et Leo Strauss : nous n'avions rien appris - encore moins compris. Cette fois, pourtant, la seule écoute de la voix suffit à m'indiquer que le philosophe aurait pu figurer dans le Bourgeois gentilhomme. Grâce à lui, tout se déconstruisait! La moindre queston de Finkielkraut ne pouvait être abordée qu'après cinq minutes de remarques préalables sur la validité de la virgule inaugurale, entrecoupées il va sans dire de références obligées à Heidegger.
Nancy était très attentif à rendre compte de la déférence avec laquelle le pouvoir algérien avait tenu compte du colloque. Lui-même avait été bien traité. Il avait pris la parole en premier, on lui avait demande de revenir pour un motif capital (rappeler aux masses l'importance de la lecture; avec Strauss et Heidegger au programme, l'apprentissage risque d'engendrer une nouvelle guerre civile!), le pouvoir algérien était peut-être un peu anti-occidental, mais aussi très démocratique, malgré le fait que les élections de 90 avaient été truquées, quoiqu'une conférence sur la démocratie dans le Tiers-monde ait vu le jour...
A mon grand regret, je me rappelai qu'une vaisselle m'attendait sans tarder. A mon retour, Finkielkraut s'énervait tout seul. Avait-il cédé aux sirènes de l'audimat? Que nenni! France-Culture a encore le luxe de ne pas fonctionner sur ce mode aléatoire et ultralibéral. Finkielkraut enfourchait son cheval de bataille, la défense des valeurs traditionnelles de l'Occident. Il est vrai que Finkielkraut est un grand orateur, pas un penseur.
Dans un de ses derniers ouvrages, Voyous, Derrida (écrivain prolixe devant l'Eternel, sans doute pour concurrencer la réputation de Philon d'Alexandrie) n'avait pas hésité à se réclamer de Noam Chomsky pour offrir au monde ébloui sa théorie sur les attentats et le terrorisme (en gros, Derrida reprenait les analyses de l'extrême-gauche des années soixante-dix). Finkielkraut manifesta un brin d'agacement. Le propos n'était-il pas un brin simpliste et désuet?
Je n'eus pas le temps d'approfondir. Mû par un réflexe inexplicable, qui explique que je n'appartienne pas à la caste supérieure des deconstructionnistes, je reçus l'ordre intime et impérieux d'astiquer toutes affaires cessantes les toilettes situées au rez-de-chaussée de mon somptueux duplex! Je m'interrogeai, perplexe. Selon les lois régissant mon inconscient et ma survie, les cuvettes méritaient-elles plus d'attention que les considérations de Nancy? Je refusai de creuser le dilemme. Il n'est jamais bon de forcer sa nature. D'ailleurs, mon démon me souffla une confidence annexe, dont je m'empresse de livrer la primeur pour qu'on ne m'accuse pas de cachotteries mesquines. Bizarrement, les deconstructionnistes ont en commun avec les philosophes analytiques de perdre des heures (ou des centaines de pages) pour démontrer l'évidence. Exemple : si je suis à Nancy, je ne saurais être à Paris. Si j'ai faim, j'aurai envie de manger.
Nancy, lui, ce grand mondain méconnu, n'eut pas besoin de commencer à entreprendre les prémisses de la déconstruction précautionneuse et heidegerrienne du pouvoir pour administrer la leçon inaugurale qu'il courait après les honneurs et les marques de distinction. Il délivra même sans s'en apercevoir un théorème politologique. Un ministre qui apprécie la lecture des ouvrages de Derrida et des siens ne saurait être un sinistre ministre. Je demanderai à Finkielkraut s'il nourrissait ce samedi le projet de lancer un programme de prévention du narcissisme nombriliste à l'intention de ses auditeurs ou s'il cherchait à mettre en évidence les relations de pouvoir chez les pontes philosophes. La deuxième hypothèse signalerait des manoeuvres retorses. Car Nancy prend au sérieux l'incroyable complexité de son chichi de précieux. Il n'est pas correct d'organiser à l'insu de ses invités des émissions de con. Surtout quand la préciosité est la marque de fabrique et le symptome du cobaye. En l'occurrence, ceux d'un ponte de l'Université qui se croit philosophe et qui, pour (se) le prouver, recourt au langage abscons et à l'érudition assommante.

samedi, janvier 20, 2007

Le privilège de la vérité

J'écoute Ce soir ou jamais du 18 janvier. Robert Reddeker en est le triste invité-vedette. Les philosophes Meddeb et Pena-Ruiz, l'un musulman (très) tolérant et l'autre spécialiste de la laïcité, sont venus pour le défendre inconditionnellement. Ils ne sont pourtant pas d'accord avec le contenu de l'article paru dane le Figaro , qui a valu au professeur l'opprobre des milieux terroristes islamistes. A écouter le débat, l'évidence saute aux yeux : l'Islam est malade de l'islamisme. Cette constatation de bon sens participe d'un terrible constat, de portée générale, qu'édictait d'ailleurs le Coran dans sa distinction entre Grand et petit djihad et la prééminence accordée au premier : les pires ennemis se trouvent à l'intérieur (en l'occurrence, de la communauté). En attendant que l'Islam trouve le moyen de se débarraser de ses théologiens archaïques, il serait bon de se demander comment la violence peut être légitimée à ce point par un courant important de la troisième religion monothéiste (historiquement parlant).
Qu'est-ce que l'islamisme? C'est le cas particulier d'un fait universel : décréter que la Vérité, Une et Irréfragable, est descendue dans l'ordre du sensible. Identifier la Vérité à Dieu n'est nullement affaire suffisante. Il faut de surcroît considérer que la Vérité peut être atteinte par l'homme et s'installer dans le sensible.
Celui qui considère que la Vérité existe, mais que l'homme ne saurait en disposer, ruine d'avance toute possibilité de réalisation de la Vérité. Ainsi de Démocrite. Mais celui qui considère que la Vérité ne saurait faire l'objet d'une incarnation historique ne se montre guère plus amène à l'égard de cette appréciation du divin.
En effet, considérer que la Vérité est compatible avec l'ordre mouvant du devenir et de l'histoire relève d'une profonde aberration, que je n'hésiterai pas pour ma part à qualifier de paranoïaque. A supposer que l'idée de Vérité ait un sens au-delà de l'esprit humain, comment concevoir que cette Vérité puisse être fixée à un moment donné de la finitude et indépendamment du recours (nécessaire) à l'interprétation?
J'ajoute que considérer que la Vérité a appartenu à un moment donné et passé (en l'occurrence par l'entremise de la Révélation) relève du réflexe le plus réactionnaire. Tous les islamistes qui rêvent de ce retour à la Pureté de l'Age d'Or commettent un péché contre la pensée (et, ajouterais-je, contre la cohérence de leur foi). Car le fantasme d'une Vérité qu'il suffirait de suivre pour mener une vie vertueuse s'est toujours manifesté comme l'Arlésienne du désir quand les repères identitaires vacillaient dangereusement.
De même que c'est quand le moi est en crise que le moi identitaire fait parade forcenée d'existence, de même est-ce quand le sens s'estompe que le fanatisme surgit (les analyses de Rosset dans Loin de moi sont sur ce point lumineuses). Le fanatique ne supporte pas l'absence de certitudes à laquelle le réel nous astreint bon gré, mal gré. La trop fameuse citation de Nietzsche ("Le besoin d'une foi puissante n'est pas la preuve d'une foi puissante; quand on l'a, on peut se payer le luxe du scpeticisme") corrobore l'impression que le fanatique se réclame du rationnel pour fonder sa foi. Plus l'on a besoin de certitude et plus l'on ancre son besoin sur la rationalité et le sens. L'incertitude suppose la reconnaissance des limites de la raison et du sens.
Tout comme Salman Rushdie est un écrivain de deuxième zone à qui la fatwa de Khomeyni a procuré une publicité inespérée et imméritée, il est certain que Reddeker divague. Peu importe en la matière. Ce que lui reprochent fondamentalement ceux qui le menacent de mort n'est pas tant son agressivité de ton ou ses erreurs de jugement que le fait qu'il dit vague. Plus de clarté et de précision auraient sans doute permis au professeur d'embrasser leur parti. Celui de la vérité. Tel ne fut pas le cas. Dès lors, tout était dit. Il ne restait plus qu'à venger le parti de la vérité.
Autant dire à faire disparaître l'impétrant. Car il ne s'agit pas d'un crime pour l'esprit paranoïaque, mais d'un réflexe de survie : ne pouvant subsister avec le confort nécessaire que dans un monde garanti avec un certain coefficient de certitude, tout élément rappelant l'incertitude est automatiquement biffé de l'existence. Le fanatique s'arroge le droit tout-puissant de décider ce qui doit exister ou pas au nom de la Vérité. Entre sa propre existence et celle d'autrui, son choix ne se décide pas. Il coule de source.

L'impostHure

J'emprunte à Jacques Derrida le modèle indépassable de la différAnce et à son disciple Clément Rosset son concept d'écritHure pour forger mon concept d'impostHure. Il s'agira de montrer grâce au réductionnisme de l'épochè phénoménologique et aux travaux de Lacan sur les mathématiques et la névrose syphillitique que la société contemporaine traverse une grave crise d'identité due à la confusion entre l'Esprit et le sensible. Deleuze a eu raison de se réclamer du rhizome (dans lequel j'introduirais quant à moi la nuance idéelle de rHizome).
Grâce aux créations de concept de Deleuze et Derrida, Rosset a bien montré que l'écritHure ne rendait pas compte de l'impostHure, y compris dans la littératHure. Il était besoin de l'interventoin d'un autre disciple de Deleuze. René Girard a souligné l'importance de l'oeuvre de Deleuze et Guattari dans la reconnaissance de la schizophrénie contre les égarements de Freud, pour que le diagnostic tardif porte sur la (dé)confitHure.
A ce stade de découverte conceptuelle, la démocratie se trouve préservée en son socle par l'immersion fatidique de la pAnsée dans l'impEnsé du refoulé bataillien et mallarméen. Hölderlin lui-même a eu le courage de préciser que l'avènement de l'InvestitHure contre l'impostHure nécessitait la reconnaissance par le communisme du marxisme scientifique d'AltHusser et aussi de la philosophie révolutionnaire de Mesrine et Carlos.
Le fascisme rampant des universitHaires ne trouvera sa résolution que dans l'expressionisme littéraliste du pédagogisme avancé néo-post-trost-kyste. J'insiste quant à moi sur ce point crucial : il en va de l'avenir de l'humanité et de l'engagement de Foucault et Jean-Luc Nancy pour promouvoir l'humanisme et l'hellénisme selon Cornelius Castoriadis. A-t-on oublié que la French deconstruction, ainsi que l'a baptisée l'immense penseur péruvien Alberto Fujimori dans son célèbre discours d'investitHure à la Présidenec de son pays, consistait en l'immersion galactique de toutes les valeurs?
Je remercie l'assemblée chaleureuse et concentrée d'avoir participé à l'édification des fondements post-kantiens appelés à sauver le monde de la démesure wittgensteinienne!

Ce discours émouvant et décisif n'est pas seulement l'appel abyssal vers le nouvel ordre de la socété post-rousseauiste. Il a été prononcé lors de la conférence de la Concorde initiée par les philosophes Finkielkraut et Glucksmann pour l'obtention de bourses aux étudiants tchétchènes candidats au concours de l'ENA.

Infusion

Soirée poésie, hier, à la Médiathèque de Toul. L'éditeur Cheyne venait présenter ses auteurs, tous centrés sur la poésie moderne, française et étrangère. Cheyne est un éditeur confidentiel, qui reçoit mille manuscrits l'année pour n'en retenir que douze.
Une phrase m'a percuté, sortie d'un ouvrage dont j'ignore tout, de son titre à son auteur. En Japonais, plagiat se dit deuxième infusion.

Eloge du silence

Quelle est la plus sûre manière de témoigner de son mépris? Par le silence et un sourire. Entende qui pourra !

Docteur David et Mister Lynch

David Lynch est le meilleur réalisateur contemporain que j'aie rencontré - sur les écrans. Non que les bons cinéastes manquent. J'ai récemment eu la chance d'assister à la projection du dernier Scorsese, un très bon tonneau ma foi, Les Infiltrés. Pourtant, quand je sors d'un film de Lynch, comme ce sera bientôt le cas en février avec Inland Empire, l'impression est radicalement différente. Scorsese traite de sujets intéressants avec un talent indiscutable, mais sa manière d'aborder les thèmes respire la convention. Scorsese est très bon - très attendu, aussi.
J'imagine que le premier producteur qui se trouva confronté aux premières oeuvres de Lynch comprit surtout que l'artiste autiste sortait des sentiers battus. David Lynch est unique. Déjà par ses thèmes, qui oscillent entre fantastique et mysticisme. Ensuite par sa manière de filmer, troublante à force de verser dans l'onirisme et l'obsessionnel. Lynch a sa manière de rendre la couleur, en l'occurrence le rouge, omniprésent, inquiétant et terriblement oppressant; ses gros plans flous recueilleraient l'indignation d'un jury académique.
C'est pourtant par ses flous que Lynch m'a marqué en premier. Tout est admirable chez ce plasticien reconverti à la pellicule, mais le flou représente chez lui la fine pointe du réel - sa texture intime et indicible. Lynch a compris que le réel était au-dessus des mots, de tous les mots. Raison pour laquelle il privilégie les histoires troubles, dans tous les sens du terme. La violence est si sourde qu'elle ne manque jamais d'alarmer le spectateur. Mais le trouble abonde aussi dans l'esthétique. Je ne compte plus les scènes où la voix subit une distorsion, où l'image se brouille et se floute. C'est d'ailleurs le message diffus, mais omniprésent, qui ressortit des films de Lynch. Le plus étonnant n'est pas encore que l'on y trouve des médiums paumés ou psychotiques, des psychopathes en relation harmonieuse avec le diable ou des schizophrènes souffrant d'hallucinations surnaturelles.
Le surnaturel n'est pas l'élement le plus étonnant chez Lynch. La Loge Rouge ou la Blanche, pour extraordinaires qu'elles soient, ne sont jamais que de l'ordinaire dans l'extraordinaire qui peuple les scénarios. Le réalisme n'est décidément pas le fort de Lynch! Peut-être Docteur David excelle-t-il davantage dans le genre, lui qui réussit à accoucher le grand maître d'Une histoire vraie.
Mais Mister Lynch est l'ordonnateur ultime de son imaginaire! C'est bien lui, et lui seul, qui est passé maître dans l'art de dévoiler l'envers du décor : ce qu'est le réel derrière son réalisme habituel et son apparence routinière. Le réel est-il aussi inquiétant que Lynch veut bien le montrer? L'angoisse à laquelle nous conduit Lynch n'est-elle qu'un effet de manche un peu cabot? Je ne sais, mais je n'ai jamais éprouvé autant le sentiment de la menace que face aux délires psychologiques du Mister. Bob engendre bien plus de terreur que tous les dentistes psychopathes du monde!
C'est que Lynch pose la question fondamentale à laquelle a à répondre la philosophie : le réel se réduit-il à nos humaines représentations ou déborde-t-il de toutes parts leurs limites et leurs faiblesses? Pour Lynch, la cause est entendue : le réel est ce grand inconnu mystérieux dont nos rêves et notre imagination nous fournissent un aperçu plus adéquat que nos sens.
Justement, Lynch mêle avec un génie provocant et cruel l'ontologie à la morale : en posant la question du Mal avec une telle acuité, il ne fait que prolonger ses terribles prémonitions : notre expérience du réel, dans laquelle nous tentons tant bien que mal d'instaurer le règne du Bien et de l'Ordre, ne serait-elle que la face immergée d'une réalité qui serait terriblement complexe et ambiguë?
Il est frappant de constater à quel point Lynch ne peut concevoir le surréel sans y adjoindre une touche maléfique et poignante. Le Mal ne s'élabore pas n'importe où : c'est dans l'anodin qu'il prospère. Blue Velvet, Mulholland Drive, Twin Peaks, autant de titres de films ou de séries qui tissent leurs terribles trames dans les endroits les plus paisibles : quartiers bourgeois, bourgs de forêt isolés et bucoliques, résidences luxueuses et discrètes...
Le danger se tapit au coeur de la tranquillité - le Bien dans les entrailles du Mal. En témoigne la série Twin Peaks où Laura Palmer est à la fois la vierge effarouchée et la putain dévergondée. Laura apparaît à la fois dans la Loge Rouge et la Blanche. Même l'enquêteur n'est pas un héros comme les autres. Avant d'apparaître comme le plus farfelu des médiums, il est l'incarnation contre-nature et amorale de Bob lors de la dernière scène (curieux de constater que la figure du démon, soit l'incarnation du sadisme à visage découvert, porte le diminutif le plus ordinaire de la vie américaine, Bob).
Inextricablement mêlées, la violence et la douceur cohabitent comme les deux mamelles auxquelles le monde s'abreuve pour perpétuer sa marche en avant indéfinie et aveugle. Lynch se contente de constater sans prendre parti. Je n'ai jamais vu le sens aussi mis à mal que dans un film de Lynch : pas un film qui ne soit compréhensible! Malgré tous les efforts de recollage ou de reconstruction a posteriori, il reste toujours un élément divergent ou une contradiction qui perdure. Impossible de fournir un sens cohérent à Mulholland Drive ou Lost Highway, moins du fait d'une erreur d'écriture que d'un effacement du sens au profit du réel. Le spectateur se retrouve dans la position habituelle de l'homme qui humanise le réel en lui adjoignant du sens après coup. Après coup toujours, car aux commencements, il n'y avait - rien.

vendredi, janvier 19, 2007

Le socialisme à visage féminin

Je vais finir par me demander si le socialisme n'est pas une machine politique inventée pour contenter les hommes dans leur besoin d'être dupés. Après quatorze ans de Miterrandie pour qu'enfin advienne le règne d'une France plus juste, voici Ségolène la hautaine, son héritière politicienne. Miterrand s'était fait élire sur un programme dangereux et utopique censé éliminer les inégalités, dont le chômage, et améliorer la fraternité. Pendant deux ans, il mena sa politique archaïque et folle, jusqu'à ce qu'on le ramène de force à la réalité. Rocard l'avait prévenu. En vain.
Ségolène est la candidate socialiste pour 2006. Elle a remporté l'investiture haut la main en écrasant Fabius l'hypocrite, celui qui voulait renouveler le coup de Miterrand et passer par la gauche, et DSK, le social-libéral mou. J'ignore si elle gagnera, mais jamais le PS n'a figuré en si bonne position.
La France a connu deux premiers ministres socialistes de valeur. Le premier, Michel Rocard, était l'ennemi intime de Mitterrand, ce qui est toujours bon signe. Le second, Jospin, connut l'infamie d'un deuxième tour Chirac/Le Pen en 2002. Ce n'est pas que ces deux politiques étaient irréprochables. Mais enfin, ils étaient honnêtes. Miterrand a montré qu'en démocratie, les promesses comptaient plus que les résultats. Après la nomination de Fabius comme plus jeune Premier ministre de la France, l'Hexagone revint dans les règles du marché et les socialistes se chargèrent d'appliquer le libéralisme sans prononcer son nom.
Hypocrisie, hypocrisie! Miterrand aimait les premières : avant de lancer le Premier ministre suicidé de France, il tint aussi à montrer son féminisme éclairé. Ce grand macho ne trouva rien de mieux que d'appeler Edith Cresson comme prétendante. Malgré le pitoyable résultat, l'échec retentissant de Jospin aurait-il rappelé aux socialistes qu'ils n'existent dans le coeur des gens qu'en vendant du rêve? En tout cas, ils ne gagnent les élections que sur la contestation et les promesses de changement. Et, à chaque fois, ils se targuent d'incarner le Progrès pour l'asseoir sur le socle de l'illusion.
Cette fois, le programme socialiste n'est pas la résurgence d'obscures recettes collectivistes dont plus personne ne songerait à contester la nocivité - à part la gauche antilibérale, mais on peut mesurer de son sérieux en rappelant que Michel Onfray en est l'un des porte-paroles éclairés! Le programme du PS est un libéralisme de gauche, que Rocard et DSK baptisent à leur guise social-démocratie.
Le changement considérable et retentissant que le socialisme se targue d'apporter à la France, c'est son candidat, Ségolène Royal. Ou plutôt : sa candidate. Nous l'avons compris : ce qui va changer la France, c'est le fait que Royal soit une femme. Le point fort et la botte secrète du PS tiennent tout entier dans ce sourire arboré dès qu'une caméra s'allume et ces néologismes délicieux qui personnifient au coeur de la langue la révolution en marche.
Peu importe que Royal n'ait pas l'expérience de la haute politique, qu'elle accumule les bourdes diplomatiques, qu'elle se montre cassante et autoritaire dès qu'elle découvre son vrai visage ou qu'elle énonce des balivernes scandaleuses quand elle se pique de changer l'Education Nationale. L'important n'est pas là. Les médias nous relaient le grand matraquage d'automne, d'hiver et de printemps : Royal est une Femme! La première candidate à l'investiture suprême! Le monde va changer avec cette donne exceptionnelle!
On souhaite bien du courage aux conseillers de l'ombre qui seront chargés de piloter le navire français en cas de victoire de la Femme Suprême. Miterrand était un arriviste prêt à tous les mensonges pour accéder au Pouvoir. Royal est la dévalorisation par excellence de la politique. Soit : non pas l'avènement de femmes compétentes dans les plus hautes sphères de l'Etat, mais celui de la people politique. Royal est un désaveu cinglant pour tous les féministes (car il peut y avoir aussi des hommes) qui réclament que les femmes soient évaluées sur leurs mérites. En l'occurrence, le mérite de Royal, c'est d'être belle. Existe-t-il plus cruel rappel de l'adage : "Sois belle et tais-toi"? Les machos politiques triomphent : ils ont réussi à imposer la femme fatale en lieu et place de l'intelligence!
Royal ne serait-elle qu'un homme-sandwich véhiculant au gré de ses pérégrinations minutieusement calibrées l'image du socialisme à la française? On est en tout cas loin du QI de Hilary, dont on notera tout de même que le système médiatique l'a contrainte à de la chirurgie esthétique et un relooking pointilleux... Qu'adviendra-t-il de la politique si Royal est élue? Version optimiste : elle sera un brillant pion dans un échiquier international qui nous dépasse de plus en plus. Version pessimiste : elle contribuera, peut-être de manière décisive, à discréditer un peu plus la politique dans le coeur des Français.