mercredi, février 28, 2007

Islamisme et modernité

Si j'en crois Régis Debray (Sur le pont d'Avignon, p. 62), "cela fait plus de trente ans que la médiologie explique sur tous les tons possibles que l'islamisme ne porte pas babouche et djellaba mais attaché-case et portable, que l'intégrisme ne sort pas des facultés d'histoire et des belles-lettres mais des écoles d'ingénieurs et de technologie".
Comme Debray écrit de manière illisible (la mauvaise écriture serait-elle profondeur ou médiocre conception de la pensée?), je renonce à citer la phrase suivante, dont le sens est passablement embrouillé (pour moi!). Toujours est-il qu'il n'est pas besoin d'être médiologue ou de pratiquer cette discipline ténébreuse pour avoir constaté cette vérité. A vrai dire, je n'ai jamais compris l'étonnement des médias, "spécialistes" et autres intellectuels quand ils se sont aperçus que les terroristes du 11 Septembre n'étaient pas des sauvages, mais des diplômés issus de classes sociales aisées. Cette conception frise le racisme : quoi? Un terroriste pourrait avoir accès à la civilisation (sous-entendu : occidentale)?
C'est l'inverse qui est vrai : jusqu'à plus ample informé, c'est au contact de la civilisation occidentale que l'individu devient terroriste. Pourquoi le Nukak se suicide-t-il en sortant de la forêt amazonienne et en découvrant les rues de Bogota? Parce qu'il est désespéré! Certes. Mais le Nukak ne détruit pas l'environnement. Il entre dans la démarche du terroriste une autre signification que le simple désir de mettre fin à ses jours - dont on sait qu'il correspond le plus souvent au désir de mettre fin à ses souffrances.
Le terroriste semble vouloir porter atteinte au réel. Souhaiterait-il porter un terme aux souffrances du réel? Je me demande s'il n'entre pas quelques degrés de philanthropie dans la démarche terroriste. Après tout, le terroriste est toujours engagé fortement dans une cause, et presque toujours dans une cause religieuse ou spirituelle. Il n'est pas anodin qu'un musulman, aussi déséquilibré soit-il, s'en prenne aux oeuvres de Dieu. Il n'est pas fou, mais son amour de Dieu est incompatible avec la société qu'il subit.
Et cette société est occidentale. Que peut bien porter de diabolique la société pour que l'extrémiste en vienne à perpétrer l'attentat contre l'innocent (soit le réel dans sa manifestation usuelle)? Le Grand Satan n'est pas par hasard le terme qui revient dans la bouche de tous les extrémistes pour qualifier la civilisation occidentale.
Diabolique, en effet. Car le diable est celui qui divise. En matière de division, le reproche sonne avec une particulière pertinence. L'Occident est, selon le mot de Nietzsche, la civilisation qui a assassiné Dieu. Voilà un meurtre qui n'est pas anodin et qui est annoncé par le prophète de la modernité, celui qui s'est lui-même baptisé l'Antéchrist! L'occultation du divin est la caractéristique majeure de notre Dieu. Si Dieu existe, il s'est retiré du monde et ne dirige plus nos principes.
Le terroriste s'en prend au blasphème par excellence : l'attentat vise ainsi à rétablir le divin contre le matérialisme ressenti. Où l'on constate que les terroristes ne sont pas des déshérités en proie à la démence, mais des métaphysiciens, des mystiques, particulièrement conséquents et intègres. Comme me le confiait un jour un islamiste partisan de Ramadan (vous savez, le gourou alter-islamiste?), l'intégriste est un homme intègre. Curieuse rhétorique pour réhabiliter l'intégrisme au nom de la morale et du Bien! Mais très conséquente aussi. L'intègre étant en l'occurrence, non l'extrême, mais le pur en tant que refus de l'impur. Le pur : réhabilitation du divin dénié. L'impur : matérialisme dogmatique et hédoniste. Le terroriste est par excellence l'individu qui passe d'une société traditionnelle, où le divin est sacralisé, institutionnalisé, à la société moderne, où le divin est marginalisé, renvoyé dans la sphère privée.
La confrontation se réèle d'une violence prodigieuse. Pas seulement d'un point de vue moral : le religieux est l'organisation de la violence en un sens sacrificiel et culturel. Privé de cette conception, l'individu perd ses repères et compense l'absence de sens par la débauche de violence. Le terroriste est le métaphysicien ou le mystique qui prend acte et rend justice à l'Occident de son hyperpuissance prédominante.
Le simple désespoir conduit au suicide. Il faut une haine des autres pour en venir à l'attentat. Attenter à la culture est le seul moyen pour virer au terrorisme. C'est le cas avec les islamistes terroristes (tous les islamistes n'étant pas terroristes, loin s'en faut!). L'intégrité du terroriste, c'est de refuser l'attentat que perpètre l'Occident contre Dieu. Attentat contre attentat... C'est l'Occident qui a commencé! Je dirais même plus : c'est le plus fort qui se trouve visé. Car, dans ce geste nihiliste et inutile, le pire est que le terroriste reconnaît l'impuissance de sa tentative à conjurer le visage du monde qu'il répudie. Pressé pour lui-même d'en finir avec son appartenance au monde (vivement le paradis et les houris!), il ne sait que trop qu'il a perdu d'avance et qu'il ne lui appartient pas de changer le monde de façon politique. Davantage qu'un désespéré, le terroriste est un impuissant.
Il n'est pas certain que l'on puisse condamner le geste du terroriste : son acte criminel ne suffit pas à le ridiculiser, à moins d'en dénaturer la portée profonde. Le terroriste se veut un défenseur jusqu'au-boutiste du parti de Dieu (ainsi de Hezbollah, qui signifie : "Car ceux qui suivent le parti de Dieu seront victorieux" et constitue un extrait de verset coranique (Al-Maidah, V, 56).
C'est d'ailleurs le reproche que l'on pourrait adresser au terroriste : non d'être inconséquent dans son action, mais dans sa farouche volonté de suivre le parti de Dieu. Il faudrait savoir : soit le réel suit le plan divin et son visage n'en est que la conséquence présente ; soit Dieu et le réel sont disjoints, ce qui représente une contradiction dans les termes. Le terroriste prétendrait-il défendre Dieu contre lui-même? C'est la question véritable à lui (op)poser, car les manipulations politiques dont il est la victime ne le concernent pas. Il ne se place pas dans cette dimension finie. La seule puissance qu'il reconnaît est d'ordre transcendant. Reste à savoir si le terroriste n'intègre pas, ce qui serait la suprême ironie, le plan divin en étant un passage obligé, quoique particulièrement cruel, pour que le monde soit monde.

2 commentaires:

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Merci beaucoup pour ce magnifique blog que je trouve d’ailleurs très intéressant avec une belle interface, facile en navigation. Il est vraiment super ! Bravo et bon courage .

rosi a dit…


j ai passé un bon moments et j en ai eue plein les yeux!!!


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