L'axe du mal

On nous rebat les oreilles avec le préjugé condescendant dont les méprisants Occidentaux useraient contre les autres cultures (ou civilisations). Ainsi a-t-on entendu après le 11 Septembre un G. W. Bush insister sur l'axe du Bien et du Mal et répéter sa volonté de montrer au monde à quel point l'Amérique était bonne. On a vu le résultat : on aura bien des difficultés à comprendre que les petits Irakiens puissent éprouver de la haine contre les gentils GI'S après le formidable travail de reconstruction opéré sous la férule de Donald Rumsfeld et des stratèges du Pentagone. Le rapport Baker est un modèle de félicitations unanimes pour la gestion du conflit et de l'invasion (dont on se souvient qu'elle intervint dans les meilleures conditions).
En bref, on devrait décorer Rumsfeld du Prix Nobel de la Paix. Grâce à des personnalités comme lui, la guerre et l'insécurité ont reculé dans le monde depuis cinq ans. L'Irak est pacifié. Ainsi que l'Iran et la Syrie. Israël et la Palestine se sont réconciliés et l'Etat hébreu, avec les conseils uniques de W, a même poussé le zèle jusqu'à initier une coopération constructive avec le Liban. A tel point que le Hezbollah n'a plus aucun pouvoir dans la région et que Nasrallah est considéré comme un rigolo - tout pareil que le Hamas.
Avec l'Axe du Mal (laissez le charme agir...), on n'a pas seulement stigmatisé des blocs imaginaires depuis la perspective occidentale. Edward Said a montré que l'Orient était une construction littéraire ou fantasmatique, mais que la réalité était bien plus complexe que ce bloc. Le drame est que ces constructions ne sont pas unilatérales et qu'elles n'émanent pas seulement de certains Occidentaux à courte vue. Le reste du monde a aussi réduit, dans un mimétisme frappant et redoutable, les pays d'Europe et d'Amérique du Nord au mythe de l'Occident. Or, pas plus que l'Orient, l'Occident n'existe vraiment. La critique de Said est valable dans les deux sens - ou elle n'est pas. Les islamistes qui essaient de nous vendre leur vision alternative à la culture occidentale décadente et nihiliste se rendent-ils compte qu'ils reproduisent le même type de généralisation abusive et mensongère? Bush et Nasrallah, même combat?
La comparaison n'est pas si saugrenue. Certes, Bush est un démocrate (très républicain il est vrai!), mais il participe de groupes d'oppression (plus que de pression) qui dans tous les pays ont intérêt à créer les clivages ou augmenter ceux en place en laissant croire à leur existence.
Quelle est la différence entre un Noir, un Arabe et un Blanc? Aucune. Les voyages montrent le plus souvent l'extrême richesse des individus rencontrés à l'étranger. Par contre, le tribalisme originel et ses modernes avatars frelatés (toutes les communautés au sens politiques et exclusifs en fait) profitent à des petits cercles dont le pouvoir tient à la propagation des haines et des suspicions. J'ai déjà dit que le fond de commerce du Hamas en Palestine était la guerre et non les négociations avec Israël. J'ai bien peur que ceux qui s'agitent derrière Bush soient à ranger dans la même catégorie : la dénonciation du terrorisme islamiste (bien réel au demeurant) et son exagération irrationnelle servant des intérêts géostratégiques inavouables au détriment de tous les peuples.
Le cynisme crée la haine qui engendre la violence, dans une spirale sans fin. En un mot comme en cent: il n'existe pas d'axe du Mal, de Grand Satan et autres extravagances. Le débat en la matière pourrait se réduire à une seule question, terrible et implacable : où est Ben Laden? Derrière cette interrogation, qui abrite peut-être une marionnette (le vrai Ben Laden serait-il celui des Guignols de l'info?), se tapit un rappel fondamental et ontologique, aussi : le réel n'est ni blanc, ni noir - il est gris.