samedi, décembre 09, 2006

Je suis la vie

De longues dreadlocks surmontées d'un bonnet vert-jaune-rouge, un joint à la main (ou à la bouche), un ballon au pied, Bob Marley est pêle-mêle l'icône de la coolitude ou le champion des opprimés. Ce sont toujours les mêmes chansons qui passent sur les ondes, issues de l'album Legend, une compilation que sortit le label Island après la mort du chanteur et une étude de marché soigneusement agencée. Sur les ondes stéréotypées, Is This Love? ferait plus vendre que Babylon System.
Aujourd'hui que n'importe quel collégien adule Bob Marley sans connaître ses chansons -ou du bout des lèvres-, a-t-on oublié qu'il s'agissait probablement du plus grand chanteur du vingtième siècle, d'une personnalité au charisme exceptionnel et au destin prodigieux? Est-il concevable de réduire cet homme à la représentation merchandising d'une superette ou d'un T-shirt? Marley vaut mieux que le Che! Ce qui ressort toujours de sa biographie, ce sont les mêmes poncifs lancinants et rasoirs, qui en feraient un Doc Gynéco exotique des seventies.
Ayons le courage de le rappeler, la grandeur de Marley ne tient nullement dans l'adhésion au rastafarisme, cette mystique pour allumés du chanvre, dans ses déclarations philosophico-délirantes aux journalistes (la plupart du temps incrédules, voire franchement hilares) ou dans ses conquêtes féminines incessantes (à la fin de sa vie, Marley n'était pas seulement un polygame, c'était un débauché). Inutile d'insister sur son apologie de la marijuana, ni sur sa consommation probable en fin de vie de cocaïne pour résister aux effets dévastateurs du cancer.
Si l'on écoute encore Marley dans deux ou cinq siècles (tant qu'il y aura des hommes en fait), cette postérité tient uniquement à la qualité de ses chansons. Marley fut un génial compositeur de chansons, le roi de la mélodie syncopée, des textes à significations multiples et des concerts homériques. Loin devant les autres chanteurs de reggae, certains de grande qualité, Marley avait l'art de relater l'expérience d'un rude boy de Trench Town en même temps qu'il mettait la chanson en perspective avec l'esclavage et la discrimination que subissaient les anciens esclaves noirs, parqués pour la plupart dans les ghettos de Kingston.
A l'heure où l'on nous bassine les oreilles avec les absurdités incoulables du rap, en légitimant l'apologie de la violence, du machisme et de la haine victimaire, il est bon de rappeler aux apologètes à la mémoire courte que les reggaemen étaient issus des ghettos les plus durs du monde et que la violence omniprésente ne les dissuada nullement de façonner un message de paix et de fraternité.
Marley n'était pas un baba cool rêvant de changer le monde en havre paradisiaque, c'était le chantre de la vie, dont les utopies invraisemblables (rapatrier les descendants d'esclaves en Éthiopie ou adorer le dictateur Haile Selassie I comme la réincarnation noire du Christ, il fallait oser!) s'accompagnaient surtout d'une lucidité sans pareille pour refléter les peines et les joies des opprimés. L'endroit et l'envers de la médaille. Le paradoxe de la réalité. Sans son adoration du Négus, Marley n'aurait jamais composé et chanté Concrete Jungle ou Babylon System. C'est la raison principale pour laquelle les déshérités du monde se réclament de lui, Africains, Indiens ou Amérindiens (Marley est vénéré comme un prophète par certaines tribus d'Amérique du Nord ou de Nouvelle-Zélande). Ceux-là reconnaissent la puissance de vivre qui l'habitait envers et contre tout, la joie jusqu'à trente-six ans, et surtout, surtout, ce génie musical qui rappelle toute l'amplitude du mystère du réel.
Marley est mort d'un cancer à l'âge où d'autres découvrent la reconnaissance, mais nul chanteur ne semble aussi vivant que lui. C'est intrigant, ce pouvoir de vie supérieur que possèdent ceux qui ont su quitter les affres de l'ambition personnelle et de la puissance de soi.
Bob Marley était de ceux-là, de ces rares individus dont la rencontre marque votre vie, à l'instar d'un Nelson Mandela ou d'un Martin Luther King - d'une mère Thérésa aussi, mais surtout pas d'un Malcom X, comme voudraient nous le faire croire les zélateurs de la violence en oubliant de préciser que ce fanatique perdit la vie quand il trahit l'intégrisme des siens pour embrasser une cause plus modérée. Ce n'est pas parce que Malcom X était musulman que les musulmans doivent se reconnaître en lui. A ce régime, les chrétiens s'extasieront bientôt sur le premier prédicateur chrétien fanatique venu.
Contrairement aux stars du rock hautaines et inaccessibles, qui finissent leur vie dans des châteaux, la porte de Marley était grande ouverte et il dormait dans le grenier de sa maison des beaux quartiers de Kingtson (témoignage de son biographe américain Timothy White). Marley donnait l'argent par poignées, parce qu'il avait compris que la musique, un match de foot et Dieu valaient infiniment plus que des valeurs marchandes (des milliers de Jamaïquains vivaient grâce à ses subsides).
Que vaut Bob Marley dans ce siècle où les génocides accompagnèrent logiquement le culte de l'argent et de l'hédonisme étriqué? En écoutant une chanson de Marley, l'auditeur qui sait entendre (car le reggae est réservé à ceux qu'animent les bonnes vibrations) discerne bien plus qu'une bonne chanson : il distingue le triomphe de la vie, la célébration de l'existence contre les peines, contre l'esclavage, contre la souffrance, contra la cruauté, et, j'allais dire, contre les joies elles-mêmes, qui affectent le plus souvent l'existence d'un coefficient de danger supérieur à l'échec. "La joie pèse plus lourd que la tristesse", disait Nietzsche. "La vie vaut plus que la mort", aurait pu ajouter Marley en écho. Entende qui pourra!

2 commentaires:

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