lundi, février 26, 2007

Approbation

S'il est vrai qu'il faut approuver tout ce qui est réel, je ne trouve pas dans cette morale nietzschéenne (d'autres philosophes ont probablement énoncé la même position, peut-être mieux que lui) un programme d'amélioration de la nature humaine. Du style : comment devenir approbateur en dix leçons.
Contrairement à une opinion répandue, le réel n'est pas soumis à une possibilité de progrès. Car toute chose ressortit du réel en tant que nécessité. Ce postulat implique que le faux n'en demeure pas moins réel. C'est une chose de considérer, avec raison, que Mao était un despote sanguinaire, d'en appeler aux faits innombrables de l'histoire pour dénombrer les millions de morts et les aberrations politiques du Grand Timonier. C'en est une autre de considérer que les choses auraient pu être autrement. Il est évident que tous les intellectuels, artistes et politiciens qui eurent la clairvoyance de défendre le génie politique et philosophique de Mao ne se sont pas seulement fourvoyés. Ils ont montré quelle estime ils portaient à la liberté et quelle hauteur de vue les animait.
Il n'empêche que l'avènement de l'événement Mao, pour faux qu'il sonne, n'en était pas moins réel et nécessaire - tout comme les maoïstes qui crurent améliorer le monde par des théories fumeuses. Lorsque Leys intervient dans l'émission Apostrophe pour démonter le maoïsme et l'homme nouveau de l'impayable Macchiocchi, il n'est pas le premier. Simplement, il est celui qui entérine la réalité de la politique chinoise avec une phrase d'une lucidité totale : « Il est normal que les imbéciles profèrent des imbécilités comme les pommiers produisent des pommes, mais moi qui ai vu chaque jour depuis ma fenêtre le fleuve Jaune charrier des cadavres, je ne peux accepter cette présentation idyllique par madame de la Révolution culturelle. » (je cite d'après Wikipédia).
Il serait vain de s'irriter des absurdités de jugements que l'on estime aberrants s'il était en notre pouvoir de ne pas céder à la colère ou à l'indignation. Heureusement, comme tous les défauts que nous recensons pour mieux nous en corriger, la colère appartient au réel comme la bonhomie ou la pondération. Approuver le réel ne signifie pas qu'on encourage les atrocités et les barbaries, mais qu'on les intègre à la nécessité du réel, tant il est vrai que l'on ne saurait s'opposer à ce qui doit être et ne saurait être autrement. Les changements qui nous paraissent découler de notre libre-arbitre, de notre réflexion et de notre volonté, sont en réalité des événements qui nous enveloppent et nous dépassent.
L'homme moderne occidental éprouverait les pires difficultés à accepter que la démocratie, ce régime font il est si fier, ce régime qui lui garantit une liberté inégalée, réponde au libre cours du hasard et non de la valeur intrinsèque et supérieur des hommes qui firent l'Occident. Hasard qui ne signifie pas chance, mais nécessité, en ce sens que les multiples causes qui sont à l'origine de la démocratie libérale sont la plupart du temps étrangères au pouvoir d'une volonté - si tant est qu'une volonté soit dotée d'un pouvoir vraiment indépendant et personnel. Autrement dit, les hommes même qui firent l'Occident appartenaient à la nécessité, comme les plus brillantes qualités et les plus imperturbables vertus. Voltaire n'est devenu que ce qu'il était, pour parodier Nietzsche.
D'ailleurs, la causalité elle-même pose problème. Car si la finalité se trouve absente du devenir, celui-ci n'est jamais que la ligne de réalisation des seuls points par lesquels passe le réel. Le devenir et le changement ne sont qu'un et ne sont jamais que les conditions d'avènement du réel. Ce que nous prenons pour un bouleversement inattendu, telle révolution, telle invention, telle découverte théorique, n'est jamais que la réalisation de la nécessité la plus implacable. Que pense-t-on de l'invention d'un médicament ou des progrès de la recherche scientifique? Non que l'évolution scientifique n'existe pas, mais que la nécessité de son avènement réponde à de tout autres critères que la réalisation de possibles multiples,différents, voire antagonistes. Le malade qui jouit de la chance d'un traitement efficace estime-t-il devoir ce traitement à sa sagacité ou sa volonté? En réalité, son sort heureux ressortit du hasard entendu comme nécessité et toute chose suit le même cours et la même courbe.
Ce que l'on consent à intégrer pour l'avènement d'un médicament et le sort favorable d'un patient, sauvé à un temps donné alors qu'il aurait été perdu à un autre (cas de la tuberculose aujourd'hui, mais aussi de nombreuses maladies traitées depuis peu) est le caractère qui définit l'avènement du réel dans son ensemble. En réalité, il n'y a qu'un réel et si rien n'est écrit à l'avance, seul ce qui advient pouvait advenir. Le possible est illusoire. Le réel ne saurait être autre que ce qu'il est. Ce que nous prenons pour un changement provoqué par un agent libre du réel sur l'ensemble du réel est en réalité est un changement du réel instillé sans possibilité de choix ou de décision indépendante par le réel lui-même. Le grand homme n'est que l'intercesseur de la nécessité, soit d'un processus aveugle. Si rien n'est écrit à l'avance, tout en revanche est soumis à la nécessité. La grandeur du héros ? Nécessité! La puissance d'une pensée? Nécessité!
Mais aussi bien la médiocrité d'un personnage politique ou d'un écrivain de seconde zone. Le changement est de l'ordre de la réalisation aussi bien que la continuité et la conservation. Tout comme les changements aberrants réussis, les changements pertinents avortés sont du réel. D'ailleurs, si la vérité est le réel, alors ce qui avorte ne pouvait pas plus être autrement que ce qui réussit. Celui se lamente de l'élection de Mitterrand en s'indignant que Rocard n'ait été plutôt élu oublie qu'il appartient à la nécessité et que la nécessité supposait que Mitterrand soit président et Rocard premier ministre. Mao était une nécessité comme les jactances bouffonnes de Tel Quel (de ce point de vue, quand on subit Sollers aujourd'hui, les choses n'ont pas changé). Les valeurs relatives que nous nommons bien et mal trouvent leur nécessité dans le réel. Il est inutile de dénigrer le mal en ce que le mal est aussi nécessaire que le bien. Tout aussi bien faut-il considérer que toutes les représentations, y compris les plus aberrantes, sont nécessaires et que, sans les multiples erreurs qui accompagnent la représentation continue du réel, le réel ne serait pas. Il n'y a qu'une voie pour l'avènement du réel et cette voie passe par la présence telle que nous l'avons connue. Nous aimerions tant répudier le nazisme, en faire l'horizon du Mal indépassable, mais nous ne le pouvons pas. Heureusement! Car sans le nazisme, le réel ne serait pas. Nous aimons nous persuader que c'est la grandeur d'hommes hors du commun, de héros réels, de décisions indépendantes qui ont amené la chute du nazisme. Mais cette chute répondait à la nécessité en tant que tout ce qui guide le réel ne répond qu'à une finalité : celle de la nécessité.
C'est pourquoi je trouve peu de sel à la proposition qui consiste à approuver inconditionnellement le réel et à rejeter le ressentiment et la partition morale. En vérité, avons-nous le choix? A y bien regarder, nous n'avons pas plus choisi d'être tels que nous sommes que de naître et de mourir. Le ressentiment est aussi nécessaire à la marche du réel que la joie ou la tristesse. Ils ne se choisissent nullement. Pas plus que Rosset n'écrit une oeuvre permettant de gagner sain et sauf les rivages de la joie en acquérant la bonne méthode ou la bonne connaissance, l'homme ne saurait éviter la nécessité du ressentiment, du malheur ou de la souffrance si ceux-ci doivent se présenter sur sa route. Ce qui est bien est réel; ce qui est mal n'existe pas. L'illusion comme représentation est bonne en ce qu'elle est réelle. Le critère de la vérité n'est relatif qu'à l'homme. La liberté n'existe pas en ce que la seule puissance qui gouverne le réel, c'est la nécessité.

2 commentaires:

Agence immobilière maroc a dit…

Merci pour ce sublime partage.C'est magnifique!

rosi a dit…


j ai passé un bon moments et j en ai eue plein les yeux!!!


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