jeudi, janvier 04, 2007

Institut Ubuesque de Formatage Mécanique

Je ne suis pas prêt d'oublier ma rentrée à l'IUFM en tant que stagiaire de français. C'était en 2000. Une éternité. Cinquante stagiaires brûlaient de quitter les bancs poussiéreux de la Faculté pour retrouver ceux, pimpants, de l'apprentissage professionnel. On se doutait que le travail ne serait pas rose, mais, enfin, l'indépendance avait ses charmes.
J'ai commencé à déchanter en constatant que nous étions trois hommes sur les cinquante individus du troupeau. Trois hommes pour quarante femmes, c'est trop. Un tel déséquilibre supposait d'emblée quelques contraintes : loin de m'imaginer en satrape épanoui par la fréquentation de son harem, je compris que les problèmes commençaient. Point n'est besoin d'être misogyne pour savoir qu'une concentration massive de femelles dans un périmètre restreint engendre des tensions inquiétantes (surtout entre elles).
En l'occurrence, ce que j'allais apprendre, c'était la dure réalité de la servilité humaine. Quand je pense que d'aucuns se livrent à d'onéreuses opérations de reconstitution pour expliquer la Collaboration et les réalités du totalitarisme! Il suffit pour comprendre ce phénomène de se rendre dans un IUFM.
Tout a été prévu pour singer l'univers stalinien tel qu'il peut s'épanouir dans une démocratie. Les dirigeants démocrates n'aiment pas que l'on pense trop librement. Des citoyens enclins à la contestation sont des électeurs exigeants. Première agréable surprise, les locaux sont flambants neufs, les professeurs mielleux. Vous n'êtes plus étudiant, on vous fait sans doute comprendre que vous avez droit à un traitement de considération. Ah! la belle vie de professeur payé à ne rien faire par l'Etat, bénéficiant de ses quatre mois (que dis-je? six!) de vacances aux frais de la princesse!
Celui qui ne se trouverait pas au fait de la réputation des IUFM déchante vite. Loin de préparer le stagiaire à ses difficiles fonctions, il s'agit d'astreindre le bûcheur de concours à un nouveau formatage. Ce n'était pas pour rien qu'un tel déploiement ostentatoire était réservé!
Bienvenus dans la réplique miniature d'Orwell! On rigole, on batifole, on s'émoustille pour commencer. Il s'agit d'un totalitarisme hospitalier. Les filles se félicitent sous cape du changement. Depuis quatre ans, elles n'en pouvaient mais de suer sang et eau pour ingurgiter par coeur les cours vaniteux de leurs chers Professeurs. Elles se trouvaient enfin reconnues à leur juste mérite! Il faut dire qu'elles en avaient, les bosseuses! Si elles sont là, c'est qu'elles ont l'habitude d'empailler de la connaissance. Ah, ça! elles ont le coeur à l'ouvrage. Elles dépenseraient volontiers trois heures, sans rechigner, à préparer une heure de cours. Elles vont enfin détenir le savoir de leurs ongles fragiles, de leur voix fluette et angélique.
Rapidement, tout le monde quitte le conte de fées pour se confronter à la dure réalité IUFM. Les mauvais cours de la fac étaient une partie de rigolade! Les professeurs besogneux et soporifiques étaient des modèles de curiosité ! La Faculté de Lettres une moderne abbaye de Thélème! Ici, les professeurs ont une conception révolutionnaire et fort moderne du travail. Ils ne font rien.
Quand on contemple un professeur d'IUFM, on comprend que les nouvelles générations d'élèves soient au diapason de leurs maîtres! Il faut dire qu'ils en ont du mérite, les profeseurs d'IUFM, à enseigner : ils enseignent une matière vide. Le professeur d'Université qui s'adonne avec un pédantisme narcissique à l'exercice du commentaire peut au moins se targuer de faire quelque chose. Le professeur d'IUFM n'a rien pour lui. Logique après qu'il se venge ! On a beau avoir du coeur, l'humiliation constante a des limites! En l'occurrence, faire de la didactique, c'est sombrer dans la cuistrerie.
Qu'est-ce que la didactique? Un gros mot! Un jour, on insultera les professeurs de didacticiens !
- Conseil de discipline, élève Allègre !
-J'ai rien fait!
-Vous avez traité votre professeur de didacticien!
-Je plaisantais!
-Vous apprendrez qu'il est des mots avec lesquels on ne plaisante pas!
La pédagogie est l'art d'apprendre. La didactique est la théorie de la pédagogie. La pédagogie est vieille comme le monde. Chacun sait ce que c'est : des savoirs concrets, qui ne sauraient se dispenser que sur le tas et qui sont très profitables quand ils émanent de personnes avisées. La didactique, c'est autre chose : comme le remarque Clément Rosset dans Le Monde de l'éducation, il s'agit d'apprendre à apprendre. Autrement dit : il s'agit d'une discipline sans matière ni contenu. Le didacticien est obligé de faire des phrases avec du vent. C'est pourquoi il ne supporte pas la critique. Tout comme le communiste sait que son système est erroné, le didacticien sait que sa discipline est une imposture.
On ne saurait plus se lancer dans la didactique que spéculer sur le sexe des anges ou la beauté des sirènes. C'est la raison pour laquelle les ouvrages de didactique sont si ampoulés et vains. Le recours à Husserl ou Hölderlin masque le problème de fond : les didacticiens n'ont rien à dire d'autre que des cuistreries ampoulées.
Chacun sait ce que devrait faire un professeur d'IUFM : aider ses stagiaires à préparer des cours en leur donnant des conseils utiles. Certains s'y emploient avec bonheur. Trop rarement. Cette méthode simple s'appelle tout bonnement la pédagogie. Cela suppose du travail et des contenus riches pour permettre au stagiaire d'entrer du bon pied dans la carrière. Au lieu de quoi on a réformé les savoirs en place en créant un Savoir des savoirs. La scolastique n'était pas loin, Philippe Meirieu l'a ressuscitée! Remplacer du réel par de l'illusion n'est pas anodin. L'IUFM prépare les professeurs à la grande hypocrisie de l'éducation scolaire.
Comme l'État a refusé depuis trente ans d'affronter les problèmes inhérents au collège unique, il a confié à des mystificateurs-idéologues le soin de concocter des théories fumeuses pour masquer les problèmes de discipline. C'est logique : si on contraint tous les élèves d'une classe d'âge à s'assoir sur les bancs de l'école jusqu'en troisième, certains n'y sauraient trouver leur bonheur. C'est dur, de travailler dans le théorique ! Les professeurs y ont perdu leur latin. Loin d'être soutenus dans la transformation de leur métier, ils se sont trouvés culpabilisés et abandonnés. On a prétexté que l'évolution des sociétés supposait des scolarités de plus en plus longues (ce qui est vrai) pour faire passer la pilule. La discipline n'était toujours pas assurée. Les revendications n'allaient pas tarder...
Alors on a sorti les pédagogues. C'est fou comme pédagogue rime avec démagogue. Quelle délicieuse polysémie! Le but de ces fous ambulants ? Laisser croire que le nouvel enseignant, puisqu'on ne dit plus professeur (tout changement d'appellation cache une dévalorisation - demandez aux balayeurs!), dispose d'instruments aussi révolutionnaires qu'efficaces pour faire face à la massification de l'enseignement. Entendez : l'ancien professeur, ce vieux croûton racorni, n'était pas préparé pour affronter les hordes indociles et rétives au travail (surtout quand on n'a pas le niveau). On lui avait appris à transmettre un savoir froid et congelé. Tout au contraire, le nouveau professeur est un veinard. Grâce à l'invention de la didactique, il va délivrer devant un public d'adolescents ébaubis son merveilleux savoir.
Le nouveau professeur est formé aux règles de la communication moderne. On aurait dû se méfier de ce terme. Après tout, communication est le mot préféré des gourous de la pub. Malheureusement, le nouvel enseignant va vite se rendre compte que la didactique ne l'aide en rien à affronter la massification. La pédagogie, plus humble, lui aurait confié de précieux secrets, mais la didactique est démunie. Le nouveau professeur fera avec ses atouts et ses faiblesses. Il découvrira que l'enseignement suppose du charisme, que sa meilleure pédagogie est celle qu'il forgera en fonction de sa personnalité. Il y a les mauvais professeurs comme il y a les mauvais boulangers. Sauf que la mayonnaise est autrement plus subtile à prendre et qu'un professeur apprécié de ses élèves est bien en peine de délivrer ses recettes.
Sa meilleure arme, c'est la bonne vieille autorité. Celle que le didacticien discrédite en lui substituant le plaisir d'apprendre. Le plus urgent ? Oublier la didactique si l'on veut durer dans la carrière. D'ailleurs, qu'a-t-elle appris, cette maudite didactique? Que l'élève était au centre de la classe (première absurdité), que le professeur chahuté était le seul fautif (deuxième absurdité doublée d'une culpabilisation ignoble), que l'apprentissage était déconnecté de la notion d'effort (troisième et plus dangereuse absurdité). Plus un tissu d'âneries.
Plus on fait de didactique, plus on débite d'âneries, c'est le théorème de l'IUFM. La didactique a pour but de proposer une méthode pour apprendre en riant. Cette escroquerie escamote les difficultés de la démocratisation. Il est certain que l'éducation du plus grand nombre aurait demandé un discours de rigueur et d'honnêteté. Comment faire progresser ceux qui n'avaient pas accès à l'éducation longue? Par le travail ou par le plaisir? A quand des jeux pour apprendre la conjugaison?
Les didacticiens sont les enfants du progressisme niais. De même que certains politiciens firent croire au peuple qu'on allait fonder une société égalitaire, où le Bonheur serait partagé par tous, les didacticiens jurèrent de créer un savoir plaisant pour le plus grand nombre. Une telle utopie impliquait qu'on saborde les savoirs réels, qu'on détruise les niveaux, qu'on déconsidère le travail et l'effort. A présent, il semblerait qu'on revienne de ce bel engouement en considérant les résultats idylliques. Serait-ce parce que les parents s'effarent du nombre de ceux qui lisent mal et comptent avec approximation en sortant du collège ?
En attendant de comprendre que la didactique a été inventée pour que le professeur supporte à lui seul le poids de la massification du secondaire, le stagiaire saisit dès l'IUFM qu'il est soumis au régime de al douche écossaise : soit il se tait devant la bêtise manifeste qui lui est imposée (facultatifs, les cours seraient désertés séance tenante!), soit il risquera le redoublement.
Les enseignants de l'IUFM font régner la terreur insidieuse (toujours cacher le poignard derrière un sourire!) pour mieux dispenser l'abrutissement. Conscients de la nullité de leurs rodomontades, ces désabusés du secondaire, trop heureux d'avoir reçu du galon, savent qu'ils n'obtiendront le silence qu'en usant du seul pouvoir qu'ils détiennent et dont ils ne se privent pas d'abuser : la titularisation.
Sans cette arme plus dissuasive que le nucléaire, l'IUFM serait la cible unanime des quolibets et des jacasseries. Quelques mois après leurs ouvertures aux quatre coins de la France, on les aurait retrouvés calcinés et fumants ! La foudre se serait chargée de rappeler les arrêtés du Ciel! Certaines transgressions sont inconcevables! La création des IUFM est de celles-là. Un Front de Libération du Stagiaire Opprimé aurait été institué mordicus par de nouveaux groupuscules révolutionnaires terroristes aussi actifs que les membres d'Action Directe!
Le stagiaire professeur n'est pourtant pas de nature rebelle. Il a le plus souvent fait preuve d'un comportement moutonnier. J'en connais qui rasaient les murs pour ne pas vomir de dégoût après six heures de cours lancinants et stupides. Pas une once de protestation! J'appris vite que le stagiaire n'étaient pas enclin à la grève. Le stagiaire est mimétique. Il se défie de l'esprit critique. Pour lui, celui qui fait des histoires a tort par principe. Sa tactique? Courber l'échine. C'est sans doute la raison pour laquelle le professeur a tant enduré depuis trente ans qu'on s'acharne à le présenter comme un feignant et un éternel geignard. Les hauts fonctionnaires qui s'échinent à mieux contrôler les personnels de l'Education Nationale ont raison de s'en prendre à de tels lâches.
Dès l'IUFM, on comprend que le Bon est celui qui dispense au formateur/supérieur les sourires flagorneurs. On appelle cela flatter. Cette attitude servile implique que le stagiaire ne critique que dans le dos. Il dit tout bas ce qu'il pense à peine, quand il ne parvient pas à se retenir de penser. C'est ainsi que la classe moyenne fonctionne, trop occupée à ronger son os pour s'occuper des problèmes de la Nation, fussent-ils les siens.
A l'IUFM plus qu'ailleurs, le détenteur du Pouvoir attend de ses vassaux la soumission. Le Pouvoir est la chose la plus désirée dans le cénacle des universitaires. Les professeurs d'IUFM sont des universitaires ratés. Ils se rattrapent de leurs déceptions (collés à l'agrégation, ils n'ont pas achevé leur thèse inutile...) par le sadisme et la perversité des médiocres. Ils ont raison. Le stagiaire se tait. Son argument semble impayable : le calvaire ne dure qu'un an! Il suffit de donner à ces dégénérés la monnaie de singe qu'ils réclament pour échapper à leurs griffes acérées ! S'ils savaient que ce traitement de faveur est celui qu'on projette de leur imposer à l'avenir! Peut-être s'ébroueraient-ils, avant qu'on ne fasse de leur beau métier un vilain jouet cassé!
En voyant le professeur d'IUFM, on comprend que la médiocrité mène à la perversité. Le bourreau est un raté qui a réussi, CQFD. En apercevant un stagiaire d'IUFM, on s'aperçoit que la lâcheté est l'apanage de la majorité. L'humanité est un troupeau consternant. Dans la tourmente, la plupart des belles âmes courbe l'échine en attendant que l'orage passe. Forts de leurs compromissions, les impétrants se taisent, trop honteux d'avoir témoigné d'un tel courage. Ils s'empressent pour oublier de rejoindre les bataillons de professeurs formatés que l'IUFM appelle de ses voeux pour mieux les manipuler à discrétion. Bientôt, le professeur de français sera une créature qui n'aura lu que les livres au programme et que la lecture indépendante rebutera. A en juger par la dévotion des pétasses qui sévissent dans les salles de professeurs, le professeur sera sous peu interdit de lecture. Sauf de littérature jeunesse, bien entendu. Celle-là, inintéressante et superficielle, ne risque pas d'encourager à la réflexion. Tout le contraire d'un roman de Balzac ou d'une pièce de Shakespeare.

3 commentaires:

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