mercredi, février 28, 2007

Sur le pont

Extrait de Debray (toujours Sur le pont d'Avignon, p. 68) : "Peu importe que La Société du spectacle ait démarqué, presque au mot à mot, le jeune Marx disciple de Feuerbach dénonçant l'aliénation, et que le remake nous arrive paré du génie de l'original. Qui lit L'Essence du christianisme (1841)? Le plagiat a conquis ses titres de contresens. Dénoncer le spectacle au nom de la vie et opposer l'histoire vivante à ses simulacres, c'est dédouaner la fausse monnaie "proximité" et faire coup double : assécher à la fois la vie historique et la catharsis dramatique."
Je renonce à comprendre comment Debray peut produire un pamphlet revendiqué comme voltairien, sinon dans l'esprit, du moins dans le style, en écrivant aussi mal, aussi maladroit, aussi postmoderne. Peut-être croit-il vainement que le style est secondaire et que prime la pensée brute, la pensée pure? Peut-être estime-t-il qu'il use d'un style alerte et percutant? En tout cas, son propos, quoique assez juste, sonne fort convenu. Je ne suis pas davantage convaincu que jadis par la "pensée" de ce si brillant élève.
Je ne peux qu'apprécier que Debord se trouve ainsi attaqué. Non que je sois en mesure de détailler la relation entre l'idole situationniste et le père du marxisme (que je n'ai pas lu). Mais Debord m'a toujours paru léger. Je suis d'autant moins convaincu que j'ai appris que le grand illusionniste parisien, Sollers le vizir, dans un article au Nouvel Obs, lui tressait des lauriers de louanges attendries (il est vrai que Sollers goûte, peut-être dans un grand second degré, la prose d'Angot).
En tout cas, le propos de Debray m'a rappelé une remarque que Rosset adresse à Polac dans Franchise postale. Alors que Kant, dans sa Critique de la faculté de juger, prétend que "les sons de l'art n'émeuvent que dans la mesure où ils évoquent les sons de la nature : ainsi le son de la flûte n'émouvrait que parce qu'il évoquerait le chant des oiseaux. C'est naturellement le contraire qui est vrai comme l'a dit Hegel au début de son Esthétique : un objet naturel n'est jugé beau que dans la mesure où il rappelle un objet d'art, le chant d'un oiseau n'est jugé beau que parce qu'il évoque le son de la flûte."
Il en va un peu de même pour les rapports du spectacle et de la télévision - je dirais même de l'art et de la télévision. La sécheresse de l'époque, son impayable forait, consiste bien à avoir assujetti la fiction au réel (ainsi des productions de télé-réalité). C'est l'inverse qui est vrai : l'art est l'étalon du réel, quand bien même il s'inspirerait directement de ses réalisations. Ainsi de Zola s'ancrant dans le naturalisme alors que la puissance et le génie de sa plume proviennent de son onirisme forcené. Cas également de Dostoievski, dont le sens de l'observation est d'autant plus lucide et chirurgical qu'il scrute avant tout les méandres de ses fantasmes hallucinés (et hallucinatoires). Je ne parle pas de l'hyperréalisme qui consiste à se montrer d'autant plus réaliste que les distorsions picturales sont appelées à la rescousse pour retranscrire les natures mortes évoquées et stylisées.
Bref, n'en déplaise à Nabe, qui estime avec tort que la fiction doit s'inspirer du réel, c'est l'inverse qui est vrai. Car le réel n'est jamais que la représentation imaginaire que l'homme se fait et le propre d'un grand artiste est d'être habité, tel un médium tellurique, par une conception à nulle autre pareille. Sans doute est-ce la principale raison qui explique que l'incomparable Lynch, cet artiste perdu dans la brume des talentueux d'Hollywod et de Navarre, soit contraint de reproduire le réel brut sans cause et sans sens. A une époque où le réel est sensé remplacé l'imaginaire, un artiste authentique comme Lynch n'a d'autre choix, par voie de fait, que d'esquisser l'esthétique inverse et de morceler le réel, jusqu'à laisser transparaître la représentation la plus démembrée, voire disjonctée (au sens littéral du terme) que le cinéma ait produit. A ma connaissance en tout cas.

Tu seras un homme

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou, perdre d'un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
Et, te sentant haï sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leur bouche folle,
Sans mentir toi-même d'un seul mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n'être qu'un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire,

Tu seras un Homme, mon fils.


Rudyard Kipling, traduction d'André Maurois (1918).

Islamisme et modernité

Si j'en crois Régis Debray (Sur le pont d'Avignon, p. 62), "cela fait plus de trente ans que la médiologie explique sur tous les tons possibles que l'islamisme ne porte pas babouche et djellaba mais attaché-case et portable, que l'intégrisme ne sort pas des facultés d'histoire et des belles-lettres mais des écoles d'ingénieurs et de technologie".
Comme Debray écrit de manière illisible (la mauvaise écriture serait-elle profondeur ou médiocre conception de la pensée?), je renonce à citer la phrase suivante, dont le sens est passablement embrouillé (pour moi!). Toujours est-il qu'il n'est pas besoin d'être médiologue ou de pratiquer cette discipline ténébreuse pour avoir constaté cette vérité. A vrai dire, je n'ai jamais compris l'étonnement des médias, "spécialistes" et autres intellectuels quand ils se sont aperçus que les terroristes du 11 Septembre n'étaient pas des sauvages, mais des diplômés issus de classes sociales aisées. Cette conception frise le racisme : quoi? Un terroriste pourrait avoir accès à la civilisation (sous-entendu : occidentale)?
C'est l'inverse qui est vrai : jusqu'à plus ample informé, c'est au contact de la civilisation occidentale que l'individu devient terroriste. Pourquoi le Nukak se suicide-t-il en sortant de la forêt amazonienne et en découvrant les rues de Bogota? Parce qu'il est désespéré! Certes. Mais le Nukak ne détruit pas l'environnement. Il entre dans la démarche du terroriste une autre signification que le simple désir de mettre fin à ses jours - dont on sait qu'il correspond le plus souvent au désir de mettre fin à ses souffrances.
Le terroriste semble vouloir porter atteinte au réel. Souhaiterait-il porter un terme aux souffrances du réel? Je me demande s'il n'entre pas quelques degrés de philanthropie dans la démarche terroriste. Après tout, le terroriste est toujours engagé fortement dans une cause, et presque toujours dans une cause religieuse ou spirituelle. Il n'est pas anodin qu'un musulman, aussi déséquilibré soit-il, s'en prenne aux oeuvres de Dieu. Il n'est pas fou, mais son amour de Dieu est incompatible avec la société qu'il subit.
Et cette société est occidentale. Que peut bien porter de diabolique la société pour que l'extrémiste en vienne à perpétrer l'attentat contre l'innocent (soit le réel dans sa manifestation usuelle)? Le Grand Satan n'est pas par hasard le terme qui revient dans la bouche de tous les extrémistes pour qualifier la civilisation occidentale.
Diabolique, en effet. Car le diable est celui qui divise. En matière de division, le reproche sonne avec une particulière pertinence. L'Occident est, selon le mot de Nietzsche, la civilisation qui a assassiné Dieu. Voilà un meurtre qui n'est pas anodin et qui est annoncé par le prophète de la modernité, celui qui s'est lui-même baptisé l'Antéchrist! L'occultation du divin est la caractéristique majeure de notre Dieu. Si Dieu existe, il s'est retiré du monde et ne dirige plus nos principes.
Le terroriste s'en prend au blasphème par excellence : l'attentat vise ainsi à rétablir le divin contre le matérialisme ressenti. Où l'on constate que les terroristes ne sont pas des déshérités en proie à la démence, mais des métaphysiciens, des mystiques, particulièrement conséquents et intègres. Comme me le confiait un jour un islamiste partisan de Ramadan (vous savez, le gourou alter-islamiste?), l'intégriste est un homme intègre. Curieuse rhétorique pour réhabiliter l'intégrisme au nom de la morale et du Bien! Mais très conséquente aussi. L'intègre étant en l'occurrence, non l'extrême, mais le pur en tant que refus de l'impur. Le pur : réhabilitation du divin dénié. L'impur : matérialisme dogmatique et hédoniste. Le terroriste est par excellence l'individu qui passe d'une société traditionnelle, où le divin est sacralisé, institutionnalisé, à la société moderne, où le divin est marginalisé, renvoyé dans la sphère privée.
La confrontation se réèle d'une violence prodigieuse. Pas seulement d'un point de vue moral : le religieux est l'organisation de la violence en un sens sacrificiel et culturel. Privé de cette conception, l'individu perd ses repères et compense l'absence de sens par la débauche de violence. Le terroriste est le métaphysicien ou le mystique qui prend acte et rend justice à l'Occident de son hyperpuissance prédominante.
Le simple désespoir conduit au suicide. Il faut une haine des autres pour en venir à l'attentat. Attenter à la culture est le seul moyen pour virer au terrorisme. C'est le cas avec les islamistes terroristes (tous les islamistes n'étant pas terroristes, loin s'en faut!). L'intégrité du terroriste, c'est de refuser l'attentat que perpètre l'Occident contre Dieu. Attentat contre attentat... C'est l'Occident qui a commencé! Je dirais même plus : c'est le plus fort qui se trouve visé. Car, dans ce geste nihiliste et inutile, le pire est que le terroriste reconnaît l'impuissance de sa tentative à conjurer le visage du monde qu'il répudie. Pressé pour lui-même d'en finir avec son appartenance au monde (vivement le paradis et les houris!), il ne sait que trop qu'il a perdu d'avance et qu'il ne lui appartient pas de changer le monde de façon politique. Davantage qu'un désespéré, le terroriste est un impuissant.
Il n'est pas certain que l'on puisse condamner le geste du terroriste : son acte criminel ne suffit pas à le ridiculiser, à moins d'en dénaturer la portée profonde. Le terroriste se veut un défenseur jusqu'au-boutiste du parti de Dieu (ainsi de Hezbollah, qui signifie : "Car ceux qui suivent le parti de Dieu seront victorieux" et constitue un extrait de verset coranique (Al-Maidah, V, 56).
C'est d'ailleurs le reproche que l'on pourrait adresser au terroriste : non d'être inconséquent dans son action, mais dans sa farouche volonté de suivre le parti de Dieu. Il faudrait savoir : soit le réel suit le plan divin et son visage n'en est que la conséquence présente ; soit Dieu et le réel sont disjoints, ce qui représente une contradiction dans les termes. Le terroriste prétendrait-il défendre Dieu contre lui-même? C'est la question véritable à lui (op)poser, car les manipulations politiques dont il est la victime ne le concernent pas. Il ne se place pas dans cette dimension finie. La seule puissance qu'il reconnaît est d'ordre transcendant. Reste à savoir si le terroriste n'intègre pas, ce qui serait la suprême ironie, le plan divin en étant un passage obligé, quoique particulièrement cruel, pour que le monde soit monde.

mardi, février 27, 2007

Quatrain

"Je ne suis pas homme à craindre le non-être,
Cette moitié du destin me plaît mieux
que l'autre moitié;
C'est une vie qui me fut prêtée
par Dieu;
Je la rendrai quand il faudra la rendre."

OMAR KHAYYAM.

Filosophe

Selon l'impayable Michel Onfray, qui commet un blog sur le site du Nouvel Obervateur dans la perspective des présidentielles, la politique deleuzienne s'incarne au plus près dans l'engagement de José Bové. Pour une fois, je suis d'accord avec le maître à panser de l'Université populaire de Caen. La valeur philosophique de Deleuze se trouve indexée sur la valeur politique de Bové et vice versa. Quant à Onfray, il semble être le produit déliquescent d'un redoutable croisement philosophico-politique, celui de Bové et de Deleuze...

Alertes cliniques

La clinique des Lilas traverse une petite crise passagère qu'elle résoudra vite puisque personne ne veut contempler l'horrible vérité. Son service de médecine générale, qui accueille les cancéreux contraints à l'hospitalisation et les vieillards proches de la mort, est traversé par de sérieux soubresauts : à l'instigation de la direction et de la surveillante générale, fraîchement débarquée, une aide-soignante s'est fait virer. Une prénommée Hannaé. Quarante ans, trois enfants, un mari.
Scandale! Dix lettres de collègues, aide-soignantes ou infirmières, l'accusent, en sus des multiples plaintes de patients, d'avoir (ab)usé et maltraité des patients particulièrement démunis. Que l'on en juge. Hannaé insulte dès que l'occasion se présente. A une vieille dame dialysée et grabataire, elle criera : "Va falloir maigrir, grosse vache, si tu veux qu'on te remonte sur le lit!".
Elle gifle, elle menace, elle vitupère, sous l'oeil complaisant de certains collègues et les plaintes trop timides des plus scrupuleux. Personne ne tolère la lucidité : alors qu'Hannaé pratique la maltraitance la plus odieuse, l'ensemble du service préfère se taire que d'engendrer un scandale. On craint par trop que le boulet se commue en boomerang et revienne incriminer les courageux dénonciateurs d'une situation qui ne pleut plus durer et qui pourrit en attendant d'être démasquée.
Le clou du spectacle? C'est la surveillante générale qui l'apprend de la part d'une aide-soignante qui déteste Hannaé : Hannaé n'a pas hésité, en présence d'une aide-soignante complice et d'une infirmière comparse, à prendre en photo une déficiente mentale légère, à la tutoyer de façon méprisante et à lui laisser entendre qu'elles portaient toutes deux le même prénom. A l'époque, l''aide-soignante et l'infirmière présentes n'ont rien trouvé d'anormal à redire. Pis, elles hurlent à présent au complot et au lynchage : Hannaé voulait bien faire!
La surveillante générale a vu rouge. La direction aussi. Il aurait été inconcevable que la réputation irréprochable de la clinique des Lilas pâtisse de cette glauque affaire. Et si les médias pointaient le bout de leur nez? Ne pas agir aurait été assimilé à de la complicité, voire de la non-assistance à personne en danger. La direction a privilégié l'hypocrisie médiane : mettre à pied l'impétrante sans la poursuivre.
L'intéressée n'a pas apprécié. Sur le point d'affronter son terrible reflet de perverse usant ses nerfs sur les patients les plus faibles, les plus accaparés, elle a décidé de se défendre. Elle déprime. Elle menace de se suicider. Bien entendu, Hannaé n'a pas eu besoin de trop pleurer pour se voir défendue par les bonnes âmes du service. La plupart refuse de suivre. Chacun ne sait que trop les torts de la collègue. On a beau protester (avec raison) que le patronat et les actionnaires spolient, il ne s'agit pas non plus de défendre l'indéfendable! D'ailleurs, c'est ce que les syndicats de la clinique, d'ordinaire prompts à faire sentir l'âpreté de leur contre-pouvoir, ont affirmé : Hannaé est allée trop loin dans l'illégal (puisque la jurisprudence a remplacé la morale).
Il ne lui reste plus qu'à compter sur la mansuétude sadique de celles qui, pour des raisons personnelles, confondent solidarité avec justice. Les belles et bonnes âmes s'empêtrent les pieds dans le tapis. Il est courageux et noble de défendre une collègue en proie à d'odieuses calomnies - il est déplorable de jouer les justiciers au nom du corporatisme qui ne dit pas son nom. Pourquoi Hannaé est-elle défendue contre l'évidence? Pourquoi les grands criminels reçoivent des lettres transis d'amour de prétendantes sérieuses et déterminées prêtes à braver les barreaux de leur prison à vie?
La morale de cette histoire? La violence a encore de eaux jours devant elle. Tant que la majorité préférera se taire que de l'affronter, elle n'a en fait aucun souci à se faire. Elle protégera son terrible secret : le roi est nu! La violence n'est faible qu'une fois démasquée. Sa seule puissance est de se travestir. La violence se fait passer pour une victime et le grand public marche dans le panneau! Aveugle et sourd, comme un borné qui ne veut ni voir, ni entendre, il confond le bourreau et la victime qui n'a rien demandé. Celle qui paie les pots cassés. En l'occurrence, les malades seraient les bouc émissaires idéaux du sadisme et du mal-être de certains soignants. Voilà qu'on découvre les gémissements et les plaintes qu'on feint de ne pas discerner du fin fond des maisons de retraite ! A quand la reconnaissance de la perversité comme violence et non comme puissance fascinante et attractive?

Sisi au spectacle

Hier, en regardant d'un oeil distrait Le Grand Journal de Canal Plus, car je veillais sur la bolognaise en gestation, j'ai assisté par procuration au spectacle de Jamel et de sa bande de banlieusards drôles. Enfin, à quelques bribes de spectacle. Car ce qui intéressait l'équipe de Denisot n'était pas tant les vannes des tchatcheurs de l'humour : c'était la visite de Ségolène Royal. Sisi s'était-elle déplacée dans le cadre de sa campagne?
Point du tout! Sisi était venue se détendre. En toute simplicité. Incognito. Du coup, Michel Denisot et les caméras de Canal l'attendaient au sortir de la berline encadrée de gardes du corps. En exclusivité, Denisot s'éclipsa après une chaleureuse poignée de mains, qui en dit long sur l'implication de l'ancien président du PSG dans le succès spontané du Jamel Comedy Club.
Les caméras suivent Ségolène dans la salle de spectacle. Elle est précédée, très détachée, par son attachée en relations présidentiables. Personne ne la remarque au départ. Puis, on se retourne. Sisi! Mais si! Un, deux, dix paires d'yeux fascinés. Ils ne sont pas seuls au spectacle! Sisi est en leur compagnie!
Finalement, les braves badauds ne se gênent plus et prennent carrément des photos de la madone avec leur portable tout neuf. Dès le soir, ils raconteront à qui de droit, amis, parents, enfants, qu'incroyable mais vrai, ils ont vu Sisi au spectacle. D'ailleurs, à présent, Sisi est devenu le clou de la soirée alors que la soirée n'a pas commencé. Provisoirement. En attendant que Jamel et sa bande ne les fassent tordre de rire, les spectateurs s'empressent, pour certains, d'acclamer Sisi, qui, radieuse, agite sa main en geste de remerciement ému.
Puis, c'est le spectacle. Comme Sisi est venue à l'improviste, elle part au milieu des sketchs hilarants. Direction : la loge de Jamel. Histoire de saluer la star beur, le héros des banlieues et des Arabes de France, celuis qui, selon Pierre-André Taguieff, jonglerait de façon inconfortable entre ses amis et mentors, comme Alain Chabat et Gad Elmaleh, et les antisionistes de son entourage, notamment marocains. Ségolène explique que son emploi du temps surchargé l'enjoint de se réveiller aux aurores.
Jamel ne se dégonfle pas et improvise la montée de Sisi sur les planches! La madone, en tailleur blanc cassé et écharpe rose, s'exécute avec bonne grâce. Elle est adoubée par le roi du gag en personne! La salle suit et lui réserve un ovation, d'autant qu'elle s'est pointée en toute simplicité et qu'elle se confond en touchantes grâces de grenouillère de bénitier.
Ça y est, Sisi est partie, Jamel n'a pas manqué d'expliquer qu'il la soutenait et a bien fait attention à ce qu'elle ne tombe pas en descendant les marches de la scène. On ne sait jamais! A quelques mois des élections, ce serait une catastrophe! Qu'il en a de la chance, Jamel : après le versement des pensions aux indigènes de la guerre, grâce au film de Bouchareb, qui a provoqué la stupeur émue de Chirac (le Président ignorait du tout au tout la situation des soldats des colonies depuis la Seconde guerre mondiale), voilà que Jamel rencontre par miracle, de manière fortuite et sans préparation, la peut-être future première femme de France! Quel destin exceptionnel! Jamel serait-il le trait d'union inavouable entre le néo-gaullisme moribond et le néo-socialisme balbutiant dans l'accession aux strapontins téléguidés? Plus que jamais, la France a besoin d'un bon coup de balai!

lundi, février 26, 2007

Nietzsche

On a toujours à défendre les forts contre les faibles.

Approbation

S'il est vrai qu'il faut approuver tout ce qui est réel, je ne trouve pas dans cette morale nietzschéenne (d'autres philosophes ont probablement énoncé la même position, peut-être mieux que lui) un programme d'amélioration de la nature humaine. Du style : comment devenir approbateur en dix leçons.
Contrairement à une opinion répandue, le réel n'est pas soumis à une possibilité de progrès. Car toute chose ressortit du réel en tant que nécessité. Ce postulat implique que le faux n'en demeure pas moins réel. C'est une chose de considérer, avec raison, que Mao était un despote sanguinaire, d'en appeler aux faits innombrables de l'histoire pour dénombrer les millions de morts et les aberrations politiques du Grand Timonier. C'en est une autre de considérer que les choses auraient pu être autrement. Il est évident que tous les intellectuels, artistes et politiciens qui eurent la clairvoyance de défendre le génie politique et philosophique de Mao ne se sont pas seulement fourvoyés. Ils ont montré quelle estime ils portaient à la liberté et quelle hauteur de vue les animait.
Il n'empêche que l'avènement de l'événement Mao, pour faux qu'il sonne, n'en était pas moins réel et nécessaire - tout comme les maoïstes qui crurent améliorer le monde par des théories fumeuses. Lorsque Leys intervient dans l'émission Apostrophe pour démonter le maoïsme et l'homme nouveau de l'impayable Macchiocchi, il n'est pas le premier. Simplement, il est celui qui entérine la réalité de la politique chinoise avec une phrase d'une lucidité totale : « Il est normal que les imbéciles profèrent des imbécilités comme les pommiers produisent des pommes, mais moi qui ai vu chaque jour depuis ma fenêtre le fleuve Jaune charrier des cadavres, je ne peux accepter cette présentation idyllique par madame de la Révolution culturelle. » (je cite d'après Wikipédia).
Il serait vain de s'irriter des absurdités de jugements que l'on estime aberrants s'il était en notre pouvoir de ne pas céder à la colère ou à l'indignation. Heureusement, comme tous les défauts que nous recensons pour mieux nous en corriger, la colère appartient au réel comme la bonhomie ou la pondération. Approuver le réel ne signifie pas qu'on encourage les atrocités et les barbaries, mais qu'on les intègre à la nécessité du réel, tant il est vrai que l'on ne saurait s'opposer à ce qui doit être et ne saurait être autrement. Les changements qui nous paraissent découler de notre libre-arbitre, de notre réflexion et de notre volonté, sont en réalité des événements qui nous enveloppent et nous dépassent.
L'homme moderne occidental éprouverait les pires difficultés à accepter que la démocratie, ce régime font il est si fier, ce régime qui lui garantit une liberté inégalée, réponde au libre cours du hasard et non de la valeur intrinsèque et supérieur des hommes qui firent l'Occident. Hasard qui ne signifie pas chance, mais nécessité, en ce sens que les multiples causes qui sont à l'origine de la démocratie libérale sont la plupart du temps étrangères au pouvoir d'une volonté - si tant est qu'une volonté soit dotée d'un pouvoir vraiment indépendant et personnel. Autrement dit, les hommes même qui firent l'Occident appartenaient à la nécessité, comme les plus brillantes qualités et les plus imperturbables vertus. Voltaire n'est devenu que ce qu'il était, pour parodier Nietzsche.
D'ailleurs, la causalité elle-même pose problème. Car si la finalité se trouve absente du devenir, celui-ci n'est jamais que la ligne de réalisation des seuls points par lesquels passe le réel. Le devenir et le changement ne sont qu'un et ne sont jamais que les conditions d'avènement du réel. Ce que nous prenons pour un bouleversement inattendu, telle révolution, telle invention, telle découverte théorique, n'est jamais que la réalisation de la nécessité la plus implacable. Que pense-t-on de l'invention d'un médicament ou des progrès de la recherche scientifique? Non que l'évolution scientifique n'existe pas, mais que la nécessité de son avènement réponde à de tout autres critères que la réalisation de possibles multiples,différents, voire antagonistes. Le malade qui jouit de la chance d'un traitement efficace estime-t-il devoir ce traitement à sa sagacité ou sa volonté? En réalité, son sort heureux ressortit du hasard entendu comme nécessité et toute chose suit le même cours et la même courbe.
Ce que l'on consent à intégrer pour l'avènement d'un médicament et le sort favorable d'un patient, sauvé à un temps donné alors qu'il aurait été perdu à un autre (cas de la tuberculose aujourd'hui, mais aussi de nombreuses maladies traitées depuis peu) est le caractère qui définit l'avènement du réel dans son ensemble. En réalité, il n'y a qu'un réel et si rien n'est écrit à l'avance, seul ce qui advient pouvait advenir. Le possible est illusoire. Le réel ne saurait être autre que ce qu'il est. Ce que nous prenons pour un changement provoqué par un agent libre du réel sur l'ensemble du réel est en réalité est un changement du réel instillé sans possibilité de choix ou de décision indépendante par le réel lui-même. Le grand homme n'est que l'intercesseur de la nécessité, soit d'un processus aveugle. Si rien n'est écrit à l'avance, tout en revanche est soumis à la nécessité. La grandeur du héros ? Nécessité! La puissance d'une pensée? Nécessité!
Mais aussi bien la médiocrité d'un personnage politique ou d'un écrivain de seconde zone. Le changement est de l'ordre de la réalisation aussi bien que la continuité et la conservation. Tout comme les changements aberrants réussis, les changements pertinents avortés sont du réel. D'ailleurs, si la vérité est le réel, alors ce qui avorte ne pouvait pas plus être autrement que ce qui réussit. Celui se lamente de l'élection de Mitterrand en s'indignant que Rocard n'ait été plutôt élu oublie qu'il appartient à la nécessité et que la nécessité supposait que Mitterrand soit président et Rocard premier ministre. Mao était une nécessité comme les jactances bouffonnes de Tel Quel (de ce point de vue, quand on subit Sollers aujourd'hui, les choses n'ont pas changé). Les valeurs relatives que nous nommons bien et mal trouvent leur nécessité dans le réel. Il est inutile de dénigrer le mal en ce que le mal est aussi nécessaire que le bien. Tout aussi bien faut-il considérer que toutes les représentations, y compris les plus aberrantes, sont nécessaires et que, sans les multiples erreurs qui accompagnent la représentation continue du réel, le réel ne serait pas. Il n'y a qu'une voie pour l'avènement du réel et cette voie passe par la présence telle que nous l'avons connue. Nous aimerions tant répudier le nazisme, en faire l'horizon du Mal indépassable, mais nous ne le pouvons pas. Heureusement! Car sans le nazisme, le réel ne serait pas. Nous aimons nous persuader que c'est la grandeur d'hommes hors du commun, de héros réels, de décisions indépendantes qui ont amené la chute du nazisme. Mais cette chute répondait à la nécessité en tant que tout ce qui guide le réel ne répond qu'à une finalité : celle de la nécessité.
C'est pourquoi je trouve peu de sel à la proposition qui consiste à approuver inconditionnellement le réel et à rejeter le ressentiment et la partition morale. En vérité, avons-nous le choix? A y bien regarder, nous n'avons pas plus choisi d'être tels que nous sommes que de naître et de mourir. Le ressentiment est aussi nécessaire à la marche du réel que la joie ou la tristesse. Ils ne se choisissent nullement. Pas plus que Rosset n'écrit une oeuvre permettant de gagner sain et sauf les rivages de la joie en acquérant la bonne méthode ou la bonne connaissance, l'homme ne saurait éviter la nécessité du ressentiment, du malheur ou de la souffrance si ceux-ci doivent se présenter sur sa route. Ce qui est bien est réel; ce qui est mal n'existe pas. L'illusion comme représentation est bonne en ce qu'elle est réelle. Le critère de la vérité n'est relatif qu'à l'homme. La liberté n'existe pas en ce que la seule puissance qui gouverne le réel, c'est la nécessité.

dimanche, février 25, 2007

Un mal pour un bien

Qui peut dire si ce qui est mal est mal, si ce qui est bien est bien ?
Un mal pour un bien.
Un bien pour un mal.
Le bien n'est jamais où l'on croit.
Il est où l'on croît.

Merci !

Merci à Ben Laden, merci à Khadafi. Merci à Khomeyni et Ahmadinejad (ça y est, je parviens à l'écrire!). Merci à Castro et au Hamas. A Nasrallah et à Carlos. A Hussein et à Chavez. Merci à Ramadan et Bové. Merci aux mythes sulfureux : Malcom X et Che Guevara. Merci, mille mercis!
Tous ont contribué à forger l'idéal du monde impossible, soit l'appel à la destruction massive de ce monde-ci. On a souvent tendance à condamner le terrorisme au motif qu'il se résumerait au désir de destruction. C'est vrai. Aucun des glorieux noms sus-mentionnés ne serait capable de présenter un programme digne de ce nom pour contrer la force de frappe du monde occidental.
Comment expliquer dès lors le prestige dont jouissent ces illustres personnages auprès des déshérités? Si Hitler ou Staline, bientôt Mao, se trouvent si stigmatisés, c'est qu'ils ont eu la funeste occasion d'appliquer leurs idéologies strictement contestataires. D'où les millions de morts : car la contestation pure n'a à proposer que la destruction.
Voilà pourquoi certains tyrans sanguinaires bénéficient de jugements plus modérés : cas de Pinochet ou de Khadafi, qui ont su, de la plus ambiguë des manières, associer les bienfaits indubitables aux crimes les plus odieux. Dans tous les cas, ces héros sont ceux de la haine et ont pour particularité d'être des nons dénués de toute potentialité de ouis.
Pourquoi disent-ils ainsi non avec une constance qui n'est pas sans inquiéter? Quel est l'intérêt de dire non quand on peut dire oui? Est-on haineux parce qu'on naît haineux? Que nenni! L'explication de la haine destructrice par une erreur d'aiguillage n'est pas suffisante. Elle suinte de suffisance. Car ces héros sont les héros des déshérités parce que les déshérités de la terre éprouvent le besoin de hurler leur désespoir profond.
L'Occident a feint de ne pas comprendre la raison des attentas du 11 Septembre, la raison de la haine qui s'exprime avec une rage folle contre l'Occident. Comment des sains d'esprit peuvent-ils concevoir tant de détestation de la démocratie, des Droits de l'Homme et de la liberté tous azimuts, qu'aucun régime dans l'histoire de l'humanité n'a jamais garantis avec autant de cohérence et de rationalité? Les déshérités auraient-ils contracté quelques terribles maladies pour que leur jugement soit faussé à ce point?
Je crains malheureusement que la vérité soit si simple que l'Occident refuse de la voir. Il suffit de voyager un peu pour en mesurer les sombres augures. C'est que l'Occident est l'adepte politique du deux poids deux mesures. A l'intérieur de ses terres, la pax democratia. A l'extérieur, l'impérialisme le plus hypocrite, l'asservissement des peuples à ses visées hégémoniques. Le mal au nom du bien, en somme. La vieille ritournelle.
Il faut croire que les choses ne changent guère, que le réel demeure le réel - quoi qu'il advienne. En tout cas, l'évolution du totalitarisme vers la démocratie n'est effectif qu'à l'intérieur des terres occidentales. A l'extérieur, c'est le totalitarisme qui prospère, avec la bénédiction tacite de l'Occident! Inutile d'énumérer les motifs du désespoir qui secoue le monde. Les peuples, qui sont tout sauf imbéciles, en ont assez d'endurer l'hypocrisie, d'être les bouc émissaires d'une situation où les Etats continuent d'entretenir leurs rapports favoris entre eux, des rapports totalitaires. Il est plus facile de dialoguer sur la base de la force que de la liberté.
Si l'on récapitule, le 11 Septembre et tous les événements violents qui lui sont connexes sont parfaitement intelligibles. Ce sont des appels au secours où le monde essaie (en vain pour l'instant) d'interpeller l'Occident sur la question de la justice et du partage des richesses. Les sacrifiés en arrivent à une telle souffrance que certains n'hésitent pas à se suicider pour ne plus supporter la situation qui perdure et qui pourrait évoluer rapidement - en un siècle tout au plus, bon an mal an. Plus que jamais, les martyrs portent témoignage.
W. s'est plaint de l'injustice qui était faite à l'Occident et à l'Amérique. Pourquoi détestait-on à ce point le Bien? La réponse coule de source : c'est que le Bien n'est pas beau à voir. Jamais. La fiction contient ses frictions. L'envers du décor révèle de sinistres perspectives. Ce n'est pas les Afghans qui prétendront le contraire. Depuis trente ans, ils sont le réceptacle des maux du monde : hypocrisie, fanatisme et violence. Ben Laden n'a pas frappé depuis l'Australie, n'est-ce pas? Il s'est installé au pays des talibans et de Massoud, des défunts Soviets et de la CIA, pour contracter une dette d'honneur à l'égard de sa terre natale, celle-là même qui joue un jeu si trouble avec l'Occident (je t'aime, moi non plus).
Tout un symbole. De ceux dont l'histoire (r)affole. Ben Laden fut-il la cause nécessaire pour que les manipulations de la CIA et de ses affidés, de l'Occident et de ses mouvants alliés, soit les despotes un jour éclairés, le lendemain éteints (une pensée pour Saddam), éclatent au grand jour? Plus que jamais, merci Oussama! Le monde avait besoin de tes méthodes sanguinaires! Inch'Allah!, comme s'exclament les sages!

Doc from the bloc

Sur Dailymotion, on peut contempler avec délice (puisque la violence est le vieux fond de commerce qui unit dans un pacte faustien les médias aux spectateurs) l'altercation qui oppose Doc Gynéco à deux animateurs de la station de radio Oui FM. Doc Gynéco? Bruno Beausir, plutôt, puisque c'est le citoyen qui s'est engagé en politique aux côtés de Nicolas Sarkozy.
Dans sa débauche débridée d'insultes, de force forcenée et de virilité banlieusarde, Beausir est indéfendable. Surtout que ses exigences semblent en total décalage avec celles des animateurs, qui, tout de même, font l'émission (ou sa parodie). Peut-être ceux-ci se sont-ils montrés un tantinet arrogants, mais le personnage que s'est constitué Beausir dans les médias (Doc) n'est pas vraiment un modèle d'humilité et de sagesse.
L'intérêt de cette vidéo balancée sur Internet, c'est qu'elle permet de casser définitivement la carapace que s'était forgée Beausir à la télévision : look de rasta chanvré, de dragueur impénitent, de superdésinvoilte supernihiliste. En réalité, Beausir est un vrai nerveux, qui n'aime pas qu'on lui parle mal, qu'on lui marche sur les pieds et qui profère des menaces de mort (symboliques il est vrai). Je le répète, il n'est pas question de réhabiliter Beausir : simplement de constater que les méthodes arrivistes et cyniques fonctionnaient quand il usait de l'étiquette de rappeur et qu'elles engendrent le scandale quand il s'engage en politique (avec une cohérence que j'admire personnellement, car il est le premier rappeur à assumer son statut d'ultracapitaliste frustré).
Si Beausir est à cran, si Beausir crève l'écran, s'il a passé sa rage et sa colère sur deux animateurs de radio, s'ils ont pris pour les autres, en bouc émissaires faibles et démunis, pour ceux de la télévision, ceux dont l'aura médiatique interdit l'agression physique, c'est que Beausir est en contradiction avec l'exigence médiatique qu'il avait jusqu'à présent manifestée. Le marché de dupes qu'il avait contracté de manière tacite et classique avec la société était simple et terrifiant : je vous donne ce que vous attendez et vous me donnez en échange ce que je souhaite. L'image d'un rappeur décadent contre de l'argent sonnante et de la notoriété trébuchante (et ce qui va avec : les femmes).
Beausir acceptait très bien qu'on réduise le Noir au sous-prolétaire prenant toutes les situations de la vie à la rigolade, stupide, mais gentil, tant que la situation l'arrangeait. Il se trouve que son pari médiatique (je n'ose dire : artistique) tourna rapidement court, comme c'était prévisible. Même si les rappeurs refusent la comparaison avec les défunts boys bands, il faut bien avouer qu'ils surfent sur la vague ultraconsumériste et que leur longévité ne dépasse jamais la paire d'années.
A présent que le rap vend de moins en moins, Doc était en voie de ringardisation. Allait-il réapparaître dans quelques années avec le sourire désuet d'un nouveau Dick sans tournée? Pour se recycler, il avait bien essayé de vendre quelques mannequins du porno promo, mais personne ne suivait l'impulsion qu'il essayait de relancer. Doc n'était plus dans l'air du temps. Docte et docile, Doc a donc dégainé sa dernière cartouche. Il s'est lancé en politique. Chacun sait qu'à l'heure actuelle, la politique flirte dangereusement avec le show business. A-t-il assumé le choix du coeur, ce qui ne manquerait pas de panache, à l'heure où un rappeur se doit être d'extrême-gauche, au moins de gauche, pour entrer dans la caste des brailleurs qui sont dans la place?
S'est-il laissé embrigader par les appels de pied du pouvoir économique, cette tête d'affiche Sarkozy ami des médias et des consortiums, ainsi que nous le serine la veille rengaine des contestataires lucides? Toujours est-il que le traitement que subit Beausir à l'heure actuelle en dit long sur la qualité des hommes qui représentent les médias. Ceux-ci feignent de découvrir, derrière le clown défoncé et la marionnette abjecte, l'homme impulsif et teigneux. Ô hypocrites impayables et impavides! Ignoraient-ils cette vérité comme celle du dopage ou de la télé-réalité!
C'est dire leur bonne foi et le mépris qu'ils affichent pour leurs produits d'appel! Après l'épisode navrant du Sevran confondant et confondu, aucun citoyen n'ignore plus que les gens de télévision ne lisent pas les livres qu'ils promeuvent à grands renforts d'hyperboles et d'envolées grandiloquentes. Le lynchage que subit Beausir pour prix de son soutien à Sarkozy, de la part des mêmes vautours qui encensaient le chanteur pour midinettes de bluettes nihilistes et mièvres, l'apologète de la drogue inoffensive et de la pornographie attractive, constitue le plus sûr indice de la corruption. Moins celle économique que la gangrène morale qui s'est emparée de nos prétendants autoproclamés à la représentation : gens de télévision, de radio ou de journaux. Ne reste plus qu'à imaginer le pied de nez ultime d'un grillé à ses pyromanes funèbres : le retour du Doc en producteur de Jennifer Lopez. Génie from the bloc!

samedi, février 24, 2007

Le plus petit dénominateur commun

En jaugeant des différentes solutions proposées pour résoudre les problèmes humains (soit les accomodements à l'imperfection constitutive du réel), l'homme serait-il attiré, tel un papillon rivé sur son néon, par les sens les plus simplistes, les plus évidents et les moins efficaces - a fortiori en temps de crise?

vendredi, février 23, 2007

Manifeste islamiste

Voici ce que je lis dans Le Monde d'aujourd'hui.

Les jeunes musulmans doivent pouvoir porter la barbe à l'école, les jeunes filles revêtir le foulard islamique pendant tous les cours, y compris ceux d'éducation physique, les étudiants doivent pouvoir être dispensés des leçons d'éducation sexuelle. Telles sont quelques-unes des demandes faites par le Conseil musulman de Grande-Bretagne (MCB), la principale organisation représentative des 1,6 million de musulmans qui vivent dans le royaume.

Dans un document de 72 pages rendu public le 21 février, le MCB demande au gouvernement de permettre aux 400 000 jeunes musulmans d'exprimer plus librement leurs pratiques religieuses dans les écoles publiques, où 96 % d'entre eux étudient. Les autres fréquentent des écoles privées, ou l'une des cinq écoles d'Etat musulmanes. Le MCB regrette que certaines écoles n'aient pas été "réceptives aux revendications légitimes et raisonnables des parents et des enfants musulmans quant à leurs préoccupations dictées par la foi".

Le document du MCB tient à la fois du catalogue de recommandations et du cahier de doléances. Son importance politique découle de l'influence du MCB. Cette organisation, fondée en 1997, chapeaute plus de 400 associations religieuses, culturelles, sociales et professionnelles musulmanes. Elle veut parler au nom de la principale minorité religieuse du Royaume-Uni. Le gouvernement de Tony Blair a fait du MCB son interlocuteur musulman privilégié, notamment depuis les attentats de Londres en juillet 2005.

Le MCB souhaite que garçons et filles puissent exprimer leur fidélité au concept musulman de haya ("pudeur") dans leurs tenues vestimentaires. Les étudiantes doivent pouvoir être coiffées à tout moment du foulard islamique ou revêtir le jilbab, une longue robe qui descend jusqu'aux chevilles. Le MCB ne dit pas un mot du niqab, le voile intégral qui ne laisse apparaître que les yeux. Lors des cours d'éducation physique, le MCB recommande aux élèves de porter un survêtement, et aux jeunes filles de se coiffer du foulard islamique "en le nouant d'une manière sûre".

La mixité doit être exclue des sports collectifs impliquant des contacts physiques, comme le football et le basket-ball. Le MCB demande que les élèves puissent se changer dans des cabines individuelles, et non en groupe, et qu'ils soient dispensés de douche après le sport si celle-ci expose leur corps à la vue des autres enfants, car "l'islam interdit d'être nu devant les autres ou d'apercevoir la nudité des autres". Les leçons de natation enseignées aux garçons et aux filles ensemble sont "inacceptables pour des raisons de décence, aux yeux des parents musulmans".

Si l'école ne peut séparer les sexes, les enfants doivent pouvoir être dispensés de ces cours. Même chose pour les leçons de danse, cette dernière n'étant pas "une activité normale pour la plupart des familles musulmanes". La danse, souligne le MCB, "n'est pas compatible avec les exigences de la pudeur islamique, car elle peut revêtir des connotations et adresser des messages sexuels".

L'éducation sexuelle, obligatoire dans le secondaire, doit, selon le MCB, être enseignée aux élèves par des professeurs du même sexe. Le recours à des objets ou à des "schémas représentant les organes génitaux" pour illustrer des leçons sur la contraception ou sur les préservatifs est "totalement inapproprié, car encourageant un comportement moralement inacceptable". Les écoles doivent prendre en compte "les perspectives morales islamiques".

La publication du manifeste du MCB a suscité une mise au point du ministère de l'éducation. Ce document, a-t-il déclaré, ne cadre pas avec "le code de conduite" officiel en vigueur dans les écoles publiques, et n'a donc "aucun caractère obligatoire". Un porte-parole du syndicat des chefs d'établissement a critiqué "cette liste de demandes" qui risque de provoquer "un retour de manivelle".


Après cette stupéfiante liste de revendications, dont les citoyens britanniques ne manqueront pas de goûter l'innovante nouveauté, il est patent, pour ceux qui en doutaient encore, que l'islamisme (rien à voir avec l'Islam, heureusement) possède une emprise inquiétante sur les conceptions que certains musulmans se font du monde ou de la vie. Impliquer Dieu dans d'aussi nauséabonds caluculs géostratégiques ou politico-politiciens est une supercherie à laquelle je ne me risquerais pas. Tel serait, en effet, le véritable blasphème...
Si l'on ne sombre pas dans le piège des supertolérants de l'Occident, en fait doux moutons serviles fascinés par la violence (ou eux-mêmes violents, ce qui est plus rare), la lucidité élémentaire commande de considérer cette liste de récriminations pour ce qu'elle est. Il est toujours drôle de constater à quel point certains esprits étroits et chagrins se réclament du relativisme culturel pour excuser n'importe quelle différence de coutume. Ces mêmes apôtres du relativisme culturel se rendent-ils compte qu'ils versent dans l'extrémisme pour rapporter tout problème au dénominateur accomodant de la relativité passe-partout? Si le propre d'une convention est d'être arbitraire, il est certain que toutes les valeurs charriées par les différentes coutumes ne se valent pas. Aucun individu sain ne se risquerait à encourager la pratique de la pédophilie ou de l'excision. Ce sont pourtant des coutumes répandues et approuvées dans certaines régions du globe.
Où l'on voit que la fameuse pensée de Pascal ("Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà"), elle-même inspirée de la lecture de Montaigne, trouve sa limite dans le réel... et dans Montaigne lui-même! C'est un fait de remarquer, avec justesse, que la justice n'est pas de ce monde et qu'en conséquence aucune loi ne saurait se réclamer d'un fondement objectif et scientifique. C'en est une autre de déduire de cette relativité que toutes les lois se valent et qu'aucun jugement ne peut en départager la valeur (variante culpabilisatrice : au nom de la critique pertinente de l'esthnocentrisme, on réhabilité toutes les coutumes qui ne sont pas occidentales).
Il est des coutumes simplement différentes - je veux dire équivalentes. Manger avec ses mains ou avec une fourchette, la pratique ressortit de la différence simple et équivalente! Idem pour les coutumes vestimentaires : est-il préférable de se vêtir d'un jean que d'une djellaba ou d'un boubou - par exemple? Les choses se compliquent quand on aborde le sujet du voile. A en juger par l'ampleur de la polémique, ce n'est pas la même chose de se vêtir d'un pagne ou d'un voile.
L'uasge du premier vêtement découle d'une coutume simplement arbitraire, le recours au second possède un sens manifeste. En l'occurrence, il s'agit de signifier que la femme doit se cacher le visage (plus ou moins) et se dissimuler le corps (là aussi plus ou moins) pour ne pas éveiller le désir masculin. Cette théorie n'est nullement spécifique à la pensée islamiste (les sectateurs qui se fondent sur l'Islam pour légitimer leurs réclamations sont des surinterprètes, soit des traîtres).
L'Occident (notamment) s'est trouvé confronté à ce type de proposition morale et y a répondu depuis longtemps. C'est dire que les islamistes, s'ils surfent sur la vague embarrassante de la différence et, bientôt, du racisme, en cas de désaccord, sont les modernes représentants d'une conception vieille comme le monde.
Problème : si la séparation des sexes, le voile et consorts, sont des réclamations antérieures à l'Islam lui-même, également au monothéisme, leur imputer une origine divine relève d'un fantasme particulièrement fallacieux. L'histoire (élémentaire) de l'Islam révèle que ce genre de revendications est particulièrement prégnante depuis que la colonisation a menacé avec tant de violence l'identité musulmane (identité multiple et éclatée). On remarquera d'ailleurs que les moeurs varient selon les traditions et que le voile se porte différemment, voire pas du tout, selon que l'on se trouve en terre chiite, chez les wahhabites saoudiens, les conservateurs marocains, les syncrétiques indonésiens.
Autre problème : Montaigne a édicté, avec sa sagacité coutumière, le grand critère qui permet de départager le bien du mal en matière de valeurs. C'est la violence. L'excision est violence et, à ce titre, ne constitue pas une coutume bénéfique, quelles que soient les bonnes raisons qui ont présidé à son évènement et sa perpétuation. Au passage, je remarque que le principal motif qui explique l'extrême difficulté à délimiter la ligne de partage entre ce qui est bien et ce qui est mal tient surtout à l'absence de fondements moraux. Toute valeur, même la plus abjecte, possède d'excellentes justifications pour légitimer sa validité. Le nazisme ne prétendait-il pas sauver le Reich de la catastrophe? Kant n'a-t-il pas montré que l'existence de Dieu ou sa non-existence se démontraient tout aussi rationnellement ?
Cette difficulté à édicter la fragile et ténue ligne de démarcation se renforce d'autant d'impuissances rationnelles que la valeur se présente sous un visage ambiguë. Face à l'excision, l'opposition à la violence permet d'opposer une interdiction forte et dont les fondements sont précis et incontestables. L'excision n'est pas défendable, pas plus que la prière n'est condamnable - à moins d'appartenir à une clique d'athéisme extrémiste et forcenée. Comme par hasard, les islamistes, qui savent très bien ce qu'ils font, interrogent les fondements trop humains des lois occidentales sur leurs positions ambiguës. S'ils revendiquent le port du voile à l'école ou l'interdiction de la mixité dans les piscines, ceux qui se risquent à prôner la lapidation des femmes adultères sont beaucoup plus rares. C'est qu'ils savent d'avance qu'il est plus malaisé de démontrer la violence tapie au coeur du voile que celle qui préside à la lapidation.
Selon Cornelius Castoriadis, et peut-être avant lui d'autres esprits plus illustres, la démocratie athénienne traduit la mutation qui traverse l'institution des lois. Auparavant, les lois humaines avaient besoin de la caution divine pour trouver leur légitimité et leur sens. A partir de cette (rév)évolution capitale, les hommes assument leur rôle de fondateurs à l'origine de leurs propres lois. Ainsi Solon décréta-t-il, avec une sagesse qui fit sa réputation postérieure et proverbiale, que les classes moyennes étaient le ciment de la société.
Cette innovation fait la force et la faiblesse de la loi. En perdant la caution divine, la loi gagne en faculté d'adaptation. Il est certain que l'islamiste persuadé que le port du voile a été révélé par Allah à Mohamed (je schématise) ne saurait changer de conception, y compris si de sérieux doutes l'assaillent. Au contraire, le rationaliste critique se fonde sur l'expérience et les résultats qu'elle produit pour juger de la valeur d'une loi ou d'une coutume sur une autre. C'est sans doute ce qui explique les changements intervenus dans le monde chrétien des Lumières, de l'humanisme et de la Renaissance concernant le politique (avec la démocratie ou le féminisme).
Les avancées qu'a produites l'esprit critique discréditent moins l'existence de Dieu que son intervention dans les affaires humaines (par le biais de la révélation, qui, de toute manière, pose le problème de sa compréhension et de son contexte). L'expérience ne remplace pas la certitude. Le rationaliste ne peut pas substituer avec avantage à l'impressionnante caution divine sa bonne foi critique. Il pourra mettre en avant les résultats positifs de la démocratie sur la société pour arguer de la supériorité de son modèle politique. Mais l'islamiste (notamment) aura beau jeu de lui rétorquer que la différence est la différence, et qu'en l'occurrence, cette différence émane de Dieu. Rien de moins!
Je soupçonne fortement ce type d'entêtement fanatique de découler du besoin de certitude que n'autorise nullement l'esprit critique. L'homme critique ne fonde la certitude sur aucun fondement. Le sens est toujours relatif à une situation. L'homme est la mesure de toute chose, a énoncé Protagoras. La reconnaissance de l'incertitude n'est pas l'apologie du chaos et de l'anarchie.
Ce serait plutôt le contraire : la reconnaissance du chaos originel (le désordre précède l'ordre) permet l'édification de l'ordre humain le plus pérenne. C'est du moins ce que semble signifier le progrès des sociétés critiques. A l'impossible nul n'est tenu! Si l'esprit critique augura de la possibilité de progrès substantiels, il ne garantit nullement le passage de l'imperfection (même pérenne) à la perfection. Ainsi que le remarque le père du libéralisme classique, Adam Smith, la rationalité n'est pas capable de réguler la complexité abyssale d'une société humaine.
C'est à cette nécessaire imperfection que recourent les contestataires de tous poils pour valider leur alternative. Comme le remarque Clément Rosset dans un entretien accordée à Lire, les progrès des sociétés humaines ne porteront jamais que sur l'éclairage municipal ou la guérison du cancer - jamais sur la mort ou le temps. L'efficacité des traitements thérapeutiques représente une avancée décisive, surtout pour les malades, mais la donne ne change pas l'essentiel, sur lequel portent le besoin forcené de certitude et de perfection.
Malheureusement, la quête de certitude implique l'illusion forcenée. La désillusion engendre l'incertitude. Les islamistes ne sont que le symptôme d'une époque qui a assassiné Dieu (voir Nietzsche) et ne l'a jamais remplacé. Les islamistes proposent de la certitude en échange de la restauration du Dieu de leurs traditions, le Dieu garant de l'ordre et du sens en échange de la violence comme phénomène du bouc émissaire.
C'est tout le problème de la modernité : d'avoir remplacé l'ancienne violence par une nouvelle, plus diffuse, qui correspond à la concurrence poussée à son paroxysme et dans ses retranchements (le capitalisme comme alternative au totalitarisme de droit divin, si je puis dire). Ce n'est pas le lieu de décider ici de l'alternative la plus performante sur le long terme. Car s'il est certain que l'ordre démocratique a apporté une amélioration perceptible à court terme, il n'est pas certain que ce modèle soit viable sur la durée. Il n'est qu'à constater les résultats écologiques inquiétants auxquels le capitalisme de masse a accouché pour constater que la mondialisation exige de substantielles changements de direction politique.
Évidemment, la question du voile ou de la mixité que posent les islamistes porte en elle les germes du décalage réactif. Car l'Occidental contemporain ne peut comprendre la résurgence de valeurs qu'il a combattues et dont il mesure la nocivité rétroactive et quasi anachronique. Il est évident que le voile, ce fameux concentré rance de polémique, ce télescopage entre l'ancien et le nouvel ordre, traduit la volonté de cacher l'identité (le visage) de la femme au motif qu'elle doit être protégée et que son honneur réside dans sa pudeur.
Il serait intéressant et instructif de mesurer le détournement permanent de concept que l'islamisme instille. Fort d'une rhétorique bien connue, il s'agit de conférer une connotation positive (pudeur par exemple) à un phénomène nettement moins glorieux (la pudeur excuse le machisme), qui tient dans la légitimation de la violence bouc émissarisée. L'imperfection du désir trouve son exutoire providentielle. Sa part de violence rejaillit sur la femme, qui n'est autre dans la situation de conflit que le bouc émissaire à l'incompréhension entre les sexes (que d'autres, à l'instar de Nietzsche, nommèrent guerre entre les sexes non sans quelque raison).
Le voile résout le problème du désir par la bouc émissarisation de la femme, soit du terme le plus faible (dans l'immédiat!) de la relation. Les velléités de réglementation prohibitionniste en matière de mixité (les hommes avec les hommes, les femmes entre elles) participent de la même conception. Nul besoin d'y revenir. Où l'on voit que le débat que pose l'islamisme n'est guère porteur d'intérêt et de nouveauté pour le débat moderne et l'adaptation aux défis du futur. Tout son intérêt tient dans le problème de la certitude qu'il pose en interrogeant les fondements fragiles de la raison. Il va falloir que l'homme moderne remplace l'assassinat de Dieu, ce fondement atavique et multimillénaire, par l'adjonction d'un sens équivalent, adapté aux préoccupations de l'époque. La vérité n'est pas morte. Plus que jamais, sa crise provisoire révèle l'ampleur de sa profonde mutation.

jeudi, février 22, 2007

La reconnaissance

Récemment, Nicolas Delon, responsable de l'Atelier Clément Rosset, m'a reproché, à propos d'une critique de la critique (littéraire), d'être haineux et mesquin. Pour la mesquinerie, je ne sais, mais pour la haine, je le prends comme un compliment! Tout écrit à visée polémique ne saurait échapper à son étymologie. En l'occurrence, la guerre. Faire la guerre à son époque est le but explicite de la satire. Si l'on en croit Wikipédia, l’objet de la satire est de ridiculiser son sujet (des individus, des organisations, des États…), souvent dans l'intention de provoquer ou prévenir un changement. Selon le petit Robert, le sens moderne et courant est : « Écrit, discours qui s’attaque à quelque chose, à quelqu’un, en s’en moquant ».
Moi, ce genre de définition me convient tout à fait. Du coup, je ne ressens même plus le besoin de me réclamer de glorieux aînés comme Horace, Juvénal ou Boileau pour creuser mon sillon. Ridiculiser les enflures de la modernité est un passe-temps qui me charme et m'enchante. Le seul bémol éthique que j'inscris à ma Charte du Polémiste Satirique est de ne jamais attaquer les personnes en tant que telles (dont d'ailleurs j'ignore la plupart du temps tout). Je peux certes m'en prendre à tel ou tel événement privé, mais à condition qu'il fasse sens et qu'il appartienne au domaine public (ce qui implique une certaine contradiction).
Quant à la qualité de la polémique que j'instille, désolé, ce n'est pas à moi d'en juger. Pas plus que le goûteur, je ne saurais être à la fois juge et partie, sans quoi je me retrouverais, ainsi qu'Obélix chez Cléopâtre, goûteur dégoûté. Je retiendrai plutôt la signification d'ordinaire très négative que l'on accorde à la haine. Non qu'on méprise la haine comme un sentiment de peu sde cas, mais qu'on en redoute plutôt la puissance menaçante.
On a tendance à assimiler le haineux (au moins en son sens le plus inquiétant) au meurtrier. Cas de tous les tueurs en série, mais cas aussi de Platon, qui, selon Diogène Laërce je crois, projeta de brûler tous les écrits de Démocrite pour qu'il n'en subsiste plus de traces. Comme toujours, le projet crapuleux s'augure des meilleures intentions : en l'occurrence, il s'agit d'épargner à la société la contemplatoin d'idées pernicieuses et blasphématoires.
Il me semble que je ne verse pas dans la pente dangereuse de la censure, ni, d'une manière plus générale, dans le penchant homicide qui consiste à faire disparaître les aspérités du réel qui en rendent l'expérience maliasée, sinon impossible. Dans ce cas, la haine peut être à bon droit considérée comme universelle et dangereuse. Car c'est la même chose que de souhaiter la disparition totale du réel et sa transformation partielle (et partiale). Le terroriste sait trop bien qu'en exigeant la disparition d'un certain objet, il (ab)use d'un prétexte. L'objet incriminé correspond en fait au bouc émissaire provisoire de son intention exterminatrice, bientôt remplacé par un autre, dans un cercle vicieux indéfini, pour satisfaire tant bien que mal les exigences de sa rancœur personnelle. Cette haine homicide est impossible en ce que le réel ne saurait accoucher d'une disparition - tout au plus d'une modification infime et infinitésimale.
A l'opposé, le ressentiment consiste moins en la faculté de destruction qu'en l'impossibilité de réagir à quoi que ce soit, y compris au plus venimeux (ainsi que l'énonce Clément Rosset dans ses Notes sur Nietzsche). L'homme du ressentiment est le faible par excellence, celui dont le miel cache le fiel, que certains événements fâcheux ou contraires (ainsi que les vents) se chargeront de révéler - à son corps défendant, il va sans dire.
Contre le ressentiment, on attend de l'homme de la joie qu'il se montre d'un assentiment total envers le réel. Autant dire qu'on exige de lui l'impossible par excellence. Si la haine est le fait de dire toujours non, ainsi que la poupée de Dutronc, la joie reviendrait à dire constamment oui. Reste cependant à concevoir la nature de ce oui. Accepter tout du réel supposerait en effet qu'on accomplisse trait pour trait le programme du ressentiment, soit le fait de ne pas réagir.
S'ériger en jugement, affirmer ce que l'on aime ou n'aime pas, est plus un pari risqué qu'un signe attentatoire contre le réel. Il y a loin entre la volonté de destruction et la volonté d'évaluation. Entre-t-il de la haine dans cet acte critique? Sans doute. Je définirais pour ma part cette haine comme la violence qui consiste à entériner le fait que le monde soit, pour l'homme et pour lui seul, si imparfait.
Il n'entre dans l'intention satirique aucun désir d'améliorer le monde, mais plutôt d'en faire l'inventaire et le partage entre ce qu'on aime et ce qu'on goûte moins - voire ce qu'on déteste franchement. On remarquera que la détestation n'engendre nullement la volonté de disparition. Pas même celle de modification. Car le réel est suffisamment grand pour se débrouiller seul sur ce plan (et sur tous les autres). Si modification il y a, elle ne découle nullement de l'initiative indépendante et solennelle d'une bonne (ou mauvaise) volonté.
Toute polémique se trompe lourdement si elle estime inspirer le changement. L'inverse est vrai (et nettement moins glorieux). C'est le changement qui l'inspire, avec tout ce que ce terme comporte de mystérieux. La satire est sans doute un témoignage divertissant et pimenté sur une époque. Il est certain que la différence entre une bonne et une mauvaise satire tiendra à la pertinence des jugements effectués.
L'important à mes yeux est d'opérer le lien entre l'intention polémique et l'amour du réel, étant entendu qu'on peut aimer le réel et le manquer à l'occasion. A l'impossible, nul n'est tenu! L'échec appartient aussi à la tragédie de la représentation, qui ne revient au mieux qu'à apporter un correctif imparfait à une myopie d'importance - autant dire une rustine à une crevaison carabinée. L'amour ne consiste nullement à tout approuver du réel, mais à reconnaître son existence, y compris et surtout dans les penchants que l'on estime les plus détestables. Ce n'est pas un hasard si la critique comme évaluation rejoint la critique comme dénigrement. Pour ce faire, il faudrait que le réel ne soit pas le réel, mais rejoigne l'idéal tel du moins que l'homme se le figure (avec haine et intention destructrice, cette fois). Celui qui prétend tout aimer du réel est moins un amoureux transi qu'un impénitent réactif. Manifester de la haine à l'occasion est le plus sûr moyen d'accéder à la reconnaissance du réel.
Il serait temps de s'autoriser à faire son miel de l'imperfection de toutes choses. Le droit à la détestation est le sentiment qui permet non seulement d'accepter le réel tel qu'il se présente, mais de surcroît d'en ordonner l'évaluation subjective. La polémique est ainsi la reconnaissance de l'existence dans sa généralité et sa singularité. Se donner les moyens de critiquer, même sévèrement, implique en effet qu'on ne dénie à aucune chose son droit à la présence.
Quel est le plus difficile devoir de l'existence? Accepter le réel sans recourir à d'ingénieux artefacts pour n'en pas distinguer les aspects trop douloureux ou cruels. Où l'on constate que la haine prêtée à la visée polémique diffère grandement de celle qui conduit à la destruction ou au fantasme de destruction. Dans le second cas, la haine poursuit l'illusion de l'absence. Dans le premier, elle réalise les conditions d'avènement et de manifestation de la présence.

Nom de noms !

Bergson, Husserl, Alain, Cassirer, Heidegger, Sartre, Arendt, Jaspers, Beauvoir, Camus, Merleau-Ponty, Wittgenstein, Popper, Quine, Carnap, Levinas, Jankélévitch, Tarski, Moore, Russel, Frege, Mach, Boltzmann, Hilbert, Aron, Merleau-Ponty, Deleuze, Derrida, Marcel, Bachelard, Foucault, Lyotard, Henry, Searle, Peirce, Anscombe, Adorno, Horkheimer, Marcuse, Benjamin, Jünger, Lévi-Strauss, Kojève, Ricœur, Marion, Lacan, Foucault, Althusser, Blanchot, Nancy, Lacoue-Labarthe, Althusser, Revel, Agamben, Cacciari, Vattimo, Tugendhat, Sloterdijk, Ortega y Gasset, Zubiri, Marías, Axelos, Dragomir, Dreyfus, Cavell, Rorty, Taylor, Patocka, Cioran, Girard, Rosset, Conche, BHL, Ferry, Comte-Sponville, Onfray, Guattari, Baudrillard, Sollers, Serres, Vuillemin, Bouveresse, Bourdieu, de Unamuno, Jonas...
J'arrête là ma litanie. J'ai fait mon maximum : à peu de noms près, figurent sur cette liste tous les philosophes ou penseurs (ah!, j'oubliais : Bataille) que l'on m'a indiqués comme majeurs et incontournables pour ce siècle dernier. Soit quatre-vingt six (si du moins j'ai compté correctement). Il est certain que j'en ai oublié. Dans quelques siècles, combien resteront-ils? Une poignée tout au plus. Dans ce cas, pourquoi cette prolifération ? Que cherche-t-on à nous faire croire dans tous ces manuels, séminaires ou essais dédiés à la pensée du vingtième siècle?
Dans le Guide du routard 2006 Poitou-Charentes, parmi les illustres personnages de la région, en attendant que Royal rejoigne le Panthéon des gloires locales, entre Miterrand et Monnet, Vigny et Zola, Simenon ou La Rochefoucauld, on trouve Descartes en bonne place. La mention de ce philosophe n'est certes pas criticable. Sans nul doute, il fait partie de la grande et haute tradition philosophique, qui de Platon à Bergson a produit la quintessence de la pensée occidentale.
Je tiquai davantage en tombant sur Michel Foucault (rien à voir avec le présentateur, l'inénarrable Jean-Pierre). Les auteurs nous le présentaient carrément comme le plus grand philosophe du vingtième. Bigre! Ficht(r)e! Grâce au Routard, je me voyais tiré d'embarras. J'étais enfin en mesure de désigner le philosophe des philosophes, celui qui avait dit qu'un jour peut-être, le siècle serait deleuzien (je cite de mémoire)! Foucault et Deleuze... et pourquoi pas Derrida? Je tenais le trio des grands philosophes qui resteraient. Tous français, cocorico!
D'ailleurs, un autre grand philosophe, tellement philosophe qu'il en était devenu de la dynamite, j'ai nommé Toni Negri, n'avait pas hésité à déclarer, lors d'un colloque organisé par France-Culture à la mémoire de Deleuze, que Foucault et Deleuze étaient les deux plus grands philosophes de tous les temps. EUREKA !!! Qu'étais-je chanceux d'être né dans ce siècle béni parmi les bénis, qui avait eu l'heur d'accueillir avec une rare prodigalité les deux plus grands Philosophes du Monde! Il faudra que je songe à me recueillir à l'Université de Vincennes un de ces quatre : l'enceinte n'a-t-elle pas accueilli en ses saints murs les pensées des pensées, celles qui marqueront l'Histoire à n'en pas douter (tiens : Castoriadis, quatre-vingt sept)?

dimanche, février 18, 2007

Le Phénix est un phénomène!

Découverte capitale pour les mythologues : le Phénix, cet oiseau universel, se manifeste toujours sous le plumage du phénomène. J'en veux pour preuve la nouvelle et incroyable renaissance de Ronaldo au Milan AC. Indésirable au Real de Madrid, où Capello n'en voulait plus, avec la mauvaise foi qui le caractéristise et qu'il tient peut-être de l'ombre de Raul l'ombrageux, Ronaldo, pour sa première titularisation milanaise, marque deux buts (quelle tête sur le premier!) et donne une passe décisive. S'il n'est pas blessé (son talon d'Achille), Ronaldo rappellera au monde qu'un passement de jambe fulgurant vaut mieux qu'une critique hâtive.
Dailymotion et You Tube contiennent des vidéos intéressantes pour qui veut découvrir le style unique du plus grand attaquant de football. Pour indications, arbitraires et non exhaustives :
http://www.dailymotion.com/video/x18fr5_ronaldo
http://www.youtube.com/watch?v=Put4Q2xmxtI
http://www.youtube.com/watch?v=etrmZ0fwlJ8
http://www.dailymotion.com/video/xq6bj_carriere-de-ronaldo
http://www.dailymotion.com/video/x1bwon_ronaldo-king

La querelle entre Capello et Ronaldo trouve sa source dans les tensions qui accablent le vestiaire madrilène de manière récurrente. Capello a probablement joué la carte du bouc émissaire en se mettant du côté du plus influent et du plus fédérateur. Ce n'est un secret pour personne que la venue de Ronaldo en 2002, après la coupe du monde, entraîna le départ de Morientes, l'ami de Raul... Au-delà de ces affaires de jalousie, Ronaldo cristallise une haine qui ne trompe pas. S'il est autant détesté, c'est que c'est un grand! Quant à Capello, il s'est récemment félicité des excellents prestations de Ronaldo avec le Milan AC, n'hésitant pas à ajouter qu'il avait toujours considéré le Brésilien comme un grand joueur. Mieux, Ronaldo serait le seul instigateur de son départ... C'est ce qui s'appelle de la mauvaise foi caractérisée : après avoir placé Ronaldo sur le banc des remplaçants, après avoir fait en sorte de le discréditer, de le déclarer fini, personna non grata au sein de l'effectif, après avoir affirmé en conférence que Ronaldo s'entraînait mal, qu'il était trop gros, Capello brouille les cartes et reporte la responsabilité du départ sur... Ronaldo! Il serait trop facile de prétendre que le seul fautif est l'entraîneur. Cependant, je remarque que cet épisode de petites phrases démontre que contre la mauvaise foi, il n'y a rien à faire. Car celui qui vous déteste prétendra le cas échéant que son comportement avec vous est guidé par l'amour et le respect. En somme, il vous a d'autant plus aimé qu'il s'employait à vous nuire dans le même temps! La mauvaise foi de Capello a trouvé son juste pendant dans cette déclaration de Ronaldo qui le comparait à un démon. Juste en effet : le diable est étymologiquement celui qui divise... et prétend unir!

Allez, pharisiens, encore un effort !

"Défendre la littérature comme la seule liberté précaire encore plus ou moins en circulation, implique que l'on sache exactement ce qui la menace de partout. Même s'ils sont légion, les ennemis de la littérature sont également nommables et concrets. Les pires, bien sûr, logent aujourd'hui dans le cœur de la littérature, où ils sont massivement infiltrés, corrompant celle-ci de leur pharisaïsme besogneux, de leur lyrisme verdâtre, de leurs bonnes intentions gangstériques et de leur scoutisme collectiviste en prolégomènes à la tyrannie qu'ils entendent exercer sur tout ce qui, d'aventure, ne consentirait pas encore à s'agenouiller devant leurs mots d'ordre, ni à partager leur credo d'hypocrites. Sous leur influence, l'écrit lui-même est devenu une prison. Ils contrôlent jour et nuit les barreaux de la taule. Ils dénoncent sur-le-champ les plus petites velléités de rébellion ou seulement d'indépendance. Ces surveillants nuisent en troupeau : ce sont les matons de Panurge." PHILIPPE MURAY, Exorcismes Spirituels.

Courage, continuons à taper, puisque de si petits mots provoquent de si inattendus tapages - même infimes, c'est que l'élan n'est pas tout à fait faux! Un écrivain que je n'aime guère et que je juge mineur, Nabe, distingue avec véhémence les artistes et les cultureux. La différence entre ceux qui font l'art et ceux qui en vivent n'est pas anecdotique. Le détournement de l'art par les faux artistes, soit les vrais critiques, est considérablement plus grave que la répulsion qu'il engendre chez certains bons vivants (qui, au nom de la vie, houspillent les manifestations qui réclament une once d'attention et de concentration).
Si Nabe est un artiste très contestable, c'est parce qu'il se revendique trop célinien. Je préfère ne citer personne pour désigner ceux qui se réclament de l'Art pour déverser des torrents de platitude d'autant plus attendus qu'ils seront aussitôt jetés aux oubliettes. Le faussaire se reconnaît en ce que l'accueil qu'il suscite est forcément trop élogieux. Le toc connaît la tactique. A merveille. La critique se trouve enfin en terrain conquis : le sien. A ses yeux, le domaine de la création est par trop miné pour s'y aventurer. De toute manière, elle en est incapable.
C'est ce que j'ai voulu exprimer en mentionnant la reconnaissance dont jouit à l'heure présente l'écrivain Millet. A mes yeux (et à eux seuls!), Millet est un éditeur qui s'est lancé dans l'aventure de l'écriture dans un de ses poses qu'affectionne le chasseur au détour d'une battue. Peu importe que ce soit chronologiquement le contraire qui soit vrai. Seule compte la primauté de la démarche. En l'occurrence, Millet n'écrit pas comme un écrivain, mais comme un mime.
Millet est-il le digne épigone de Proust descendu de ses plateaux pour nous annoncer la disparition imminente de la littérature? Il est fort à craindre (et à parier) qu'il évoque avec sagacité, non la littérature, qui n'a nul besoin de Millet pour vivre, mais sa seule oeuvre.
Comme toute chose en ce bas monde, il n'y a par définition qu'un Proust. Le triste privilège d'un écrivain est de n'évoquer l'universalité qu'au travers du prisme révélateur de sa propre singularité. La grandeur de Houellebecq est d'avoir tant provoqué (attisé?) le rejet et la haine - malgré le succès. Sa grandeur tient à sa singularité si singulière. De Houellebecq, il n'y a qu'un. De Millet, foison sans moisson.
La qualité de Millet est de correspondre aux goûts intellectualistes et élitistes d'une époque à l'agonie, selon laquelle la littérature serait morte (ah, le goût de la mort chez les créateurs ratés, qui confondent leur propre destin avec l'enthousiasme d'élans qui les dépassent presque toujours!). Le génie de Houellebecq est d'avoir esquissé l'estampe sombre de l'époque. Soit la sexualisation formelle de ce qui n'est qu'appétit d'argent et de puissance controuvée.
Le propre de la haine est d'attaquer un objet pour des raisons biaisées (et inavouables). Voilà pourquoi tant de critiques vilipendent Houellebecq : pour son génie - accessoirement aussi pour son succès qui le rend indépendant des lazzis médiocres. S'en prendre au créateur Houellebecq dénote au mieux la confusion - souvent que l'on a trop bien compris. Attaquer l'auteur Millet répond à une démarche toute autre. L'exercice revient à démasquer la figure de l'éditeur telle qu'elle se présente. De par son activité, l'éditeur se trouve dans une position impossible : comme lecteur garant (auteur) de la qualité des textes qu'il publie, il se trouve confronté à l'aune de son bon ou de son mauvais goût. Contre son goût, toujours.
Car le goût est affaire arbitraire (plus qu'atrabilaire). Le critique aimerait à faire croire à l'objectivité du goût. Qu'il aimerait exhiber les fondements du goût, comme d'autres brûlent, un peu vite, dé découvrir la terra incognita par excellence, l'annonce de fondements à la morale, la métaphysique ou quelques autres fondements que ce soit! Malheureusement, ces fameux fondements ne se laissent pas débusquer, pour la raison qu'ils sont introuvables. L'éditeur (le critique) se retrouve avec l'impossible mission de décréter ce qui est bon et ce qui ne l'est pas.
Évidemment, il ne peut que se tromper, souvent lourdement. Je ne citerai que l'exemple illustre de Gide refusant Proust, mais les cas d'acharnement, d'insultes ou d'incompréhension abondent. L'erreur de Gide s'explique, non par l'inattention ou le contre-sens, mais parce que Proust était un artiste incomparablement supérieur - insoluble au talent. Gide, non seulement ne pouvait comprendre Proust, mais il ne pouvait que le détester. Sa lecture éditoriale accouchait d'une redoutable indigestion : ces bouchées s'avéraient trop indigestes pour la complexion de son estomac délicat et raffiné.
Le seul test pour vérifier la valeur du goût est le temps. L'argument de Nietzsche selon lequel tout son génie se trouve dans ses narines est sans fondement. Il suffit pour s'en assurer de constater quel traitement injuste il réserva à Zola - de même que la perspicacité avec laquelle il stipendia la graphomanie de Sand ou célébra la pensée de Schopenhauer. Comment se fait-il que seule la distance temporelle autorise la lucidité du jugement là où l'immédiateté sanctionne si souvent le médiocre aux dépens du valeureux?
Sans doute les modes faussent-elles le goût majoritaire, en particulier de ceux qui, formatés par la réussite, épousent les contours de la mode sans s'en apercevoir le moins du monde. Qu'est-ce que la mode? L'idée qu'une certaine apparence correspond au réel. Mais aussi que cette apparence ne fait qu'un avec l'ordre tant escompté. Rien n'exprime mieux le caractère éphémère et relatif du sens que la mode. Raison pour laquelle cette grande mystificatrice s'emploie-t-elle à se faire passer pour l'incarnation idéale du Sens éternel et enfin subsumé.
Sans doute est-il nécessaire pour échapper à la mode de subir les contraintes forcées d'un décalage aussi violent que décapant. Nietzsche ne réussit à écrire que malade, nomade et isolé - tout comme Proust, qui serait demeuré l'éternel Ecrivain Mondain (qui se soucie de Paul Bourget de nos jours, soixante-dix ans seulement après sa disparition?) s'il n'avait eu l'occasion forcée de rompre avec le monde. Pas de description hilarante du snobisme sans rupture préalable avec le vain Faubourg et les vingt salons estampillés littéraires!
Même ce décalage ne garantit-il pas la sûreté du goût. Car il appartient à la bizarrerie du réel de rendre impossible l'objectivité (on ne peut être juge et partie, énonce un profond adage). Le plus sûr signe qu'on se situe, sinon dans la vérité, du moins dans une certaine profondeur, soit au-delà de la mode, demeure le critère des réactions provoquées (la provocation ne se situant pas toujours où l'on croit). S'il n'était qu'ineptie? L'indifférence ferait l'affaire! Dans les autres cas, la colère ou l'admiration se manifestent comme les affres de la curiosité. L'indignation est le révélateur qu'un malin poil à gratter dérange. Que voulez-vous? Certaines démangeaisons méritent d'être approfondies...

Je joins à cette note, que j'espère point trop haineuse ou mesquine, la notice biographique que consacre Wikipédia à l'immmortel Paul Bourget, contemporain de Proust. Elle est sûrement approximative, mais indique aussi le décalage entre les emballements d'une époque et les jugements de la proche postérité.

Paul Bourget (Amiens, 2 septembre 1852 - Paris, 25 décembre 1935) est un écrivain français.

Paul Bourget est l'un des grands romanciers de la fin 19ème-début 20ème siècle. Le célébre critique littéraire Pierre de Boisdeffre remarque que "qui voudra évoquer nos moeurs entre 1889 et 1914 devra recourir à des documents comme les romans de Paul Bourget".

On distingue deux périodes de Paul Bourget, avant et après son retour au catholicisme (1901).

Sont représentatifs du premier Paul Bourget et de son talent à étudier la psychologie humaine, sans la juger : Cruelle énigme, Cosmopolis, André Cornélis, Mensonges - inspiré du calvaire amoureux d'Octave Mirbeau -, et du second Paul Bourget : Le Disciple, L'Étape, Le Démon de midi, Nos actes nous suivent.

Le Disciple (1889) est particulièrement caractéristique de l'évolution de Paul Bourget; sans être encore le livre d'un chrétien, ce roman met les préoccupations morales au premier plan. Paul Bourget y développe longuement la question de la responsabilité, notamment celle de l'écrivain, du philosophe, responsable des conséquences de ses écrits . "Peu d'ouvrages de cette nature, note Victor Giraud, ont eu sur les esprits, sur les âmes et sur les consciences mêmes, pareille action, ont déterminé pareil ébranlement".

À partir de ce roman (et de sa célèbre préface), Paul Bourget se fait donc, peu à peu, plus moralisateur que moraliste et propose des types de personnages, aux traits parfois poussés à l'excés, dont les actes sont analysés au regard de la morale, le plus souvent chrétienne. Paul Bourget restera alors, jusqu'à sa mort, fidèle au roman à thèse.

Le ton sentencieux et les positions traditionnalistes adoptés par Paul Bourget dans ses romans lui attirèrent de nombreuses inimitiés dans le milieu littéraire, dont celle de Léon Bloy qui le méprisait cordialement.

L'action des romans de Paul Bourget se déroule généralement sur une très courte durée (quelques jours) et la description minutieuse de la psychologie des principaux personnages y tient une place prépondérante. Ces romans ont le plus souvent pour cadre ce que Paul Bourget nomme « le monde », c'est-à-dire la noblesse ou la grande bourgeoisie, dont il décrit les mœurs et les travers.

Avec Henry Bordeaux et René Bazin, Paul Bourget est l'un des « 3B », auteurs dits de référence pour les « traditionalistes » du début du XXe siècle.

Il est élu membre de l'Académie française en 1894. Il est inhumé au cimetière du Montparnasse à Paris .

samedi, février 17, 2007

Technique de conserve

Il n'y a pas que les recettes de mère-grand qui sont classées top secret et ignorent délibérément les lois du devenir qui frappent toute chose en ce monde. Le plus grand progressiste de l'humanité, le zélateur enragé de la révolution intégrale, l'apôtre infatigable du changement tous azimuts, cette perle rare parmi les perles, s'effaroucherait jusqu'au pugilat si on lui annonçait que la recette familiale de la tarte aux quetsches, sa préférée, celle pour laquelle il tuerait sans hésiter son père et sa mère, a subi une modification infime : une pincée de cannelle aurait été ajoutée, un soupçon de nougatine introduit!
Si les méthodes de conserve se transmettent de mère en fille, du moins dans les familles de tradition, celles chez qui le terroir prime sur le tiroir (-caisse), il n'en va pas de même de l'approche politique. Le progressiste porte beau depuis le triomphe des Lumières et de la Révolution française. Auparavant, le totalitarisme était indéboulonnable, pour le meilleur et pour le pire. Les Lumières concordent avec l'avènement de la pensée selon laquelle le régime politique en place est susceptible d'évolution. L'Ancien Régime appelle le Nouveau!
Oui, mais - lequel? La démocratie hésitera quelques siècles pour se déterminer entre libéralisme, collectivisme et autres variantes plus ou moins saugrenues, dont certaines générèrent tout de même quelques millions de morts. En attendant que les miasmes du changement décident de la stabilité politique, puisque nous en sommes (encore) là, il est bon de constater que l'homme a estimé pendant des millénaires que l'ordre de la société primait sur les imperfections qui allaient de pair, avec l'idée connexe qu'un excès d'imperfection engendrerait la chute rapide du régime.
La démocratie a introduit l'idée que le changement pouvait améliorer l'ordre imparfait. Ce faisant, elle a engendré pour les bénéficiaires restreints de son idéal un indéniable progrès. La question est de savoir si l'avertissement d'Aristote ne sera qu'un coup d'épée dans l'eau (la démocratie dégénère en démagogie) ou si l'amélioration n'est que passagère et masque la catastrophe.
En tout cas, les millions de morts du XXème siècle sont tombés au champ d'honneur de l'idée qu'impliquait le changement : l'amélioration de l'imperfection laissa miroiter soudain la possibilité de perfection politique pour l'humanité. Autre corollaire d'importance : désormais, le changement supplantait la stabilité dans l'idée d'ordre social. Le risque de désordre, que vérifièrent les expériences nazies, fascistes ou communistes, passait au second plan.
Il est vrai qu'un citoyen français qui serait interrogé sur ses souhaits politiques voterait, avec raison, pour la démocratie libérale et contre la monarchie de droit divin. Je note que la France connut son apogée politique et culturelle sous Louis XIV. Le XVIIème siècle est le siècle d'excellence du goût français, alors que le XXème restera comme celui du goût américain, soit d'un post-Occident où l'économique a supplanté le politique.
Il serait temps cependant de critiquer (au sens étymologique du terme) la manie du changement qui s'est emparée du politique et qui risque fort de ruiner l'effort d'ordre à terme. Car l'ordre ne saurait prétendre à la stabilité que s'il n'oublie pas fondamentalement qu'il s'établit, fort mystérieusement d'ailleurs, à partir du désordre. Tout ordre qui se réclame de fondements stables et pérennes est un ordre bien fragile. Les bons cuisiniers savent trop la part d'impondérable et d'indicible qui préside à la recette réussie pour ne pas se féliciter sous cape de la simple obtention d'une bonne recette. Tant il est vrai qu'il y a loin entre le pro-jet et la réussite culinaire finale!
La politique est un vaste chantier où les cuisines internes (le politicien) le disputent souvent aux actions d'éclat. Le propre des politiciens est de promettre l'impossible, dans l'exacte mesure où ils sont incapables de mesurer la différence entre le possible et le réalisable. Dans les interstices de cette différence majeure, se tapit le changement ou l'utopie. Le changement correspond à ce qui devait arriver, l'utopie, à ce qui devait faillir.
L'altermondialisme dans son ensemble n'adviendra jamais, bien que certaines variantes, souvent remarquables, soient mal reconnues. Quant au nazisme, au stalinisme ou au maoïsme, c'étaient des fatalités qui devaient arriver! L'homme n'a que peu de pouvoirs contre ces grands courants politiques, souvent destructeurs, à l'instar de l'ultralibéralisme contemporain, dont l'essence est précisément de nier le politique pour instaurer subrepticement l'économique. Sans doute le désir de changement incessant découle-t-il lui aussi d'une mode contre laquelle il n'y a rien à faire. Montaigne (je crois que c'est bien lui...) avait raison de souligner que le grand avantage du parti conservateur sur le parti progressiste est, au moins, de conserver les aspects positifs d'un ordre donné. Le changement peut en théorie les améliorer, mais il peut aussi les empirer et ne réaliser qu'avec parcimonie l'adéquation illusoire selon laquelle changement = progrès.

Introduction à la pensée

"Le manque d'imagination n'est pas tant une incapacité à dire ou à penser du nouveau qu'une indifférence à l'égard de ce qui présente par rapport à tout passé philosophique des signes d'altérité radicale".
Roger Crémant,
Les matinées structuralistes.

Cette citation de l'auteur d'une seule oeuvre, puisqu'il s'agit d'un des pseudonymes que Rosset utilisa pour railler la philosophie des années soixante, est absolument juste dans sa pertinence à qualifier l'atmosphère qui prévaut à l'Université (et, dans une large mesure, dans la société). Elle gagne en universalité si on met l'adjectif philosophique entre parenthèses, voire si on le biffe pour qualifier les rapports entre l'imaginaire et le réel :

"Le manque d'imagination n'est pas tant une incapacité à dire ou à penser du nouveau qu'une indifférence à l'égard de ce qui présente par rapport à tout passé des signes d'altérité radicale".

La vie et la mort

Le père : - Ce que je t'ai appris, mon fils, c'est à toujours lutter dans cette vie!
Le fils : - Et moi, ce que je t'ai appris, mon père, c'est à ne jamais lutter contre la mort!

Signes

Et j'entendis la Voix me murmurer au-dessus de l'épaule : "Si tu triomphes de la maladie, Koffi, tu triompheras de la vie. Sois sans souci!"
Extrait des Fragments de la Vie de Papa Koffi, manuscrit original de la Saga des Fons, env. I siècle ap. J-C, Dahomey.

vendredi, février 16, 2007

Père et fils

Le père : - Mon fils, n'oublie jamais l'enseignement sacré que nous ont transmis les prophètes depuis Abraham : Dieu est la Sainte Vérité...
Le fils : - Mon père, j'entends : Dieu est au-dessus de tous les mots !

Paranoia

Houria Bouteldja dit à peu près n'importe quoi, la cause est entendue. La porte-parole des Indigènes de la république oscille tant entre l'hystérie haineuse et la démagogie islamistophile qu'on peine à comprendre pourquoi le droit à proférer les énormités les plus invraisemblables, celles qui ne passeraient pas la barrière de l'écrit durablement, est ainsi encouragé. Serait-ce qu'on s'imagine que les musulmans de France sont des extrémistes inconséquents et des brailleurs enragés pour qu'on leur passe sans broncher ce qui jamais n'aurait été toléré chez tout individu respectable sans le taxer de faciste, de raciste et d'antisémite à la première occasion? Houria Bouteldja surfe sur la vague réelle de l'islamophobie et du mépris à l'égard des musulmans qui, c'est un fait, prévaut dans la représentation vague et vide des Français pour imposer ses vues intolérantes, réductrices et elles aussi islamophobes (car dans quelques siècles, les premiers ennemis de l'islamisme seront les musulmans conséquents eux-mêmes).
Forte de cette ignorance, l'inénarrable Bouteldja en profite pour activer et réactiver tous les lieux communs de l'islamisme : internationalisation de la communauté spirituelle en communauté politique des musulmans, amalgame de la guerre civile irakienne et du racisme aux difficultés d'intégration des musulmans français à la France, après l'amalgame original entre le conflit israélo-palestinien et la situation des Arabes de France, absurdités qui à chaque fois consistent à se prévaloir de l'Islam sacré et intouchable pour revendiquer la dénaturation par excellence de l'Islam, je veux parler de l'islamisme.
Oui, c'est un fait d'évidence, Bouteldja est une islamiste moderne qui n'est pas sans rappeler son pendant masculin, le très suisse et très habile Tariq Ramadan. Les deux activistes ont pour point commun de porter beau et fort fashion les couleurs de l'islamisme occidental. Il s'agit de faire croire que cette idéologie réactive (contre le colonialisme occidental initialement, contre l'Occident à présent) n'est pas qu'une réaction datée, mais une pensée viable et alternative.
L'alternative n'est pas seulement utopique. Elle est aussi et malheureusement abominable : c'est la haine pure proposée comme rempart idéologique contre l'impérialisme occidental. Il suffit de contempler le look sophistiqué qu'arbore à chacune de ses apparitions Bouteldja pour mesurer à quel point l'islamisme s'est adapté aux modes de l'Occident pour mieux contourner les reproches d'obscurantisme et mieux introduire le cheval de Troie de sa ruse très prévisible. Malheureusement ou heureusement, la réaction demeure la réaction - l'obscurantisme, l'obscurantisme, toujours l'obscurantisme. Un réactionnaire qui se vêtirait d'un jean surlarge, de baskets rutilantes et d'une casquette américaine dernier cri n'en demeurerait pas moins un réactionnaire.
Avec son châle élégant qui actualise le voile sans le périmer, son port de tête altier et son verbe enflammé (quoique un peu trop véhément pour ne pas trahir ses origines intellectuelles délétères), Bouteldja se veut l'incarnation new wave de la femme musulmane. Elle n'est que la personnification de la femme islamiste branchée (sur du 1000 W). Qu'elle le veuille ou non, en effet, elle ne saurait se réclamer de la femme musulmane, car cette appellation ne signifie rien de précis. Le générique femme renvoie à la personne de sexe féminin, ce qui n'a pas grand sens. Musulman à une appartenance religieuse aux mille visages - au bas mot.
Pourquoi invite-t-on sur les plateaux Bouteldja à longueur de temps, puisqu'elle n'a rien d'intéressant à énoncer, sinon du scandaleux, du grandiloquent et du caricatural? Serait-ce qu'on cherche, encore une fois dans une émission de télévision, à générer le parfum du scandale autour et à partir de l'Islam? Il me souvient que Taddeï a fait partie, au moins un temps, de la bande à Ardisson (que j'avais appelé Ruquier dans un premier jet à valeur d'acte manqué)... Participerait-il de cette marque de fabrique médiatique qui consiste à inviter des extrémistes de bords antagonistes pour générer le contraire du débat, soit la cacophonie anarchique?
En face de la passionaria Bouteldja, bien plus politisée qu'islamisée, on trouvait le clown Sollers, toujours partant pour tout tourner en dérision, et quelques intervenants (comme Enthoven) pour essayer de mettre un peu de sérieux dans cette parodie de débat. On ne débat pas avec Bouteldja à partir du moment où les positions de Bouteldja sont clivées dans la haine et nullement dans le réel. Contre le grotesque de Bouteldja et de Sollers, j'entendis deux paroles sensées. Celle d'un musulman intelligent, Abdennour Bidar, à qui les islamistes reprocheront sans doute d'être un impie comme les Noirs extrémistes traitent de Bounties les Noirs accusés de se comporter comme des Blancs (pensée raciste et dénuée de sens) : lui, musulman parmi tant d'autres, ne se sentait pas insulté, ni concerné par les caricatures de Charlie Hebdo ou du Danemark. Enfin! Qu'il avait raison! D'ailleurs, personne ne trouva rien à redire à cette parole de sagesse.
Puis, plus inattendue, l'intervention d'Alexandre Jardin. L'ex-romancier fleur bleue, aujourd'hui ventripotent agitateur-bloggeur post-présidentielle, osa apposer au cas Bouteldja une connotation psychiatrique lucide. Selon Jardin, le discours de la jeune femme était clairement paranoïaque. Face à cet assaut de vérité inattendu, la porte-parole des Indigènes de la République resta sans voix et eut du mal à se remettre de l'estocade. Elle essaya bien de relancer la machine de l'indignation exacerbée, rictus agressif aux lèvres, mais le moteur était grippé. Jardin avait brisé net cette rhétorique jusqu'alors bien huilée d'apologie du totalitarisme islamiste.
Jardin, plus candide que jamais, posa, avant de s'éclipser, la seule question digne de l'émission, sous les hurlements désopilants de narcissisme de Sollers, pour qui le centre du monde se trouve à Paris, et le centre de Paris, en la personne de Sollers. Comment se faisait-il que Bouteldja incarne le point de vue de millions de personnes parmi les exclus du grand bazar mondialisto-libéral?
Bouteldja essaya tant bien que mal de rebondir grâce à l'argument passe-partout du racisme. En vain. Jardin aurait dû persister et signer. Si Bouteldja présente tant de failles qu'elle en devient faillible à son corps défendant, si tant de millions de déshérités reprennent à leur compte des thèses paranoïaques pour expliquer par des complots invraisemblables la marche du monde, si l'on adhère aux théories absurdes selon lesquelles les Américains ne se sont jamais rendus sur la Lune, que le SIDA est une invention des Blancs pour exterminer les Noirs, que les Juifs dirigent le monde depuis New-York, avec la sincérité confondante de désesperados acculés à leur excès de certitude dérisoire, quelle est la cause de cette folie loin d'être marginale?
Étymologiquement, para-noia désigne en grec antique l'excès de raison. Tout excès est celui d'un manque, celui de Bouteldja notamment. Soit le manque de foi dans le réel et la vie. J'ajouterais quant à moi l'excès de certitude qui vient compenser l'absence cruelle de certitude. Il faut croire que le réflexe humain pour répondre au désarroi de sens, de valeurs, de fondements, s'exprime par cette surabondance artificielle de sens apposée au réel, comme une valeur surajoutée et délirante. La réaction (dans tous les sens du terme) de Bouteldja ressortit de la soupe édifiante classique. L'islamisme est un excès de sens en réponse à la destruction de sens opéré par le colonialisme.
Au final, ce que personne ne veut voir, tant les islamistes que les défenseurs de la démocratie occidentale et, dans une confusion inextricable, de l'impérialisme occidental, c'est que l'absence de fondement du pouvoir n'est pas qu'une lubie énoncée par Clément Rosset dans ses Remarques sur le pouvoir, tirées du Philosophe et les sortilèges. Il est curieux (quoique parfaitement logique) que Clément Rosset ne soit pas invité par Taddeï pour exposer au téléspectateur des idées autrement plus intéressantes que les vitupérations stridentes de Bouteldja et les beuglements pseudo-spirituels de Sollers.
Taddeï aurait pu nous expliquer pourquoi Sollers et Bouteldja peuvent se réclamer de la vérité au nom de deux (pitoyables) conceptions politiques. C'est que la vérité politique, comme la vérité tout court, n'existe pas. En lieu et place de cette vérité que l'on invoque à tout bout de champ pour mieux travestir ses véritables intentions de domination, tant parmi les puissances occidentales que celles opprimées (les islamiste qui rêvent de dominer le monde imitent l'impérialisme qu'ils dénoncent chez les Occidentaux), la désagréable impression qui se dégage des discours et des prises de position tourne autour de l'hypocrisie.
Hypocrisie des discours pro-Occident qui distribuent d'autant plus les leçons que leurs agissements leur interdisent, comme ils le pourraient en théorie, de démont(r)er les erreurs qui émaillent des discours anti-Occident. Pour ce faire, il leur faudrait davantage d'honnêteté, soit d'adhésion au réel. Hypocrisie des discours anti-Occident, dont le discours de Bouteldja n'est qu'une variante rebattue et aberrante, celle d'une forme d'islamisme - l'islamisme n'étant qu'une forme répandue d'anti-occidentalisme dans le monde.
Le point commun de ces discours anti-Occident est de laisser croire qu'ils proposent des alternatives viables (et fiables) aux impérialismes dont ils sont les victimes incontestables. Malheureusement, un examen un tant soit peu approfondi permet de constater que l'islamisme, comme la plupart des alternative soi-disant révolutionnaires et originales, n'est jamais qu'un avatar moderne d'une conception politique vieille comme le monde : le totalitarisme.
En l'occurrence, l'islamisme est une forme totalitaire de nature théocratique. Autrement dit, sa caution est divine, donc moins que jamais réfutable. Si Dieu est la vérité, ce qui se targue de Dieu est vérité irréfragable. Est-il besoin de chercher plus loin les relents paranoïaques qui ne manquent jamais de se laisser apercevoir au sein des discours islamistes?
Le discours de Bouteldja devient moins aberrant si on le replace dans cette perspective historique : il n'est jamais que le délire (au sens pathologique) d'une souffrance qu'on pourrait nommer carence de sens. La plupart des propos de Bouteldja sont fallacieux. Au pied de la lettre, la cause est entendue : ils ne méritent que rires et sourires. Si on prend la peine de comprendre le sens que cache le délire paranoïaque, il est la réponse extrémiste pour faire sens à chaque fois que les événements rappellent combien le réel est dénué de sens. Quel qu'il soit.

P.S. : le mérite d'inviter sur des plateaux de télévision des énergumènes déchaînés, à l'instar de Bouteldja, tient à la reconnaissance, tardive (mais mieux vaut tard que jamais), des graves dérives et délires qui touchent des groupes jadis intouchables en France, je veux parler des Africains, singulièrement quand ils sont musulmans. A cause d'une idéologie super-tolérante, selon laquelle l'Arabe et le Noir sont des victimes quoi qu'ils disent et quoi qu'ils fassent, la bien-pensance a refusé de traiter ces groupes comme des généralisations hâtives, composées d'individus nécessairement singuliers et originaux. Résultat des courses? En refusant d'admettre, par exemple, qu'un Arabe pouvait être raciste, que la culture arabe pourvait être communautariste, que le musulman pouvait être fanatique, on découvre avec effroi, trente ans plus tard au bas mot, qu'un homme méprisé a de fortes probabilités de virer haineux, voire criminel. Il n'est nul besoin de chercher plus loin la tristesse qui émanait du visage de Bouteldja quand elle ne se lançait pas dans ses tirades véhémentes. Le sentiment de supériorité post-colonial qui a présidé au traitement des vagues d'immigration africaines a engendré ce monstre terrifiant que l'on reconnaît enfin depuis les attentats du 11 Septembre. Le problème demeure cependant entier : il s'agit en effet de ne pas reproduire à l'infini l'erreur qui consiste à créer les conditions du bouc émissaire, je veux dire le rejet de la faute sur la victime, fût-elle violente et dangereuse. La reconnaissance est le seul mot (d'ordre) qui nous débarassera d'autres maux plus virulents encore. Reconnaître (enfin) que le 11 Septembre n'est que le produit de la politique impérialiste qui consiste à expliquer aux victimes que leur statut découle uniquement de leur faiblesse et de leur faute. Reconnaître (enfin) que les Africains sont des hommes comme les autres (qu'il est stupéfiant d'énoncer une telle évidence dans une démocratie!). Reconnaître (enfin) le statut de victimes à ceux qui subirent l'esclavage, le colonialisme et qui subissent toujours le néoconialisme de par le monde. Ce n'est qu'à ce prix que l'Occident aura le droit de répliquer avec cohérence aux enflures victimisatrices de ceux qui se sentent, de manière hallucinatoire, les descendants autorisés de la figure de l'esclave ou du colon, du fait d'origines (plus ou moins) lointaines.