jeudi, décembre 07, 2006

Le sport m'abuse

Selon le quotidien Le Monde, le nouveau Docteur Mabuse, le dernier en date du peloton, ne se contentait pas de "suivre" discrètement la carrière des champions du cyclisme. Il s'occupait aussi activement de la préparation des grandes équipes de football d'Espagne - au premier rang desquelles le Real de Madrid et le Barça, mais aussi Valence ou le Betis de Séville.
Après les scandales de dopage de la Juve, on admet enfin l'évidence : l'Espagne est un Eldorado pour le dopage, et pas seulement pour le cyclisme. Le football constitue bien entendu le terrain de prédilection des Frankenstein du sport. Hormones de croissance, anabolisants, EPO, la panoplie complète du dopé est présente dans toutes les pharmacies des clubs d'Espagne. Cela explique peut-être les résultats exceptionnels qu'obtiennent les clubs ibériques en football depuis dix ans. Je me rappelle de l'équipe de Valence double finaliste de la Ligue des champions sous la férule de Cuper, impavide entraîneur argentin. Les joueurs étaient tous des inconnus galopants cheveux au vent aux quatre coins des terrains. Les journalistes vantaient le style explosif et révolutionnaire de cette équipe. Las! Que sont devenus quelques années après les Mendieta, K. Gonzalez ou C. Lopez qui faisaient les beaux jours de Valence? Disparus sans laisser de nouvelles! Foin du nouvel Ajax et autres billevesées distillées par quelques plumes complaisantes!
Aujourd'hui, les performances de Raul sont celles d'un joueur usé. Roberto Carlos annonce qu'il compte jouer jusqu'à quarante ans. Il n'est pas le seul à nier le phénomène de la retraite sportive : les champions du Milan AC ont déjà initié cette tendance en repoussant outrageusement les limites physiologiques du corps grâce à un centre ultraspécialisé, le Milanello (sic)! Costacurta ou Maldini n'en finissent plus de faire les beaux jours du Milan! Star de foot, un métier éphémère? Voire! Bientôt, nos vaillants guerriers joueront y compris dans la tombe, jusqu'aux limites de leur glorieuse existence, c'est-à-dire la cinquantaine, du moins quand on relève l'espérance de vie de leurs glorieux pionniers, les footballeurs américains bodybuildés des ligues nord-américaines, cet Eldorado qui a eu la bonne idée de légaliser le dopage.
Tant que le spectacle est au rendez-vous, il serait dommage de contrarier les ovulations accélérées de la poule aux oeufs d'or! Plus il y a d'argent, plus le dopage est nécessaire - dure loi du sport. D'ici peu, on trouvera des rhéteurs convaincants issus du monde médical venir nous expliquer que le dopage n'est pas dangereux pour la santé, un peu comme Iacub ou Bruckner nous expliquent que la prostitution mériterait d'être légalisée pour régler le problème de l'esclavage prostitutionnel.
En attendant les premiers morts tombés sur ce glorieux champ de bataille, le football se débat dans l'hypocrisie la plus sidérante, tous les acteurs continuant de faire comme si de rien n'était. Les résultats antidopages sont tous négatifs, les musculatures ont explosé, ainsi que la vitesse et la puissances des athlètes, à tel point qu'en visionnant dix ans plus tard le fameux France-Brésil 86, on s'ennuie ferme. Mais qui sont ces gringalets amateurs qui se passent la balle avec une lenteur désespérante? Quel intérêt de les filmer? Gare au sommeil!
Le dindon de l'opération? Incontestablement le (télé)spectateur, qui, Coluche le relevait déjà, paye là où les sportifs, dans leur excès de générosité, assurent l'avenir de leur descendance. Au passage, les médias, qui forcément n'ignorent rien du mirage aux alouettes, font alternativement souffler le chaud et le froid, avec un discours moralisateurs dont ils ont plus que tout autre le secret. Virenque se dope? Le beau Virenque, le preux montagnard, l'idole des Français le temps d'un Tour, celui des illusions? Au pilori de l'indignation! Personne ne savait. Tout le monde découvre le pot aux roses! Horreur, il paraîtrait, tenez-vous bien, que les sportifs se sont toujours dopés... Il faut impérativement changer les mentalités et stopper cette course aux armements. Quand on découvre les résultats de ces beaux discours, on a de quoi rester songeur : les moyennes du Tour, justement, n'ont cessé de progresser depuis, à l'inverse de l'intérêt du grand public, passablement échaudé par les révélations consternantes. Quand les aficionados apprendront que Zidane est un héros frelaté, ils risquent de virer hooligans de choc par dépit...
Le sport est un show qui se mange froid, nous l'apprenons un peu plus chaque jour, le reflet des dérives de notre société qui vend du rêve par brassées pour mieux masquer que nous fonçons dans le mur. Au fait : si Thierry Henry est obligé de recourir à de nombreuses pharmacopées pour assurer la pérennité de ses envolées de pur-sang (mais rien n'est moins sûr...), le restant de ses supporters oublient dans leur fanatisme que c'est l'humanité toute entière qui court à sa perte à cause du péril écologique. Le monde serait-il dopé?

Je joins une interview parue dans le Monde d'un médecin spécialiste du dopage. Article paru dans l'édition du 09.12.06.

Gérard Dine, hématologue.


Vous êtes médecin hématologue et spécialiste des questions de dopage. Etes-vous étonné par les révélations du Monde, dans son édition datée 8 décembre, qui lient des grands clubs espagnols de football et le docteur Eufemiano Fuentes, organisateur présumé d'un réseau de dopage ?

Pas du tout. Les problèmes de dopage dans le football sont connus depuis dix ans. En Italie, le procureur adjoint de Turin, Rafaelle Guariniello, a ouvert, en 1998, une vaste enquête. Elle a montré que plusieurs clubs étaient impliqués dans un système de dopage organisé.

J'ai été mandaté comme expert, dans cette affaire, pour travailler sur des dossiers médicaux anonymes de joueurs professionnels, datant des saisons 1995 et 1996. Leur observation permettait de conclure à un dopage médicamenteux et sanguin, avec probablement de l'érythropoïétine (EPO) et des transfusions. Seule la Juventus Turin a été poursuivie (le médecin du club a finalement été relaxé en appel).

Il ne faut pas oublier que, lorsque le juge Guariniello a débuté son action, il s'est intéressé au football, avant de tomber, dans un second temps, sur des dérapages dans le cyclisme, dans la foulée de l'affaire Festina. C'est logique, aujourd'hui, de constater que l'affaire espagnole ne concerne pas que des cyclistes.

A quoi ressemble un plan de préparation-type recourant à des produits dopants ?

A distance de l'événement où il faut être performant, le travail concerne le transport d'oxygène, avec des transfusions et de l'EPO. Puis, à proximité de la compétition, il s'agit de renforcer les capacités musculaires, avec des hormones de croissance, des stéroïdes ou des hormones thyroïdiennes. Enfin, en période de récupération, il s'agit de restructurer les muscles et de recharger le métabolisme. Ici intervient notamment l'IGF 1 (Insulin Growth Factor).

Le docteur Fuentes justifie l'utilisation de produits prohibés en avançant un usage thérapeutique, considérant que le sport met parfois en danger la santé des sportifs. Que pensez-vous de ce point de vue ?

Cela revient à considérer que les sportifs sont des malades. Selon moi, si on est malade, il faut se mettre en arrêt de travail, et ne pas pratiquer le sport.

Mais c'est vrai qu'une charge intensive d'entraînement peut avoir un effet délétère sur le niveau des globules rouges, qui devient dans certains cas presque pathologique. Une baisse de ce niveau est surtout mauvaise pour la performance sportive, car elle pénalise le transport de l'oxygène.

Le dopage sanguin permet de faire remonter ce niveau. Il y a cependant une différence entre les vrais malades, que je traite en tant qu'hématologue, et qui en ont réellement besoin, et les sportifs.

Le sport de haut niveau est-il mauvais pour la santé ? Peut-être. Si, pour éviter un risque, il faut recourir à de l'EPO ou à des transfusions, c'est une manière de court-circuiter le problème. Le problème, c'est la surenchère des sollicitations du corps.

Comprenez-vous que, si on accepte le sport de haut niveau, avec ses calendriers surchargés d'épreuves, on puisse recourir, en tant que médecin, à des produits interdits par les codes du sport ?

Pour moi, aujourd'hui, on ne peut pas le cautionner. Ce sont des moyens médicaux qui ne sont pas anodins. Ils ont leurs propres effets, qu'il faut mesurer. Il y a un risque médical.

Cette réserve vaut-elle pour tous les cas ?
On est au coeur du problème. Il faut aller plus loin que la simple entorse aux règlements sportifs. Le docteur Fuentes, dont je ne partage pas le point de vue, a le mérite d'argumenter par rapport à une situation en vigueur.

On peut pousser sa logique et se dire que certains sportifs sont handicapés par un taux de globules rouges dans le sang naturellement bas, et que le dopage sanguin représente le seul moyen de maintenir ce niveau, en cas de pratique physique intense.

S'il s'agit de rééquilibrer une situation anormale pour quelqu'un qui est prédisposé à être limite, alors, selon moi, il faudrait le déclarer, pour permettre un contrôle. Aujourd'hui, la réglementation sportive considère qu'il ne peut y avoir de justification thérapeutique pour administrer des transfusions ou de l'EPO à des gens dans ces situations.

Le débat du dopage thérapeutique mérite-t-il d'être posé ?

Il y a aujourd'hui une très grande hypocrisie. Si l'on veut débattre, il faut d'abord mettre les données sur la table. Les contrôles antidopage ne permettent pas d'avoir une vision de la réalité de ce type de dopage. Le suivi biologique, lui, permet de se faire une idée. Mais il relève de la médecine, et est couvert par le secret médical. On est dans le masque, l'omerta, le non-dit.
Propos recueillis par Pierre Jaxel-Truer

2 commentaires:

rosi a dit…

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Merci pour ce billet très agréable… et souriant (pour un sujet pas évident) !