mardi, février 13, 2007

L'empire du sens

Le visionnage de Inland Empire ne ressortit pas vraiment ce qu'on pourrait appeler une sinécure ! Amateur d'Amélie Poulain, circulez, il n'y a rien à voir! Durant deux heures et cinquante-deux minutes, le spectateur est trimballé de visions fugaces en impressions fugitives, sans rien comprendre aux distorsions qu'il subit à son corps défendant. Curieusement, si le malaise est à mon sens plus palpable que lors des précédents opus, en particulier Mulholland Drive, j'ai trouvé que la violence et la cruauté n'avaient pas la partie belle et que leur étalement engendrait leur perte paradoxale.
Dans les plans qui mettent en scène des bandes de prostituées livrées à leur sort prévisible, d'être les boucs émissaires de la violence inscrite au coeur de la sexualité, le spectateur est envahi par l'impression stupéfiante que, quoi qu'ils subissent, même les déshérités possèdent un sort enviable. Le pire est déjà bénédiction. Toute manière de vivre, même la plus misérable, se trouve ainsi louée et entérinée.
A la suite de Nietzsche, l'immense Lynch serait-il d'avis que la joie pèse plus lourd que la tristesse? En tout cas, l'impression qui m'a assailli en quittant la salle, fourbu et épuisé, exprimait cette jubilation paradoxale, envers et contre tout, et surtout en dépit du bon sens. Comme si la vie était un don si précieux que la mort, le meurtre, le sang, la violence, tout ce qui en fait enlaidit notre expérience quotidienne, ne pouvaient rien contre sa manifestation pourtant si fragile. Serait-ce que le mal soit nécessaire à l'avènement du réel?
Le fait qu'il y ait quelque chose, simplement quelque chose, relève de l'ordre de la jubilation. L'imperfection de cette présence, aussi tragique sonne-t-elle, pèse d'un poids insignifiant en regard de la nécessité de son avènement. La lumière intense qui irradie et clôt le film après la scène sordide de l'agonie n'est pas qu'un plan anecdotique. Sa portée mystique nous rappelle que les maléfices qui endeuillent le quotidien décousu sont portions congrues par rapport à la beauté inexplicable du monde.
Comment fonder cette beauté fascinante, émouvante et en même temps illogique? Inland Empire ne cesse de creuser l'intuition centrale au coeur de la plupart des films de Lynch : le sens n'a qu'une portée très limitée pour retranscrire le réel. Cette fois, l'absence de sens réduit ce dernier au défilé décousu de quelques scènes récurrentes. Il n'est même plus question d'histoires partielles se déroulant à l'intérieur d'un même cadre ou d'aberrations logiques ruinant le déroulement harmonieux du scénario.
Lynch murmure à l'oreille du spectateur que les impressions sont les réels guides de son travail de création et que ces impressions en disent bien plus long sur la nature du réel que tous les mots et les sens que l'on pourrait glâner en chemin. Les idées découleraient-elles davantage de l'intuition que de la raison? Les sentiments vont plus loin dans la connaissance du réel que nos habitudes anthropomorphiques de prêter sens au banal et au quotidien!
Justement, le réel que nous renvoie Lynch n'est pas seulement ce foisonnement incohérent de fragments hétéroclites et épars. A la limite, ce que nous prenons pour de l'incohérence n'est jamais que le résultat de notre croyance au sens et à la vérité ontologique qu'il délivre. Le réel de Lynch est totalement différent de celui que nous côtoyons chaque jour avec la certitude de le connaître. Or, non seulement l'art nous révèle que nous le pratiquons hâtivement et avec préjugé, mais le décalage de représebtation que nous propose Lynch engendre un malaise palpable, qui en dit long sur notre absence de certitudes. Le réel serait-il ce familier parmi les familiers que nous estimons si proche alors que nous en ignorons tout?

1 commentaire:

rosy123 a dit…

C'est avec plaisir que je regarde votre site ; il est formidable. Vraiment très agréable à lire vos jolis partages .Continuez ainsi et encore merci.

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