mercredi, novembre 29, 2006

Le grand cirque du sport

Qui a déjà contemplé à Rome l'immense stade qu'Auguste fit construire pour accueillir ses Jeux? Il en reste trois briques. Les gladiateurs n'avaient pas un sort très enviable : destinés au combat, ils savaient leur vie courte et cruelle. Elle devait connaître aussi son lot de plaisir et d'adoration trouble - mais passons sur cette répétition trouble, qui nous apprendrait que bien des sportifs de haut niveau fréquentent avec assiduité les call-girls et les circuits de la prostitution de luxe. Aujourd'hui, les footballeurs et autres sportifs médiatisés connaissent une telle célébrité que la rumeur qui accompagne leurs exploits les veut heureux et comblés. Bénis des dieux, maintenant que Dieu est mort. Selon le titre choisi pour un célèbre calendrier célébrant la nudité de rugbymen transformés en vedettes de la pornographie gay, les grands sportifs ne sont-ils pas devenus les dieux du stade? Peu de jeunes rêvent d'embrasser la carrière de juges, mais un nombre incalculable donnerait leur vie pour devenir champions de sport. Bien qu'il soit très difficile de réussir l'Ecole de la magistrature, il est pourtant encore plus improbable de gagner l'adulation sportive des foules en transe.
Pourtant, ce ne sont pas les candidats à la reconnaissance qui manquent! La représentation objective du sportif de haut niveau se situe aux antipodes de l'image que la société de consommation célèbre à toute force, y compris contre l'évidence. Le sportif est un dopé notoire prêt à tout, y compris à risquer la mort prématurée, pour parvenir à ses dérisoires objectifs. Le sportif est en quête perpétuelle de performances. Pour améliorer son sprint de quelques centièmes, il tuerait son père et violerait sa mère, sans que personne n'y trouve à redire : contrairement à Oedipe, le sportif souffre (dans tous les sens du terme) d'impunité caractérisée.
Justement, l'hypocrisie de la société montre à quel point le sport de haut niveau illustre le fonctionnement de notre morale. Le sport charrie des milliards et des milliards d'euros. Il n'est qu'à rappeler les budgets respectifs de la FIFA et des JO pour se rappeler que le sport dépasse en richesse les structures d'Etats comme la France ou l'Allemagne. Le but? Est-il vraiment d'endormir le peuple? Qu'on rappelle le réel visage du sport professionnel et médiatisé : le dopage et la corruption en sont le quotidien glauque. Ils le gangrènent d'autant plus qu'il se réclame avec force et conviction du plus moralisateur des messages : "Santé, Vitesse et Eternité" pourrait constituer son tryptique détonnant. Sans doute est-ce la raison pour laquelle un sportif ne consent jamais à reconnaître son dopage. Trahir ce secret, c'est déchoir de son piédestal pour retomber dans la fange. Pantani en sait quelque chose. L'adoration des idoles du sport s'explique en effet par l'image de Surhommes confinant au divin qu'elles charrient. Les nouveaux Hercule galopent souvent, en compagnie des chevaux et d'autres bêtes moins nobles, à l'intérieur des lignes bien délimitées de prés chamarrés.
Sur le moralisme, rien d'étonnant : depuis Molière, on sait que le tartuffe n'est pas l'apôtre de l'immoralisme (en un mot l'épigone de Sade), mais des bons sentiments. Le forfait se justifie toujours par la présentation mielleuse de quelque bon principe - Article premier. Sur l'hypocrisie, elle est avant tout l'apanage surprenant du public : je veux dire que chacun sait ce qui se passe dans le sport moderne - la triche, les perfusions d'EPO et d'autres produits de synthèse, les anabolisants, etc., etc. Personne en tout cas ne peut l'ignorer depuis le scandale du Tour de France. Or, que constate-t-on depuis? Jamais les coureurs cyclistes n'ont pédalé si vite! Lance Armstrong a gagné une demi douzaine de Tours dans l'indifférence générale et l'acceptation du mensonge. Les médias, qui sont aux premières loges pour connaître la réalité du mensonge, feignent l'indignation après la ferveur béate. Ils tuent à petit feu la poule aux oeufs d'or, mais tant que le public suit, il n'y a pas de raison que le spectacle change. The show must go on!
Le rugby se portait comme un charme avant que l'inquiétant magnat des médias australien Rupert Murdoch ne mette les deux pieds dans le plat de l'Ovalie et n'investisse de ses devises la zone Hémisphère Sud. Depuis : les rugbymen ventripotents sont devenus des athlètes bodybuildés et sexy, à tel point que les éructations des All-Blacks ont perdu de leur pittoresque et résonnent aux oreilles expertes comme autant de vociférations mensongères.
Le football n'est sorti indemne des scandales de corruption et de dopage qu'au prix de l'appui inconditionnel des puissants de ce monde. Nous vivons dans une triste époque où le Brésil se fait sortir par la France sur un coup franc surnaturel (à vingt mètres des buts brésiliens, Roberto Carlos, l'un des plus grands arrières latéraux de tous les temps, refait ses lacets en toute innocence alors qu'il est préposé au marquage de Henry et que celui-ci va tranquillement inscrire son but le plus facile de la Coupe du monde) et où l'Italie remporte un nouveau titre mondial l'année du scandale du Calcio. Le championnat italien est endeuillé des plus graves soupçons portés sur son intégrité (déjà largement compromise par le passé). L'Italie aura remporté ses matches avec des joueurs plus que suspects et le Ballon d'Or 2006 fut décerné à Cannavaro, ancien joueur emblématique de la Juve. Sans commentaire.
Zidane assène un coup de boule planétaire? Immédiatement, c'est la ruée. Vers l'or. Les uns éructent, les autres soutiennent des théories extravagantes sur le héros redevenu l'espace d'un geste impulsif un simple humain. Qu'on se rappelle le texte ridicule d'un Nabe célébrant Zidane-la-racaille à grands renforts d'interprétations grandiloquentes alors que son altercation avec Materazzi s'est résumée à une banale dispute d'abrutis. La vérité? Zidane est simplement l'auteur d'un geste stupide et violent, comme des dizaines d'autres émaillèrent sa carrière - largement surestimée au demeurant. Pauvre Zidane! Avait-il besoin, en dernier outrage, que le Président de la République française en personne le soutienne de la plus absurde des manières pour soigner son électorat? Comment voulez-vous que Le Pen ne monte pas dans les sondage après une telle apologie de la bêtise en direct? Si l'Arabe le plus célèbre de France est intouchable quand il déraille, le beauf caillassé par les caïds d'origine maghrébine de son quartier risque de ne pas supporter le deux poids deux mesures!
Pendant ce temps, le vrai génie du football contemporain passe ses journées à l'infirmerie. Je veux parler de Ronaldo, que ses genoux ont trahi à force de supporter les coups et une musculature trop développée. L'important est de répéter qu'aucun scandale ne sort dès que l'on parle de foot. Trop sacré pour y toucher, mon fils! Il n'est besoin que de se rappeler le traitement partial dont les médias français gratifièrent l'événement judiciaire. Le scandale du dopage qui atteint la Juve (un de plus!) n'atteint pas les joueurs français qui y passèrent. Del Piero est certainement dopé, pas Zidane ou Deschamps... Tiens, ce dernier est aussi l'actuel entraîneur de la Juve. Autre coïncidence troublante, l'ancien sélectionneur de l'équipe d'Italie, Marcelo Lippi, fut l'entraîneur de la Juve de ces années troubles. Sans être inquiété... Pas plus que Fabio Capello, qui a migré au Real de Madrid (avec Cannavaro et Emerson) après que son club ait été convaincu de triche envers les arbitres (avec d'autres clubs il est vrai). Thuram échappe au procès qui incrimine les joueurs de Parme et était aussi à la Juve de Moggi. Il joue désormais au Barça, pour un salaire astronomique et avec une aura qui l'autorise à défendre les sans-papiers. Comme Madonna ou Angelina Jolie adoptent des enfants et le font savoir, la star sportive d'aujourd'hui multiplie les actions caritatives. Sans toujours beaucoup de succès si l'on en juge par la portée des actes de Thuram.
Arrêtons cette petite liste non exhaustive des dérives concernant le sport le plus populaire au monde. Ce qui est vrai du foot est aussi vrai dans tous les domaines. Ce que l'on a dit du cyclisme vaut peu ou prou pour les autres sports. Ben Johnson n'était sans doute guère plus dopé que ses adversaires présents sur la même ligne du 100 mètres et les nageuses chinoises ne sont que les caricatures inquiétantes d'habitudes qui ne concernent pas seulement la Chine post-communiste.
Alors, encore et toujours, pourquoi cet engouement pour ce spectacle mensonger, cette adhésion à une morale de l'hypocrisie absolue ?
Parce que le sport reflète l'aspiration intime de notre époque, où l'on ne parle plus que de dépassement et de surpassement. Dans un monde où l'homme a pris la place de Dieu, pour le meilleur et pour le pire, le sportif incarne la puissance en acte et le désir d'accession à un pouvoir infini et indéfini. La quête de record représente au fond l'attente d'un public qui aimerait bien changer de réel sans qu'il puisse accéder à cette demande fantasmatique. Il y a le désespoir abyssal et la frustration portée à son firmament derrière les hurlements d'encouragement hystériques des supporters, qui ne savent que trop que leurs héros sont frelatés et qu'ils ne peuvent opérer la transmutation merveilleuse (proche de l'alchimie) qu'ils attendent d'eux. Le sportif est coincé sur son échelle de la finitude, dans un cercle vicieux qui est aussi une course folle. Toujours plus!, pourrait-on résumer. Ce serait l'adage de notre époque folle, qui croit que l'accélération du rythme de la vie à un niveau de convulsions trépidantes permet d'accéder à la sixième dimension, celle de la transcendance. L'homme a remplacé Dieu par le culte de la puissance et de la vitesse, en somme. La performance est l'indice de la valeur humaine. Le culte du travail a remplacé celui de l'oisiveté. Aller expliquer à un Athénien cultivé du siècle de Périclès qu'il fallait se tuer à la tâche, il vous aurait ri au nez. On avait de l'honneur et on était prêt à mourir au combat, mais sûrement pas pour du travail! C'était le vil apanage de l'esclave, pas du citoyen!
Quel est le prix de ce tragique mirage? Car les choses n'en sortent nullement affectées, il faut le répéter. Les sportifs, comme les gladiateurs, sortent lessivés de cette pressurisation outrancière. A trente ans, ils sont physiquement détruits; bientôt, à quarante, ils approcheront de leur trépas, un peu comme les footballeurs américains, dont l'espérance de vie n'excède pas la cinquantaine (pour se montrer optimiste). Ils ont beau jurer qu'ils s'en moquent et sont heureux de ce nirvana éphémère qu'offre la célébrité et la reconnaissance, de cette ivresse de succès et de réussite, personne ne les croit. Chacun sait trop que les performances sportives sont grotesques et sans intérêt et que le mérite qu'il a à contrôler de la main ou du pied un ballon n'est que très limité. C'est toute notre société qui se trouve aspiré dans le miroir révélateur du sport. Non, nous ne nous en sortirons pas par plus de productivité, plus de profits et plus de concurrence. Le retour à l'humain et au lien religieux est urgent. Pas par les anciennes formes, dépassées. Mais par de nouvelles, à venir.
Une dernière remarque, d'importance. A tout prendre cependant, la morale chrétienne, avec toutes ses outrances et ses offenses, valait mille fois mieux que la moraine de la modernité. C'est un triste constat, dont la face solaire nous ramène à la nostalgie désuète de l'amateurisme et des parties entre amis.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Call Girl, 1977 film avec Teresa Rabal, Sandra Mozarowsky, Barbara Rey , Jennifer O Neill.....