mercredi, février 28, 2007

Sur le pont

Extrait de Debray (toujours Sur le pont d'Avignon, p. 68) : "Peu importe que La Société du spectacle ait démarqué, presque au mot à mot, le jeune Marx disciple de Feuerbach dénonçant l'aliénation, et que le remake nous arrive paré du génie de l'original. Qui lit L'Essence du christianisme (1841)? Le plagiat a conquis ses titres de contresens. Dénoncer le spectacle au nom de la vie et opposer l'histoire vivante à ses simulacres, c'est dédouaner la fausse monnaie "proximité" et faire coup double : assécher à la fois la vie historique et la catharsis dramatique."
Je renonce à comprendre comment Debray peut produire un pamphlet revendiqué comme voltairien, sinon dans l'esprit, du moins dans le style, en écrivant aussi mal, aussi maladroit, aussi postmoderne. Peut-être croit-il vainement que le style est secondaire et que prime la pensée brute, la pensée pure? Peut-être estime-t-il qu'il use d'un style alerte et percutant? En tout cas, son propos, quoique assez juste, sonne fort convenu. Je ne suis pas davantage convaincu que jadis par la "pensée" de ce si brillant élève.
Je ne peux qu'apprécier que Debord se trouve ainsi attaqué. Non que je sois en mesure de détailler la relation entre l'idole situationniste et le père du marxisme (que je n'ai pas lu). Mais Debord m'a toujours paru léger. Je suis d'autant moins convaincu que j'ai appris que le grand illusionniste parisien, Sollers le vizir, dans un article au Nouvel Obs, lui tressait des lauriers de louanges attendries (il est vrai que Sollers goûte, peut-être dans un grand second degré, la prose d'Angot).
En tout cas, le propos de Debray m'a rappelé une remarque que Rosset adresse à Polac dans Franchise postale. Alors que Kant, dans sa Critique de la faculté de juger, prétend que "les sons de l'art n'émeuvent que dans la mesure où ils évoquent les sons de la nature : ainsi le son de la flûte n'émouvrait que parce qu'il évoquerait le chant des oiseaux. C'est naturellement le contraire qui est vrai comme l'a dit Hegel au début de son Esthétique : un objet naturel n'est jugé beau que dans la mesure où il rappelle un objet d'art, le chant d'un oiseau n'est jugé beau que parce qu'il évoque le son de la flûte."
Il en va un peu de même pour les rapports du spectacle et de la télévision - je dirais même de l'art et de la télévision. La sécheresse de l'époque, son impayable forait, consiste bien à avoir assujetti la fiction au réel (ainsi des productions de télé-réalité). C'est l'inverse qui est vrai : l'art est l'étalon du réel, quand bien même il s'inspirerait directement de ses réalisations. Ainsi de Zola s'ancrant dans le naturalisme alors que la puissance et le génie de sa plume proviennent de son onirisme forcené. Cas également de Dostoievski, dont le sens de l'observation est d'autant plus lucide et chirurgical qu'il scrute avant tout les méandres de ses fantasmes hallucinés (et hallucinatoires). Je ne parle pas de l'hyperréalisme qui consiste à se montrer d'autant plus réaliste que les distorsions picturales sont appelées à la rescousse pour retranscrire les natures mortes évoquées et stylisées.
Bref, n'en déplaise à Nabe, qui estime avec tort que la fiction doit s'inspirer du réel, c'est l'inverse qui est vrai. Car le réel n'est jamais que la représentation imaginaire que l'homme se fait et le propre d'un grand artiste est d'être habité, tel un médium tellurique, par une conception à nulle autre pareille. Sans doute est-ce la principale raison qui explique que l'incomparable Lynch, cet artiste perdu dans la brume des talentueux d'Hollywod et de Navarre, soit contraint de reproduire le réel brut sans cause et sans sens. A une époque où le réel est sensé remplacé l'imaginaire, un artiste authentique comme Lynch n'a d'autre choix, par voie de fait, que d'esquisser l'esthétique inverse et de morceler le réel, jusqu'à laisser transparaître la représentation la plus démembrée, voire disjonctée (au sens littéral du terme) que le cinéma ait produit. A ma connaissance en tout cas.

2 commentaires:

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rosy123 a dit…

Très bon article, comme toujours. Il a le mérite de susciter le commentaire


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