jeudi, décembre 14, 2006

Le tribut de la tribu

Aujourd'hui qu'on se targue d'être universel, qu'on se réclame de l'Humanité et de l'Homme, on oublie que l'humanité, la vraie, s'est d'abord constituée d'une myriade de tribus hostiles et guerrières. Avant que les nations n'adviennent régnaient la multitude tribale, ce dont témoigne peut-être le mythe de la tour de Babel. Il suffit de se rappeler des Grecs pour comprendre que la tribu prend son identité de valeurs communes ne doutant jamais de leur vérité. "Qu'est-ce que la vérité?", ose le scandaleux Pilate avant de se laver les mains de son outrage. Longtemps, les hommes ont eu peur de perdre de vue la vérité (et de perdre la vue en l'apercevant). Sans vérité, point de sens, et sans sens, point de lumière. L'homme craignait comme la peste l'obscurité.
La face solaire de la lumière, c'était la certitude du vrai. Le revers, l'intolérance face à la différence. La grande thématique de l'humanité? Pour croire au même et à l'autre, il faut croire au sens. Pour instituer les différences entre tribus, la distinction implique la possession de la vérité. Sans quoi on risque fort d'opposer au doute et à la tolérance l'intolérance et le dogmatisme. Ce n'est pas un hasard si Montaigne fait preuve de relativisme intelligent (c'est-à-dire non dogmatique) quand Platon ne doute guère de sa vérité métaphysique et politique. Platon honnit les sophistes avec la mauvaise foi du génial métaphysicien persuadé de détenir la vérité.
Osons le scandale : tribalisme et racisme ne feraient-ils qu'un? Enfin, le racisme... Plus exactement la xénophobie. Aristote était naturellement xénophobe, comme l'aurait noté malicieusement Rabelais. Xénophobe et non raciste, c'est-à-dire : sanctifiant l'exclusion de toutes les valeurs étrangères à la communauté. Le racisme est l'enfant monstrueux du tribalisme, l'essentialisation du tribalisme en différences qualitatives entre les hommes. Le tribalisme se contente d'établir la différence, non entre d'hypothétiques races, mais entre la vérité et l'erreur, c'est-à-dire entre le Sens et la barbarie. Inutile de rappeler que les Grecs nommaient l'étranger le barbare - celui dont on ne comprend pas la langue. Le tribalisme sanctionne bien le problème fondamental du sens.
On pense souvent que l'hospitalité et la xénophobie sont antagonistes. C'est l'inverse qui est vrai. Le tribalisme est dans son fondement hospitalier. Car l'hospitalité ne consiste nullement à intégrer l'étranger à la communauté, mais à rappeler le caractère étranger, voire étrange, du visiteur. Egalement à établir l'échange nécessaire entre le même et l'autre. C'est dire que l'hospitalité insiste éminemment sur la respectabilité de l'hôte et l'étrangeté de l'invité. En l'occurrence, l'hospitalité renforce les distinctions de valeurs.
Le tribaliste est d'autant plus hospitalier avec l'invité de passage qu'il est hostile à l'intégration. Ce n'est pas un hasard si les sociétés authentiquement tribalistes engendrent tant de guerres tribales. Les hécatombes qui ponctuent les relations intertribales sont tout à fait logiques dans la mesure où elles rappellent avec cruauté la différence entre le vrai et le faux.
A l'aune de ces principes, on mesure les tensions qui ne pouvaient que secouer les sociétés occidentales à partir du moment où celles-ci ont rompu dans leurs principes politiques avec le tribalisme pour tendre vers l'universalisme. En même temps, ces sociétés sont traversées par la persistance de l'influence tribaliste. Le racisme, la xénophobie, le nationalisme découlent principalement de réactions logiques face à cette tension antagoniste.
On s'indigne de nos jours du racisme comme s'il résultait spécifiquement de l'Occident, de ces nations intolérantes, ethnocentristes, nationalistes, impérialistes, esclavagistes, colonialistes, j'en passe et des meilleures! En réalité, ces maux n'ont acquis de visibilité dans nos société que parce qu'ils y sont condamnés, alors que leur légitimité dans les sociétés tribalistes coule de source. Il n'est qu'à constater l'antiracisme véhément et indigné dont se réclament les minorités pour stigmatiser la xénophobie latente des méchants Français. Cet antiracisme de bonne foi implique en toute logique le racisme. Sans qu'il y trouve à redire, le Français d'origine arabe, qui ne cesse de stigmatiser les discriminations dont il est l'universelle victime, réclame d'autant plus la tolérance pour ses beaux yeux que sa mentalité est intolérante. De même pour l'homosexuel militant d'Act up, qui, quand il ne hait pas les hétérosexuels, recourt aux méthodes totalitaristes et à la violence pour faire entendre sa cause aux plus sourds. Et pourquoi pas, bientôt, le Droit des Chiens à une vie humaine et égalitaire (par l'intermédiaire de leurs maîtres, par exemple)? On se souvient de l'impayable Lettre sur les chimpanzés dont nous gratifia Clément Rosset.
Le vrai antiraciste se reconnaît à un signe infaillible : il condamne les racismes qui lui sont étrangers - pas celui qu'il subit en victime trop lucide. Cette constatation de bon sens (car le bon sens est la chose la moins bien partagée, n'en déplaise à Descartes) me pousse à aborder l'aspect nécessairement conservateur, voire réactionnaire du tribalisme. Le sens étant en possession privilégiée de la tribu, il ne saurait évoluer dans le temps. Le conservatisme n'est pas seulement le bon sens modéré d'un Montaigne, observant, au grand dam des progressistes enragés, que la conservation a au moins l'avantage de conserver les traditions bénéfiques et d'empêcher l'avènement d'innovations malignes. Le conservatisme est ici fidélité au Sens donné une fois pour toutes.
Toutes les querelles autour de l'Islam actuel partent à mon avis d'une confusion entre l'Islam et l'islamisme. L'Islam n'est nullement tribaliste. L'islamisme l'est jusqu'à la réaction. Qui plus que le tribaliste fait l'éloge de la pureté? Qui plus que le tribaliste réclame le retour aux sources du Vrai, allant jusqu'à refuser l'évolution temporelle? (Où l'on voit que l'islamisme, d'inspiration tribaliste, trahit, en s'en réclamant d'autant plus, l'Islam, dont il refuse l'approche interprétative et évolutive).
Le défaut du tribalisme? Il est d'incarner de manière anthropologique la position métaphysique qu'illustre Nietzsche en parlant du désir forcené de certitude qui anime à ses yeux un Parménide (je dis bien à ses yeux, car Rosset en fait une lecture complémentaire). Les attaques menées de nos jours contre l'Occident n'émanent nullement de forces progressistes reprochant à l'Occident ses outrances réactionnaires. Elles proviennent de forces réactionnaires attaquant le progressisme occidental. Non que l'Occident soit irréprochable, loin s'en faut, mais que, précisément, sa vertu politique explique les violentes attaques dont il est la victime - le progressisme ne passera pas! Quant à ses nombreuses dérives, on remarquera qu'elles ne sont jamais titillées. Pencheraient-elles du côté du tribalisme?
Contrairement à ce qu'elles aimeraient faire croire, les forces tribalistes attaquent l'Occident avant tout pour son progressisme universaliste. Les tribalistes perçoivent par trop ce que l'esprit critique engendre de dommages pour la vénération de la tradition. Ils ont compris qu'ils engageaient une lutte à mort avec le progrès véritable. Ils ne savent que trop qu'ils sont appelés à succomber tôt ou tard. Le plus tard possible à leurs yeux sera aussi le mieux. C'est pourquoi ils usent d'une ruse payante dans l'immédiat, mais qui se révélera leur perte légitime à plus long terme : ils se sont travestis, vieille manoeuvre de guerre chers aux Grecs d'Homère, en leur opposé exact, se prévalant du progressisme pour mener leur guerre tribaliste et réactionnaire. A l'heure actuelle, les tribalistes se présentent comme des progressistes opprimés et victimes de l'impérialisme, luttant contre le tribalisme occidental ! Leur condamnation est déjà inscrite dans le sceau de leurs attaques. D'ici là, quelques millions de morts et des velléités de destruction devraient secouer les membres gangrenés de leur vieux corps malade...

2 commentaires:

patrick a dit…

L'évolution de la tribut suit la progression de la communication,du franchissement des obstacles naturels:grotte,clairière,région(fleuve),nation(montagne et mer),continent(économie).
Tant que nous serons attaché à la terre et ne serons pas régulariser notre démographie,le monde restera tribal afin de pouvoir faire de la place dès que nous nous sentirons à
l'étroit.
Pardonnez ma monstruosité!

www.pourquoiquelquechose.com

susane a dit…

Hey grand poste. Je dois apprendre beaucoup de choses de ce poste. Merci d'avoir partagé.

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