samedi, décembre 16, 2006

Excisons nos exorcismes !

Ca fait dix mille ans que ça dure. Plus même. La culture africaine est bien plus ancienne que dix mille malheureux ans. Si elle est toujours debout, c'est qu'elle est solide solide, la culture africaine. Avec ce qu'elle a pris sur la gueule depuis tout ce temps... Mais c'est un autre sujet. Ca m'éloigne de l'excision. Aujourd'hui en France, l'excision est interdite. A part quelques extrémistes, qui songerait à s'en plaindre? Pourquoi continue-t-on à perpétrer cet acte violent, barbare et gratuit? Au nom de la violence et du machisme, évidemment! Qui assure la permanence de cette tradition séculaire? Les femmes, bien entendu!
La tradition a bon dos. Si elle est stupide, il est temps d'en changer. Je vois d'ici les défenses que l'on opposera à la sauvegarde de la tradition : pour durer depuis si longtemps, elle doit bien posséder quelques qualités; c'est un combat insensé, on ne parviendra jamais à changer une tradition ; la tradition, c'est la tradition, il n'y a pas à discuter.
Je ne peux m'empêcher de rapprocher l'excision de la prostitution. Que nous rabâchent à longueur de journées les tenants de cette tradition? Qu'elle est le plus vieux métier du monde; un mal nécessaire; parfois (très rarement) librement consentie.
Le consentement a bon dos. Un examen du consentement permet d'exhumer son point faible névralgique : plus il y a de violence - et plus le consentement constitue une explication facile et passe-partout. Pour prendre une illustration, il paraît pressant de rappeler que consentir sous la violence n'a aucun sens. On accepte ce fait d'évidence quand il s'agit de torture. Les aveux d'un supplicié n'ont pas de valeur quand ils sont obtenus grâce aux mains expertes des bourreaux d'extrême-droite - un peu moins quand il s'agit de pratiques castristes. Vive le Che! On reconnaît par là que parler de la positivité du discours d'un supplicié est hors de propos et indécent.
De quelles insultes ne couvrirait-on pas celui qui s'aventurerait à qualifier de moraliste et d'empêcheur de tourner en rond le mauvais psychologue osant préciser que sous la torture, la parole est tout sauf franche! Généralisons sans risque d'amalgame : sous la violence, la parole est nécessairement biaisée.
Cette fausseté de la parole constitue aussi sa complexité. La parole biaisée n'est pas seulement tronquée, elle suit aussi l'intérêt immédiat et le cours de la survie. C'est le drame pervers de la victime que de suivre le discours de la force pour être en mesure de trouver sa place malgré tout. Avec la violence, on finit toujours par collaborer, c'est-à-dire aussi s'abîmer et devenir bourreau. Une des caractéristiques fondamentales de la violence, c'est qu'elle ne détruit pas seulement. En détruisant, elle déforme surtout. Les exemples de servilité seraient innombrables à dresser en période de totalitarisme politique. Il en va de même dans les autres formes de totalitarisme, qui ressortissent toujours au final de la violence. Toute personne plongée dans le cycle infernal de la violence n'en ressort jamais indemne.
Malgré les résistances qui consistent à dresser l'amalgame entre violences subies, violences perpétrées et consentement, on a fini par admettre, grâce au travail des vrais psychologues, que la parole d'une femme battue, d'un enfant victime de pédophilie n'avait pas grand sens. Bien des femmes battues vous diront que celui qui les bat est un être adorable, bien des enfants chériront le bourreau qui les soumet à la pédophilie. L'amour et la violence ne sont pas deux cheminements distincts. Les sentiments s'accommodent de toute situation, y compris la plus défavorable. On a réussi à remettre en question la positivité de ce type de discours, comme si la violence se dénonçait aussi facilement qu'une broutille. Curieusement, dès qu'on change de sujet et qu'on aborde le thème de la prostitution, les mêmes belles âmes indignées par les sévices infligés à un enfant opinent du chef avec conviction.
Soit dit en passant, il est navrant que les tenants du réglementarisme ne bénéficient pas seulement des milliards de la prostitution légalisée. Ces petits anges de proxénètes, fallacieusement poursuivis en France alors qu'ils n'existeraient plus aux Pas-Bas ou en Allemagne, se targuent d'arguments simplificateurs. A l'heure où l'humanité hésite entre la vie et l'argent, les apologètes de la prostitution tiennent des discours ultra-libéraux caricaturaux, où le corps serait objet de consumérisme comme un autre. L'extrémisme et l'illusion parviennent à leurs fins en caricaturant les problèmes de manière très théorique. Dans les faits, bien évidemment, la réalité est toute autre.
La prostitution, c'est autre chose! La prostitution en tant que telle, ce n'est pas une violence! La principale arme dont dispose la violence, quelles que soient ses formes, tient dans sa capacité de dissimulation et de séduction. Ne jamais oublier que le diable est un grand rhéteur. Ecoutez les explication d'un pédophile, il vous expliquera que certaines pratiques sont certes monstrueuses, mais pas la sienne. Lui chérit les enfants et les couvre d'affection...
Contrairement à ce que d'aucuns croient, souvent par manque d'information, la prostitution ne souffre nullement d'un excès de moralisme - mais de tabou et d'occultation. La prostitution est le règne du non-dit. La prostitution ne peut prospérer que sur les préjugés, les illusions et la désinformation. Si la vérité sortait, l'immense majorité des gens la rejetterait pour ce qu'elle est - une violence monstrueuse. Apparemment, ce n'est pas le cas à l'heure actuelle de nombreuses personnes, de certains Etats démocrates et de pseudo intellectuels dont l'intellectualisme s'accommode bien des âneries qu'ils débitent sans sourciller. Il y en aurait mille, ce n'est bien entendu pas que la position d'un Pascal Bruckner. Mais Bruckner passe à la télévision, Bruckner se veut un intellectuel engagé, alors on est contraint de l'écouter.
A la réflexion, quand on examine les aberrations que Bruckner déverse de sa science experte sur le thème de la prostitution, on tremble que les autres thèses qu'il défend souffrent du même coefficient d'absurdité. Il lui resterait au moins le bénéfice des millions d'exemplaires écoulés!
Bruckner confia un jour aux caméras qu'il fut client des personnes prostituées. Cela lui fait au moins un point commun avec Simenon. Je ne visais bien entendu pas le talent, très inégalement partagé en ce bas monde, comme on peut le constater. Notre bon Bruckner a la franchise de lutter contre les préjugés pour asséner haut et fort qu'il se tapait de temps en temps une grosse. C'est si bon les rondeurs cachées! Bruckner allait-il en discothèque pour assouvir les affres impétueux de son désir si aiguisé? Que nenni! Jamais un intellectuel de ce rang ne se serait commis à tomber aussi bas! Bruckner préférait de loin, c'est si légitime, l'option de la prostitution. Elle lui permettait d'assouvir son fantasme à peu de frais, entre deux pages d'essais politiques ou de romans désenchantés spécialement calibrées pour la FNAC et les émissions à idées du service public.
Les grosses ont dû éprouver du ravissement en reconnaissant a posteriori son visage de Narcisse émacié devant les écrans d'Auchan. Les caméras des grandes chaînes de télévision leur avaient au moins permis de goûter un peu à la magie du grand monde! Avaient-elles conscience du privilège qui s'abattait sur leurs misérables épaules? De misérables putes recevaient l'insigne chance de toucher les subsides du Grand, du Beau, du Fort Bruckner! Il y avait de quoi remercier le Seigneur et s'en remettre aux voies impénétrables de la Providence!
Pascal, si tu nous entends, consens au moins, dans ton infinité liberté, à ne pas aborder des sujets que, d'évidence, tu connais si mal. De tes fantasmes de nihiliste, nous nous fichons royalement. Le peu de cas que tu manifestes pour la vie, pour la personne humaine, par contre, ne nous laisse pas indifférent. Pascal, agneau béni de la plume, est-ce W. Bush qui t'a soufflé ces belles paroles de tolérance?
A écouter Bruckner, Iacub et d'autres porte-plumes de la cause réglementariste, la prostitution ne serait nullement une violence, mais un service multicartes. La personne prostituée posséderait des dons transmis par Dieu ou certains de ses anges : ainsi, la péripatéticienne du bois de Boulogne, entre deux conversations sur Hegel avec ses collègues Bac + 12 (ce qui correspond en gros à Sciences Po, Normale sup et l'ENA cumulées), ne dispenserait pas seulement ses talents de professionnelle de la sexualité dans les camionnettes tout confort ou entre les buissons ardents. Elle serait aussi psychologue, sexologue et confidente pour maris désabusés. Sans elle, certains hommes éperdus se seraient perdus depuis belle lurette.
La prostituée est la panacée de nos sociétés. La prostituée est sacrée. Ceux qui osent remettre son statut en cause ne sont que d'ignobles moralistes liberticides détestant le sexe, la vie et tout ce qu'elle recèle de précieux. Sus aux censeurs! Défendons becs et ongles dehors ces êtres odieux qui prétendent empêcher l'exercice d'un si beau métier! Le plus vieux du monde est aussi le plus décrié! Sans cet haro d'opprobres et d'indignations, l'esclavage en prostitution disparaîtrait pour ne laisser place qu'à la Race des Elues, à ces prostituées libres et consentantes, enfin reconnues à leur juste valeur...
J'en finirai avec ce constat. Le consentement en prostitution n'a pas plus de valeur que pour les autres types de violences. La prostitution, comme toutes les formes exacerbées de violence, joue sur les tabous pour simplifier les discours multiples, les non-dits et les mécanismes de forclusion, l'impossibilité de dire la vérité des faits, la destruction et la déstructuration psychologique - encore plus que physique. Ce qu'on reconnaît à la femme battue, à l'homme supplicié ou à l'enfant violé, on ne le reconnaît pas à la personne prostituée. Les argumentaires que l'on déploie sont aussi indécents que si l'on entreprenait de légitimer la prostitution des filles malaisiennes par leurs parents. Après tout, ceux-ci étaient pauvres et ils bénéficient d'une certaine aisance matérielle; il suffit d'écouter ces enfants pour prendre conscience qu'elle sont souvent consentantes; ne vaut-il pas mieux pour elles connaître la mansuétude d'un pédophile affectueux que les affres de la famine et de la malnutrition? Remercions les pervers des payx riches pour le bien qu'ils prodiguent en Sierra Leone ou au Cameroun!
Est-il vain de combattre la violence? C'est un autre sujet, qui amènerait bien du pessimisme sur le cours des choses. Le consentement est le plus souvent une question mal posée. Il faut envisager ledit consentement à l'aune des contraintes qui la déterminent. Sinon, on postule que le notaire et le prostitué homosexuel et toxicomane bénéficient du même coefficient de liberté. Tout le travail critique consistera à rompre avec les tabous pour laisser émerger la vérité et l'évidence.
Je m'en tiendrai à cette simple question : pourquoi s'échine-t-on à produire des argumentaires pour défendre la prostitution? Le goût de la violence n'explique pas tout, même s'il explique beaucoup. En l'occurrence, il faudrait rappeler l'argent que rapporte la prostitution à ses bénéficiaires réels : plus de trois milliards d'euros en France, des dizaines en Europe, soixante dans le monde. N'en déplaise aux partisans du réglementarisme, l'argent et la misère sont les nerfs de la prostitution. Les seuls qui expliquent la victoire du pot de fer contre le pot de terre. Quant à ceux qui ne se rendent pas comptent que les mots tuent plus que bien des actes inconsidérés, il leur suffira à présent d'écouter Bruckner ou Iacub pour comprendre par quels mécanismes on peut légitimer le monstrueux. Avec des mots, tout simplement.

1 commentaire:

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Houlala, plutôt d’accord au début mais absolument pas avec ta conclusion.