lundi, février 12, 2007

Affictions

Je tombe sur une interview de deux littérateurs dans Le Figaro : Jean-Marc Roberts et Richard Millet. L'auteur de l'article les présente comme éditeurs et écrivains. Le cumul des deux titres n'est jamais bon signe : serait-on soit éditeur, soit écrivain? En tout cas, je n'ai jamais rencontré d'écrivain qui soit éditeur. Par contre, j'ai remarqué que les éditeurs qui présentaient quelques prétentions à l'écriture avaient vite fait de commettre quelques romans pour tomber dans la maladie du siècle et se poser en pontifiants donneurs de leçons esthético-comiques.
Sous prétexte de sauver la littérature, dont le simple projet annonce d'ores et déjà l'imposture caractérisée, nos deux mirlitons empilent les poncifs et les fadaises avec bonheur et dévotion : apparemment, ils n'ont pas conscience de l'outrage qu'ils perpètrent à l'encontre de la vraie littérature. A en croire une ritournelle ancienne, la littérature est toujours citée par ceux qui en vivent - jamais par ceux qui la font.
Selon le dénommé Millet, "ce qui fait un écrivain, c'est l'invention d'une langue, d'un rythme singulier. C'est sa puissance." Merci, Richard, pour cet apport précieux de pensée innovante sans laquelle nous ne serions pas tout à fait ce que nous sommes! Gratitude et dévotion! Respect, comme s'exclameraient les rappeurs! Grâce à cette parole, je ne verrais plus la littérature sous le même angle! Surtout avec l'exemple que vous fournissez en prime : "À mon sens Barbey d'Aurevilly, Villiers de l'Isle-Adam sont bien supérieurs à Zola ou au Hugo engagé."
Ami lecteur-bloggeur, arrêtons-nous un instant sur ces mots profonds, car nous tenons une perle et qu'il nous faut en profiter. Préférer Barbey à Zola, c'est se préférer soi, n'est-ce pas, Millet, à Houellebecq. C'est affirmer la supériorité du commentateur sur le créateur, avec une mauvaise foi dont on mesure le raffinement : c'est au nom de la qualité littéraire que Millet annonce son attentat contre l'art. Effectivement, si Barbey est supérieur à Zola, si Fromentin dépasse Balzac, si Crébillon fils supplante Molière, Weyergans sera abyssalement au-dessus de Proust!
Les écrivains ratés ou mineurs sont de grands jaloux, dont l'orgueil a pris la place de l'imagination. Je comprends l'arrogance surprenante de Sollers quand je constate que le goût délirant de Millet fleurit dans un quotidien réputé sans susciter l'étonnement ou l'amusement. Car Sollers est en droit de se considérer quantitativement à des années-lumières de Millet dans l'échelle sirupeuse de la République des lettres. Quant à la valeur d'écrivain de Sollers, c'est une autre affaire. Disons qu'il est meilleur que d'Ormesson et très en dessous de Houellebecq.
Quittons les creux lénifiants dont se gargarise un rebelle qui appartient au comité de lecture des éditions Gallimard, les éditions les plus confidentielles de France comme chacun sait. En face de Millet, on a convoqué Roberts, qui s'occupe des éditions Stock et a publié une vingtaine de romans. Les livres préférés de Roberts sont Le Petit Nicolas et le Robert - sans s. Voilà qui commence bien : Roberts aime Robert comme un graphomane aime le dictionnaire. C'est plus facile de recopier les définitions que de les relier à des impressions nouvelles. Que dit Roberts? "Les critiques ne font plus leur travail, ils encensent trop vite ; du coup, on ne voit plus rien émerger, sauf quand apparaît un phénomène comme Houellebecq ou Jonathan Littell."
Alors là, non! Dénoncer les critiques, dont plus personne n'ignore qu'ils ne lisent pas (il suffit de mentionner l'accueil poli que reçut le journal intime de Sevran avant qu'un journaliste scrupuleux n'y décèle le dérapage saugrenu un an plus tard, dans l'intention de déclencher le scandale médiatique auquel l'oeuvre de Sevran aspirait), pour faire subversif alors qu'on est soi-même un critique patenté est un tour vieux comme le monde! D'ailleurs, il faut être héritier de Derrida, soit un nivellateur pour qui tout acte d'écriture prête à commentaire, pour placer sur la même ligne Houellebecq, qui est le seul écrivain de sa génération, et Littell, dont le nom révèle dans une délicieuse polysémie la place qu'il occupe d'ores et déjà dans la littérature, aux côtés d'Angot, sa rivale déclarée pour le Goncourt.
Tant qu'on y est, Roberts, pourquoi ne pas citer de grands écrivains comme Angot&Co.? Roberts ne s'y refuse pas. A côté de Houellebecq, "l'oeuvre d'Annie Ernaux est celle à laquelle je suis le plus attaché. François Taillandier fait un travail considérable, mais aussi Agota Kristof ou Vassilis Alexakis." Millet n'est pas en reste : "Il y a aussi Pascal Quignard, Pierre Bergougnioux, Pierre Michon, Régis Jauffret, Marie N'Diaye, d'autres..."
Cette énumération d'une petite dizaine de noms est remarquable en ce qu'elle place sur le devant de la scène ceux que les éditeurs et les commentateurs révèrent (tiens, la crise littéraire se trouve évacuée sous l'abondance des mentions d'écrivains) : soit des coupeurs de cheveux en quatre dont ils pourront disséquer les fariboles farineuses à leurs aises, bien calés dans leurs sièges cuirs de leurs grands bureaux experts. Un commentateur préfère toujours user sa technique sur un mauvais cheval. L'occasion est ainsi plus facile de se mettre en valeur.
Évidemment, la perle est conservée pour la fin de l'échange. Roberts lâche les vannes de sa subversion sulfureuse : "Je suis optimiste pour le roman, mais pessimiste sur notre époque qui est antilittéraire. Le pire, ce sont les blogs : non seulement les gens ne lisent plus mais ils ne vivent plus. Interdisons les blogs !" Désolé de vous décevoir, monsieur Roberts, ce ne sont pas les blogs ou la technologie en tant que telle qui sont responsables du mal-être très relatif de la littérature! C'est le fait que des gens comme vous tiennent le haut du pavé! Soit des cultureux qui perçoivent l'écriture de l'extérieur, qui reprennent à leur compte tous les poncifs et qui s'estiment d'autant plus artistes, engagés, antilibéraux, enfin, toutes les valeurs à la mode pour qui se veut artiste, qu'ils se targuent avec usure des lieux communs de l'époque.
Quel est le signe d'un artiste majeur? Tant que les critiques parisiens se permettront d'accoler le nom d'Ernaux à côté de celui de Houellebecq ne subsistera aucune chance que le milieu littéraire réponde à cette question sans importance. Car ceux qui décident en général de la qualité artistique ne sont pas du même temps. Heureusement. Postérité rime avec vérité. C'est si rare.

9 commentaires:

Unknown a dit…

Avez-vous seulement lu une seule ligne de Richard Millet???

Koffi, vous êtes mesquin, haineux et pour des raisons inexistantes. Cela vous apprendra à mieux lire et à ne pas vous limiter à ce que disent les journaux. Tout d'abord, Richard Millet était écrivain avant d'être éditeur. Deuxièmement, être au comité de lecture de Gallimard n'est ni un signe d'escroquerie, ni de piètre qualité. Troisièmement, vous tombez mal, je ne connais que peu de choses en littérature contemporaine, mais je sais que Richard Millet est un grand écrivain, je l'ai découvert l'an dernier et je lui voue une grande admiration. C'est peut-être un des seuls aujourd'hui à encore croire à la langue. Bien sûr, cela ne vous oblige pas à l'aimer. Mais pourquoi un tel déchaînement de haine et de mauvaise foi? Et puis, pourquoi faire grief à Millet de préférer Barbay à Zola, qu'est-ce que ça peut vous faire? Pourquoi vous en prendre aux éditeurs PARCE QU'ils sont éditeurs. Vous auriez au moins pu vous renseigner un peu. Vous êtes bien loin du réel mon cher Koffi, bien loin... et le Figaro n'est pas un maître en réel. Changez de lectures.

Koffi Cadjehoun a dit…

Olala, je ne voulais énerver personne!
Je respecte votre opinion : c'est votre droit d'apprécier Millet et même Roberts. Ceci étant, j'ai lu Millet et mon opinion est que ce n'est pas un écrivain du niveau de Houellebecq. Je n'ai pas attaqué Millet sur son oeuvre, mais sur cette "interview" qui enchaîne les platitudes et les incohérences. Citer autant d'auteurs... Quant à Zola, eh bien, non seulement il est bien meilleur que Barbey, mais je ne vais pas changer de lectures : c'est bien lui que je vais continuer à lire!
Pourquoi me reprocher ma haine? Attaquer des pontes de l'édition, ce n'est pas attaquer des personnes, que je sache, et, surtout, je serais haineux si j'attaquais Houellebecq - pas Ernaux.
Est-ce si important que cela mérite que nous nous fâchions? J'espère que non!

Koffi Cadjehoun a dit…

Quelques citations de Millet que je trouve dans uneinterview accordée à L'Express, toujours sur le thème, rebattu et controuvé, de la mort de la littérature, qui n'exprime rien d'autre que la mort personnelle de l'auteur Millet.
"Je ne cherche pas à être populaire. Je revendique l'élitisme".
"Il n'y a plus de grand prescripteur, de grand critique lecteur à l'image de Roland Barthes par exemple, ni de place dans les journaux pour cela. Nous sommes, avec quelques-uns, les derniers écrivains, et nous vivrons cela de manière héroïque, peut-être même en riant".
Alors, oui, ces postures sont absolument affligeantes et ridicules...

Unknown a dit…

Je ne voulais pas me fâcher avec vous. Seulement, toutes les paroles de Millet que vous invoquez à son encontre me ravissent. Qu'elles soient si plates, j'en doute, la preuve en est qu'elles vous turlupinent un peu... J'aime sa prétention, ses exagérations, sa mégalomanie, ce sont des défauts d'artistes qui me plaisent. Mozart, Dali, Nietzsche, toutes proportions gardéesn sont autant de grands prétentieux. Je crois qu'il n'y a guère de motifs de dispute, seulement un profond désaccord, probablement irréductible. Pour une bonne et simple raison: on ne comprend pas ce que vous reprochez à Millet. Vous lui opposez des faits extérieurs à son oeuvre, ce que l'on ne fait jamais pour les défunts. Qui vous dit que Zola n'était pas une ordure?

Koffi Cadjehoun a dit…

Effectivement, je reproche à Millet ses positions sur la mort de la littérature (qu'il a affirmées dans Harcèlement littéraire), qui sont pour moi une posture absolument stéréotypée. Je veux dire que le fait de se placre dans une position de dernier des mohicans, ou peu s'en faut, trouve sa cohérence dans l'absolue reconnaissance dont Millet bénéficie dans le milieu.
Je ne voulais nullement attaquer l'oeuvre de Millet, mais cette positoin "esthétique", que je juge pour ma part très datée. Ainsi, je parie que cette écriture vieillira mal, précisément parce que ce qu'on prend pour du grand style est à mes yeux de l'enflure.
Voilà ce qui me turlupine. Quant à notre désaccord, je trouve qu'il est quant à moi intéressant : car il montre que deuxu amateurs d'un même écrivain, Clément Rosset, peuvent diverger du tout au tout sur un autre. Sachez en tout cas que, loin d'estimer que je détiens la vérité, je respecte votre avis.
Dernier point : que Zola soit une ordure importe peu. Je répète que je n'ai jamais attaqué la personne Millet, homme dont je ne connais rien, absolument rien. Si mon billet d'humeur laissait à penser ce point précis, alors, oui, je le regretterais...

Anonyme a dit…

cette dispute ne rime pas à grand chose. vous m'avez l'air plus informé que ce que votre message laissait paraître; je suis donc désolé d'avoir été à mon tour violent. Néanmoins, nous ne sommes pas d'accord; ce qui n'est pas grave; et qui ne devrait pas se faire sur fond de "respect" des opinions de chacun..., s'il vous plaît, Koffi,, un peu de noblesse! ;)

Koffi Cadjehoun a dit…

En tout cas, je pars en vacances à Poitiers, superbe ville et superbe région. Je vous souhaite une excelente semaine et à bientôt!
Cordialement.

Anonyme a dit…

En effet, cette réalisation est une vraie merveille, merci pour cet article en tout cas.

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Merci pour tous ces conseils, je vais essayer de les appliquer !
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