vendredi, décembre 01, 2006

La tolérance extrême de Dieudonné

Après avoir entendu Dieudonné lors de l'émission Ce soir ou jamais de Taddeï, j'ai compris le fond du personnage (ce qui n'est jamais bon signe) : Dieudonné manque d'intelligence. C'est très dommageable pour un Demi-Noir se voulant engagé, surtout quand on s'est lancé dans l'humour professionnel et qu'on se prend pour un artiste. L'humour est le signe distinctif de l'intelligence. Dieudonné a cité devant Taddeï le maître en humour, Molière, le grand Molière, victime des cabales des tartuffes parce qu'il avait eu l'outrecuidance de s'attaquer aux tabous et aux hypocrisies de son temps. Dieudonné manque de lettres. Ignore-t-il que Molière fut l'ennemi de la violence et que le rire extermine la bêtise?
Si ce n'était pas le cas, il ne se réclamerait pas de cet incontestable génie pour mener sa campagne politique. Est-ce encore une idée soufflée par son ami Soral, incontestable nervi, lui, à défaut de prétendre au génie?
On a accusé à grands renforts d'indignation outragée Dieudonné d'être un Le Pen noir, de prôner l'antisémitisme et des théories douteuses. Lors de son passage chez Ardisson, la dernière fois que je l'avais aperçu à la télévision, l'incohérence de ses propos m'avait déjà alerté : n'avait-il confusément sous-entendu que le SIDA était peut-être le fruit d'une machination de Blancs racistes (le Ku Klux Klan?) pour éradiquer les Noirs? Remarquons que, comme tous les extrémistes et les dérangés de la cervelle, Dieudonné se réclame de la modération pour discuter avec sérieux des plus incoulables aberrations. Clément Rosset a raison de remarquer que la raison est l'étendard invariablement brandi par les fous pour revendiquer l'Esprit Sain et de la lucidité.
Chez Taddeï, complice d'Ardisson sur Paris première, où Ardisson produisait l'émission qu'il présentait jusqu'à cette rentrée dernière, Dieudonné a usé jusqu'à l'extrême de l'extrême cette corde de la modération jusqu'au-boutiste : se drapant sous les valeurs de la tolérance absolue, il a justifié sa visite chez Le Pen par son acceptation de toutes les valeurs. Son ami Alain Soral, le Grand Ecrivain marginalisé par les médias, n'a-t-il pas décidé de rejoindre les rangs frontistes dernièrement? Apparemment, Soral est moins modéré quand il s'agit de répondre de la qualité réelle de sa pensée ou de son style (pour Soral, l'ordure est célinienne...), mais c'est un autre sujet, celui du médiocre qui croit s'élever par l'insulte et la violence.
Dieudonné, lui, est un esprit libre dans la mesure où il est contre ou pour tout. Il a sans doute oublié que Kant et les Lumières énonçaient que la limite de la tolérance réside dans l'intolérance. C'est logique, Dieudonné : si la tolérance tolère l'intolérance, elle risque fort de disparaître... L'esprit libre serait-il pourfendeur d'intolérances supposées dans la mesure où il appellerait de ses voeux (mais, Chute, Alain a dit de ne pas le dire!) l'avènement d'une alternative totalitariste et révolutionnaire au système occidental, colonialiste et esclavagiste qu'il exècre par-dessus tout? Dieudonné a beau répéter qu'il est anticommunautariste et républicain, féru de démocratie, c'est au nom de ces principe qu'il condamne les négriers reconvertis dans la finance (rassurons-nous, il ne visait que les nervis sionistes, pas les Juifs) et qu'il félicite le Hamas de sa victoire démocratique en Palestine. Il est vrai que le Hezbollah n'est pas un parti plus religieux que ceux qui mènent le bal de la politique sioniste en Israël. Ce qui est bien avec Dieudonné, c'est que toutes les critiques sont nivelées dans un égalitarisme sain : à l'entendre, Bush et Ben Laden sont aussi pires, et Nasrallah et Olmert pareils. Adolf et Mandela aussi, sans doute!
Dieudonné est un grand enfant qui par naïveté ne reconnaît pas les méchants. Résultat? Maintenant, il traîne avec des complices peu recommandables et c'est très préjudiciable pour la qualité de son humour. Même ses vieux fans, témoignage d'un ami personnel, confient que son nouveau spectacle n'est pas drôle. La Tribu Ka nous l'aurait-il rendu sinistre?
Il l'ignore encore, mais il ne sera plus jamais drôle, le Breton. Il est tellement têtu qu'il s'enferre dans sa logique anti-tout sensée couronner la tolérance démocratique et éradiquer les extrémismes. Il a répété dix fois chez Taddeï (mais c'était le soir ou jamais) qu'il était temps de discuter avec tout le monde et de prôner l'oecuménisme total. Avec des gens comme Dieudonné, l'antiraciste cohérent se verra bientôt accusé de racisme au motif qu'il refuse le racisme. Remarquez, c'était déjà le cas avec certains esprits communautaristes et chagrins qui vous fichaient en pleine poire l'insulte de raciste à la première critique, comme d'autres sortent le vocable de facho pour disqualifier tout adversaire intellectuel!
La révolution philosophique qu'annonce Dieudonné suppose que tout soit accepté et acceptable. Quel esprit, quelle créativité! Du coup, son public ne s'y est pas trompé : maintenant, il paraît que les salles sont remplies d'extrémistes pro-palestiniens qui confondent les sketches de l'humoriste avec des meetings politiques contre Israël et pour l'altermondialisme, façon Bové et Ramadan. C'est-à-dire : la quête éperdue d'un autre monde, inaccessible et illusoire, donc forcément violent. On est prêt à tout pour détruire ce qui existe au profit de ce qui n'existe pas. C'est tout le problème de Dieudonné. Son manque de culture ne l'amène pas seulement à débiter des énormités sur l'esclavage ou la Shoah, il le conduit à opposer le nihilisme intégral à la réalité des démocratie occidentales. Il est vrai que celles-ci sont très critiquables, surtout quand elles agissent en Afrique. Mais l'alternative que propose Dieudonné est bien plus tragique : le néant - tout simplement. L'illusoire sous une forme particulière : la contradiction dans les termes et entre chaque terme, le droit de tout affirmer, y compris son contraire, au nom de l'universel. Avec Dieudonné, l'universeul, c'est la violence. Il ne s'y est pas trompé. Sans avoir lu Girard, il sait d'instinct que les boucs-émissaires servent à apaiser les élans de violence communautariste. Du coup, au nom de l'Universel, Dieudonné tape sur tout le monde. Un coup anticommunautariste, l'autre pro-islamiste, un coup antiraciste, l'autre antisémite. S'il peut tout dire, alors Dieudonné dit n'importe quoi. C'est bien son problème et c'est pourquoi Dieudonné a trouvé en Soral le compagnon de route idéal. Dire qu'il prend Soral pour un intellectuel... On n'ose lui révéler que Soral n'est pas plus sociologue que philosophe ou écrivain... Il est sondeur en matières féminines - c'est lui-même qui le dit. Je dis sondeur, je devrais ajouter puncheur, car Soral a la haine et la vindicte de celui qui sait qu'il peut détruire. Soral est cohérent dans son nihilisme. Dieudonné, absolument pas. Il a le blues déconstruit du désabusé qui aurait bien aimé trouver un ordre et un sens dans le monde. C'est un clown triste et tragique aux ordres de la violence farfelue et travestie, qui en voulant défendre les Noirs s'est trompé de cause. N'est pas Mandela qui veut. Dieudonné n'a fait que révéler sa face sombre et destructurée. C'est dingue comme les discours universalistes sont l'expression du vide et que le vide conduit au néant.

1 commentaire:

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Excellent article de qualité. Je suis tout à fait d’accord .