vendredi, février 16, 2007

Paranoia

Houria Bouteldja dit à peu près n'importe quoi, la cause est entendue. La porte-parole des Indigènes de la république oscille tant entre l'hystérie haineuse et la démagogie islamistophile qu'on peine à comprendre pourquoi le droit à proférer les énormités les plus invraisemblables, celles qui ne passeraient pas la barrière de l'écrit durablement, est ainsi encouragé. Serait-ce qu'on s'imagine que les musulmans de France sont des extrémistes inconséquents et des brailleurs enragés pour qu'on leur passe sans broncher ce qui jamais n'aurait été toléré chez tout individu respectable sans le taxer de faciste, de raciste et d'antisémite à la première occasion? Houria Bouteldja surfe sur la vague réelle de l'islamophobie et du mépris à l'égard des musulmans qui, c'est un fait, prévaut dans la représentation vague et vide des Français pour imposer ses vues intolérantes, réductrices et elles aussi islamophobes (car dans quelques siècles, les premiers ennemis de l'islamisme seront les musulmans conséquents eux-mêmes).
Forte de cette ignorance, l'inénarrable Bouteldja en profite pour activer et réactiver tous les lieux communs de l'islamisme : internationalisation de la communauté spirituelle en communauté politique des musulmans, amalgame de la guerre civile irakienne et du racisme aux difficultés d'intégration des musulmans français à la France, après l'amalgame original entre le conflit israélo-palestinien et la situation des Arabes de France, absurdités qui à chaque fois consistent à se prévaloir de l'Islam sacré et intouchable pour revendiquer la dénaturation par excellence de l'Islam, je veux parler de l'islamisme.
Oui, c'est un fait d'évidence, Bouteldja est une islamiste moderne qui n'est pas sans rappeler son pendant masculin, le très suisse et très habile Tariq Ramadan. Les deux activistes ont pour point commun de porter beau et fort fashion les couleurs de l'islamisme occidental. Il s'agit de faire croire que cette idéologie réactive (contre le colonialisme occidental initialement, contre l'Occident à présent) n'est pas qu'une réaction datée, mais une pensée viable et alternative.
L'alternative n'est pas seulement utopique. Elle est aussi et malheureusement abominable : c'est la haine pure proposée comme rempart idéologique contre l'impérialisme occidental. Il suffit de contempler le look sophistiqué qu'arbore à chacune de ses apparitions Bouteldja pour mesurer à quel point l'islamisme s'est adapté aux modes de l'Occident pour mieux contourner les reproches d'obscurantisme et mieux introduire le cheval de Troie de sa ruse très prévisible. Malheureusement ou heureusement, la réaction demeure la réaction - l'obscurantisme, l'obscurantisme, toujours l'obscurantisme. Un réactionnaire qui se vêtirait d'un jean surlarge, de baskets rutilantes et d'une casquette américaine dernier cri n'en demeurerait pas moins un réactionnaire.
Avec son châle élégant qui actualise le voile sans le périmer, son port de tête altier et son verbe enflammé (quoique un peu trop véhément pour ne pas trahir ses origines intellectuelles délétères), Bouteldja se veut l'incarnation new wave de la femme musulmane. Elle n'est que la personnification de la femme islamiste branchée (sur du 1000 W). Qu'elle le veuille ou non, en effet, elle ne saurait se réclamer de la femme musulmane, car cette appellation ne signifie rien de précis. Le générique femme renvoie à la personne de sexe féminin, ce qui n'a pas grand sens. Musulman à une appartenance religieuse aux mille visages - au bas mot.
Pourquoi invite-t-on sur les plateaux Bouteldja à longueur de temps, puisqu'elle n'a rien d'intéressant à énoncer, sinon du scandaleux, du grandiloquent et du caricatural? Serait-ce qu'on cherche, encore une fois dans une émission de télévision, à générer le parfum du scandale autour et à partir de l'Islam? Il me souvient que Taddeï a fait partie, au moins un temps, de la bande à Ardisson (que j'avais appelé Ruquier dans un premier jet à valeur d'acte manqué)... Participerait-il de cette marque de fabrique médiatique qui consiste à inviter des extrémistes de bords antagonistes pour générer le contraire du débat, soit la cacophonie anarchique?
En face de la passionaria Bouteldja, bien plus politisée qu'islamisée, on trouvait le clown Sollers, toujours partant pour tout tourner en dérision, et quelques intervenants (comme Enthoven) pour essayer de mettre un peu de sérieux dans cette parodie de débat. On ne débat pas avec Bouteldja à partir du moment où les positions de Bouteldja sont clivées dans la haine et nullement dans le réel. Contre le grotesque de Bouteldja et de Sollers, j'entendis deux paroles sensées. Celle d'un musulman intelligent, Abdennour Bidar, à qui les islamistes reprocheront sans doute d'être un impie comme les Noirs extrémistes traitent de Bounties les Noirs accusés de se comporter comme des Blancs (pensée raciste et dénuée de sens) : lui, musulman parmi tant d'autres, ne se sentait pas insulté, ni concerné par les caricatures de Charlie Hebdo ou du Danemark. Enfin! Qu'il avait raison! D'ailleurs, personne ne trouva rien à redire à cette parole de sagesse.
Puis, plus inattendue, l'intervention d'Alexandre Jardin. L'ex-romancier fleur bleue, aujourd'hui ventripotent agitateur-bloggeur post-présidentielle, osa apposer au cas Bouteldja une connotation psychiatrique lucide. Selon Jardin, le discours de la jeune femme était clairement paranoïaque. Face à cet assaut de vérité inattendu, la porte-parole des Indigènes de la République resta sans voix et eut du mal à se remettre de l'estocade. Elle essaya bien de relancer la machine de l'indignation exacerbée, rictus agressif aux lèvres, mais le moteur était grippé. Jardin avait brisé net cette rhétorique jusqu'alors bien huilée d'apologie du totalitarisme islamiste.
Jardin, plus candide que jamais, posa, avant de s'éclipser, la seule question digne de l'émission, sous les hurlements désopilants de narcissisme de Sollers, pour qui le centre du monde se trouve à Paris, et le centre de Paris, en la personne de Sollers. Comment se faisait-il que Bouteldja incarne le point de vue de millions de personnes parmi les exclus du grand bazar mondialisto-libéral?
Bouteldja essaya tant bien que mal de rebondir grâce à l'argument passe-partout du racisme. En vain. Jardin aurait dû persister et signer. Si Bouteldja présente tant de failles qu'elle en devient faillible à son corps défendant, si tant de millions de déshérités reprennent à leur compte des thèses paranoïaques pour expliquer par des complots invraisemblables la marche du monde, si l'on adhère aux théories absurdes selon lesquelles les Américains ne se sont jamais rendus sur la Lune, que le SIDA est une invention des Blancs pour exterminer les Noirs, que les Juifs dirigent le monde depuis New-York, avec la sincérité confondante de désesperados acculés à leur excès de certitude dérisoire, quelle est la cause de cette folie loin d'être marginale?
Étymologiquement, para-noia désigne en grec antique l'excès de raison. Tout excès est celui d'un manque, celui de Bouteldja notamment. Soit le manque de foi dans le réel et la vie. J'ajouterais quant à moi l'excès de certitude qui vient compenser l'absence cruelle de certitude. Il faut croire que le réflexe humain pour répondre au désarroi de sens, de valeurs, de fondements, s'exprime par cette surabondance artificielle de sens apposée au réel, comme une valeur surajoutée et délirante. La réaction (dans tous les sens du terme) de Bouteldja ressortit de la soupe édifiante classique. L'islamisme est un excès de sens en réponse à la destruction de sens opéré par le colonialisme.
Au final, ce que personne ne veut voir, tant les islamistes que les défenseurs de la démocratie occidentale et, dans une confusion inextricable, de l'impérialisme occidental, c'est que l'absence de fondement du pouvoir n'est pas qu'une lubie énoncée par Clément Rosset dans ses Remarques sur le pouvoir, tirées du Philosophe et les sortilèges. Il est curieux (quoique parfaitement logique) que Clément Rosset ne soit pas invité par Taddeï pour exposer au téléspectateur des idées autrement plus intéressantes que les vitupérations stridentes de Bouteldja et les beuglements pseudo-spirituels de Sollers.
Taddeï aurait pu nous expliquer pourquoi Sollers et Bouteldja peuvent se réclamer de la vérité au nom de deux (pitoyables) conceptions politiques. C'est que la vérité politique, comme la vérité tout court, n'existe pas. En lieu et place de cette vérité que l'on invoque à tout bout de champ pour mieux travestir ses véritables intentions de domination, tant parmi les puissances occidentales que celles opprimées (les islamiste qui rêvent de dominer le monde imitent l'impérialisme qu'ils dénoncent chez les Occidentaux), la désagréable impression qui se dégage des discours et des prises de position tourne autour de l'hypocrisie.
Hypocrisie des discours pro-Occident qui distribuent d'autant plus les leçons que leurs agissements leur interdisent, comme ils le pourraient en théorie, de démont(r)er les erreurs qui émaillent des discours anti-Occident. Pour ce faire, il leur faudrait davantage d'honnêteté, soit d'adhésion au réel. Hypocrisie des discours anti-Occident, dont le discours de Bouteldja n'est qu'une variante rebattue et aberrante, celle d'une forme d'islamisme - l'islamisme n'étant qu'une forme répandue d'anti-occidentalisme dans le monde.
Le point commun de ces discours anti-Occident est de laisser croire qu'ils proposent des alternatives viables (et fiables) aux impérialismes dont ils sont les victimes incontestables. Malheureusement, un examen un tant soit peu approfondi permet de constater que l'islamisme, comme la plupart des alternative soi-disant révolutionnaires et originales, n'est jamais qu'un avatar moderne d'une conception politique vieille comme le monde : le totalitarisme.
En l'occurrence, l'islamisme est une forme totalitaire de nature théocratique. Autrement dit, sa caution est divine, donc moins que jamais réfutable. Si Dieu est la vérité, ce qui se targue de Dieu est vérité irréfragable. Est-il besoin de chercher plus loin les relents paranoïaques qui ne manquent jamais de se laisser apercevoir au sein des discours islamistes?
Le discours de Bouteldja devient moins aberrant si on le replace dans cette perspective historique : il n'est jamais que le délire (au sens pathologique) d'une souffrance qu'on pourrait nommer carence de sens. La plupart des propos de Bouteldja sont fallacieux. Au pied de la lettre, la cause est entendue : ils ne méritent que rires et sourires. Si on prend la peine de comprendre le sens que cache le délire paranoïaque, il est la réponse extrémiste pour faire sens à chaque fois que les événements rappellent combien le réel est dénué de sens. Quel qu'il soit.

P.S. : le mérite d'inviter sur des plateaux de télévision des énergumènes déchaînés, à l'instar de Bouteldja, tient à la reconnaissance, tardive (mais mieux vaut tard que jamais), des graves dérives et délires qui touchent des groupes jadis intouchables en France, je veux parler des Africains, singulièrement quand ils sont musulmans. A cause d'une idéologie super-tolérante, selon laquelle l'Arabe et le Noir sont des victimes quoi qu'ils disent et quoi qu'ils fassent, la bien-pensance a refusé de traiter ces groupes comme des généralisations hâtives, composées d'individus nécessairement singuliers et originaux. Résultat des courses? En refusant d'admettre, par exemple, qu'un Arabe pouvait être raciste, que la culture arabe pourvait être communautariste, que le musulman pouvait être fanatique, on découvre avec effroi, trente ans plus tard au bas mot, qu'un homme méprisé a de fortes probabilités de virer haineux, voire criminel. Il n'est nul besoin de chercher plus loin la tristesse qui émanait du visage de Bouteldja quand elle ne se lançait pas dans ses tirades véhémentes. Le sentiment de supériorité post-colonial qui a présidé au traitement des vagues d'immigration africaines a engendré ce monstre terrifiant que l'on reconnaît enfin depuis les attentats du 11 Septembre. Le problème demeure cependant entier : il s'agit en effet de ne pas reproduire à l'infini l'erreur qui consiste à créer les conditions du bouc émissaire, je veux dire le rejet de la faute sur la victime, fût-elle violente et dangereuse. La reconnaissance est le seul mot (d'ordre) qui nous débarassera d'autres maux plus virulents encore. Reconnaître (enfin) que le 11 Septembre n'est que le produit de la politique impérialiste qui consiste à expliquer aux victimes que leur statut découle uniquement de leur faiblesse et de leur faute. Reconnaître (enfin) que les Africains sont des hommes comme les autres (qu'il est stupéfiant d'énoncer une telle évidence dans une démocratie!). Reconnaître (enfin) le statut de victimes à ceux qui subirent l'esclavage, le colonialisme et qui subissent toujours le néoconialisme de par le monde. Ce n'est qu'à ce prix que l'Occident aura le droit de répliquer avec cohérence aux enflures victimisatrices de ceux qui se sentent, de manière hallucinatoire, les descendants autorisés de la figure de l'esclave ou du colon, du fait d'origines (plus ou moins) lointaines.

2 commentaires:

voyance gratuite par email a dit…

Je ne critique nullement tous les blog bien en tendu.Je pourrais même dire que j’ai parfois appris pas mal de chose sur certain blog.

Anonyme a dit…

Hey grand poste. Je dois apprendre beaucoup de choses de ce poste. Merci d'avoir partagé.

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