dimanche, mars 04, 2007

Sur Revel

Jean-François Revel est mort récemment. Ce pamphlétaire aussi adulé que détesté restera comme la figure française (mineure) du libéralisme reaganien ou friedmanien. On pourra évoquer le Revel critique de la philosophie. J'objecterai que sa critique de Descartes ne pèse guère. Pas davantage que celle de la philosophie. Tous les arguments développés dans Pourquoi des philosophes? seraient valables s'ils visaient la philosophie universitaire majoritaire, l'histoire de la philosophie dévoyée ou certains travers de la philosophie (le chichi et la préciosité). Mais considérer que la philosophie s'arrête à Kant est un effet d'annonce spectaculaire sans réelle portée.
Bref. Revel a écrit sur l'Italie ou sur De Gaulle. Toujours des pamphlets. Toujours bien écrits. Revel a surtout pesé en tant qu'opposant viscéral au communisme d'après guerre. Cet ancien résistant, normalien et agrégé de philosophie, patron de l'Express de Goldsmith, avant de se brouiller avec le financier, s'est opposé au système communisme depuis la fin des années soixante. Ce point ne suscite guère d'objections, d'autant qu'il a opposé la liberté au totalitarisme - à tous les totalitarismes. La condamnation du communisme procède de la lucidité. Encore fallait-il y procéder dans le direct de l'action. Ce fut le mérite de Revel, même s'il ne fut pas le seul. Il est fascinant de constater que tant d'esprits célèbres se sont trompés, parfois en toute connaissance sur ce point, dans les arguties des totalitarismes collectivistes.
Revel fut le chantre du contre. Contre la philosophie, on l'a vu. Contre les idéologies, dont il donna une élégante définition. Elles sont un mime de science. Manquait juste l'essentiel. Pour quelles propositions s'engageait-il? Là réside le noeud gordien. Revel fut l'apologue déclaré du libéralisme. A l'instar d'un Aron, catalogué grand intellectuel de droite, Revel a milité pour ce qu'il considérait comme le meilleur système politique et économique, parce que le seul.
Cependant, à la différence d'Aron, Revel se montra moins modéré et plus ambigu sur la définition du libéralisme. De quel libéralisme parlait-il? Car Aron était un libéral modéré, de facture classique et adepte d'un État fort. Aron était proche des sociaux-démocrates. Revel eut le tort de jouer sur tous les tableaux. Il commence par expliquer (justement) que la différence entre le communisme et le libéralisme tient dans la distinction entre une idéologie dangereuse et un pragmatisme lucide et adapté aux méandres du réel.
Le problème est que l'idéologie est la vérité. Le pragmatisme suppose la multiplicité. Il est rassurant que le libéralisme ne soit pas un. L'unicité signerait le mensonge. Mais la multiplicité engage à choisir entre les différentes formes qui se réclament du libéralisme. Entre les différents libéralismes, précisément. On sait que le libéralisme depuis Smith n'a cessé d'évoluer et qu'aujourd'hui, il oscille en gros autour de deux grands points d'ancrage. D'un côté, il s'agit de faire confiance quasi invincible à la fameuse main invisible et de considérer que la liberté absolue des marchés régulera les affaires humaines. C'est l'ultralibéralisme, promu par tous les grands économistes néolibéraux emmenés par Hayek (pas toujours) et par Friedmann (surtout). De l'autre, il s'agit de considérer que le marché est indispensable à la société, mais qu'il doit être contrôlé par l'Etat. C'est la social-démocratie, emmenée par Aron, Popper et d'autres.
Revel a le tort de ne jamais se décider entre les clivages libéraux et de jouer sur tous les tableaux. Défenseur acharné de la politique de Reagan et de Thatcher, il semble proche de l'ultralibéralisme et de l'école de Chicago. C'est ainsi qu'on le voit nuancer le bilan de Pinochet, peut-être parce que le dictateur a appliqué une politique néo-libérale et qu'il s'est entourée de conseillers issus de l'école de Chicago. Par ailleurs, cet ami de Llosa n'ignore pas que le romancier, ancien candidat à l'élection présidentielle péruvienne, est lui adepte d'un libéralisme beaucoup plus modéré. Revel voulut réhabilitéer les Etats-Unis de l'antiaméricanisme primaire. Fort bien. Son désir ardent de justice l'amena récemment à défendre le principe de l'opération en Irak au nom de la liberté.
Si bien que Revel paraît n'avoir pas d'idée précise derrière ce beau mot de libéralisme qu'il emploie à toutes les sauces. Notre libre penseur oscillerait-il éternellement entre le libéralisme modéré et le libéralisme le plus sectaire? Je sais bien qu'on lui reprochera d'avoir appartenu à quelques coteries particulièrement élitistes et d'avoir peu prêté attention aux problèmes des déshérités, sauf à réhabiliter l'OMC. Revel n'est pas à proprement parler un penseur politique pour n'avoir pas inspiré un libéralisme novateur, celui de son époque, ni soutenu un libéralisme clair. Il ne suffit pas de se référer à un mouvement pour désigner une définition précise!
Francisco Verarga montre clairement que la fin du libéralisme classique (la liberté) diffère de l'ambiguïté de l'ultralibéralisme, qui se réclame tantôt de l'utilitarisme et tantôt du droit naturel. Revel se revendique quant à lui, non sans une certaine mauvaise foi, autant de Bastiat, de Turgot, de Hayek, que d'Aron, de Friedman ou de Llosa. Il est clair qu'à la citation de tous ces libéraux, la bannière du libéralisme présente des désaccords profonds.
On peut même se demander si Revel ne rejoint pas les partisans de la mauvaise foi, c'est-à-dire les ultralibéraux qui feignent de se situer dans la continuité du libéralisme classique alors qu'ils inspirent un libéralisme extrême, où l'Etat est réduit à la portion la plus congrue possible, où l'économique supplante le politique, où la libéra(lisa)tion des frontières est censée guérir de tous les problèmes économiques.
C'est peut-être la raison pour laquelle les livres de Revel, qui se veulent des traités de philosophie politique, deviennent de plus en plus des compilations de faits polémiques contre le communisme et pour le libéralisme. L'ultralibéralisme, en fait? Il se pourrait que la lecture des livres de Revel plus tard, par des spécialistes des libéraux du vingtième siècle par exemple, accouche d'une critique sévère : d'avoir, au nom de la liberté, encouragé, une idéologie totalitaire : le capitalisme sauvage, ou l'ultralibéralisme, tel qu'il se manifeste dans la Chine capitalisto-communisme de ce début de XXIème siècle.
Pour avoir défendu tout ce qui se réclamait du libéralisme, y compris les propositions extrêmes, voire idéologiques (ce qui serait un comble), Revel n'a pas accouché d'une oeuvre cohérente et solide. Finalement, des livres que j'ai lu de cet académicien, ses Mémoires sont un peu rébarbatives sur la fin (notamment avec la longue description de ses actions de directeur de l'Express). Je ne connais à ce fin gourmet qu'une oeuvre vraiment détonante : son Journal de l'année 2000. La style incisif de Revel y trouve sa meilleure mesure. C'est un peu léger, d'autant que sa vision paradoxale du vingtième siècle, ce siècle qui lutta tant pour la liberté et fut de ce fait le plus criminel, ne possède aucune originalité.
C'est peu pour la mémoire intellectuelle de cet homme qui s'opposa au communisme au nom de la liberté. Où l'on voit que la liberté est un terme vague, qui énonce sans doute une fin juste, mais dont il serait urgent de définir les contours. Pour n'avoir pas clarifié cette définition, Revel demeure un écrivain mineur, approximatif et ambigu. Mais n'est-ce pas le propre de Revel que d'avoir défendu des orientations politiques de plus en plus à droite, alors qu'il se réclamait d'autant plus de la gauche véritable?

1 commentaire:

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Merci pour ce très bon site, vraiment un panaché de bonnes et intéressantes idées. Surtout continuez ainsi. Bon courage!