jeudi, février 22, 2007

La reconnaissance

Récemment, Nicolas Delon, responsable de l'Atelier Clément Rosset, m'a reproché, à propos d'une critique de la critique (littéraire), d'être haineux et mesquin. Pour la mesquinerie, je ne sais, mais pour la haine, je le prends comme un compliment! Tout écrit à visée polémique ne saurait échapper à son étymologie. En l'occurrence, la guerre. Faire la guerre à son époque est le but explicite de la satire. Si l'on en croit Wikipédia, l’objet de la satire est de ridiculiser son sujet (des individus, des organisations, des États…), souvent dans l'intention de provoquer ou prévenir un changement. Selon le petit Robert, le sens moderne et courant est : « Écrit, discours qui s’attaque à quelque chose, à quelqu’un, en s’en moquant ».
Moi, ce genre de définition me convient tout à fait. Du coup, je ne ressens même plus le besoin de me réclamer de glorieux aînés comme Horace, Juvénal ou Boileau pour creuser mon sillon. Ridiculiser les enflures de la modernité est un passe-temps qui me charme et m'enchante. Le seul bémol éthique que j'inscris à ma Charte du Polémiste Satirique est de ne jamais attaquer les personnes en tant que telles (dont d'ailleurs j'ignore la plupart du temps tout). Je peux certes m'en prendre à tel ou tel événement privé, mais à condition qu'il fasse sens et qu'il appartienne au domaine public (ce qui implique une certaine contradiction).
Quant à la qualité de la polémique que j'instille, désolé, ce n'est pas à moi d'en juger. Pas plus que le goûteur, je ne saurais être à la fois juge et partie, sans quoi je me retrouverais, ainsi qu'Obélix chez Cléopâtre, goûteur dégoûté. Je retiendrai plutôt la signification d'ordinaire très négative que l'on accorde à la haine. Non qu'on méprise la haine comme un sentiment de peu sde cas, mais qu'on en redoute plutôt la puissance menaçante.
On a tendance à assimiler le haineux (au moins en son sens le plus inquiétant) au meurtrier. Cas de tous les tueurs en série, mais cas aussi de Platon, qui, selon Diogène Laërce je crois, projeta de brûler tous les écrits de Démocrite pour qu'il n'en subsiste plus de traces. Comme toujours, le projet crapuleux s'augure des meilleures intentions : en l'occurrence, il s'agit d'épargner à la société la contemplatoin d'idées pernicieuses et blasphématoires.
Il me semble que je ne verse pas dans la pente dangereuse de la censure, ni, d'une manière plus générale, dans le penchant homicide qui consiste à faire disparaître les aspérités du réel qui en rendent l'expérience maliasée, sinon impossible. Dans ce cas, la haine peut être à bon droit considérée comme universelle et dangereuse. Car c'est la même chose que de souhaiter la disparition totale du réel et sa transformation partielle (et partiale). Le terroriste sait trop bien qu'en exigeant la disparition d'un certain objet, il (ab)use d'un prétexte. L'objet incriminé correspond en fait au bouc émissaire provisoire de son intention exterminatrice, bientôt remplacé par un autre, dans un cercle vicieux indéfini, pour satisfaire tant bien que mal les exigences de sa rancœur personnelle. Cette haine homicide est impossible en ce que le réel ne saurait accoucher d'une disparition - tout au plus d'une modification infime et infinitésimale.
A l'opposé, le ressentiment consiste moins en la faculté de destruction qu'en l'impossibilité de réagir à quoi que ce soit, y compris au plus venimeux (ainsi que l'énonce Clément Rosset dans ses Notes sur Nietzsche). L'homme du ressentiment est le faible par excellence, celui dont le miel cache le fiel, que certains événements fâcheux ou contraires (ainsi que les vents) se chargeront de révéler - à son corps défendant, il va sans dire.
Contre le ressentiment, on attend de l'homme de la joie qu'il se montre d'un assentiment total envers le réel. Autant dire qu'on exige de lui l'impossible par excellence. Si la haine est le fait de dire toujours non, ainsi que la poupée de Dutronc, la joie reviendrait à dire constamment oui. Reste cependant à concevoir la nature de ce oui. Accepter tout du réel supposerait en effet qu'on accomplisse trait pour trait le programme du ressentiment, soit le fait de ne pas réagir.
S'ériger en jugement, affirmer ce que l'on aime ou n'aime pas, est plus un pari risqué qu'un signe attentatoire contre le réel. Il y a loin entre la volonté de destruction et la volonté d'évaluation. Entre-t-il de la haine dans cet acte critique? Sans doute. Je définirais pour ma part cette haine comme la violence qui consiste à entériner le fait que le monde soit, pour l'homme et pour lui seul, si imparfait.
Il n'entre dans l'intention satirique aucun désir d'améliorer le monde, mais plutôt d'en faire l'inventaire et le partage entre ce qu'on aime et ce qu'on goûte moins - voire ce qu'on déteste franchement. On remarquera que la détestation n'engendre nullement la volonté de disparition. Pas même celle de modification. Car le réel est suffisamment grand pour se débrouiller seul sur ce plan (et sur tous les autres). Si modification il y a, elle ne découle nullement de l'initiative indépendante et solennelle d'une bonne (ou mauvaise) volonté.
Toute polémique se trompe lourdement si elle estime inspirer le changement. L'inverse est vrai (et nettement moins glorieux). C'est le changement qui l'inspire, avec tout ce que ce terme comporte de mystérieux. La satire est sans doute un témoignage divertissant et pimenté sur une époque. Il est certain que la différence entre une bonne et une mauvaise satire tiendra à la pertinence des jugements effectués.
L'important à mes yeux est d'opérer le lien entre l'intention polémique et l'amour du réel, étant entendu qu'on peut aimer le réel et le manquer à l'occasion. A l'impossible, nul n'est tenu! L'échec appartient aussi à la tragédie de la représentation, qui ne revient au mieux qu'à apporter un correctif imparfait à une myopie d'importance - autant dire une rustine à une crevaison carabinée. L'amour ne consiste nullement à tout approuver du réel, mais à reconnaître son existence, y compris et surtout dans les penchants que l'on estime les plus détestables. Ce n'est pas un hasard si la critique comme évaluation rejoint la critique comme dénigrement. Pour ce faire, il faudrait que le réel ne soit pas le réel, mais rejoigne l'idéal tel du moins que l'homme se le figure (avec haine et intention destructrice, cette fois). Celui qui prétend tout aimer du réel est moins un amoureux transi qu'un impénitent réactif. Manifester de la haine à l'occasion est le plus sûr moyen d'accéder à la reconnaissance du réel.
Il serait temps de s'autoriser à faire son miel de l'imperfection de toutes choses. Le droit à la détestation est le sentiment qui permet non seulement d'accepter le réel tel qu'il se présente, mais de surcroît d'en ordonner l'évaluation subjective. La polémique est ainsi la reconnaissance de l'existence dans sa généralité et sa singularité. Se donner les moyens de critiquer, même sévèrement, implique en effet qu'on ne dénie à aucune chose son droit à la présence.
Quel est le plus difficile devoir de l'existence? Accepter le réel sans recourir à d'ingénieux artefacts pour n'en pas distinguer les aspects trop douloureux ou cruels. Où l'on constate que la haine prêtée à la visée polémique diffère grandement de celle qui conduit à la destruction ou au fantasme de destruction. Dans le second cas, la haine poursuit l'illusion de l'absence. Dans le premier, elle réalise les conditions d'avènement et de manifestation de la présence.

1 commentaire:

rosi a dit…

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