mercredi, mars 21, 2007

Anticipation

Voir ou ne pas voir
Telle est la question.


Avant même de voir (ou pas) l'émission de Mireille Dumas de ce soir, consacrée à la prostitution, je prévois, peut-être à tort, la répétition convenue des vieux malentendus. Pourquoi à chaque fois qu'on évoque ce sujet sensible, ce sujet qui sent la poudre parce qu'il interroge notre part la plus intime, celle qui nous tient le plus à coeur, et que nous aimerions sans doute rendre étrangère à nous-mêmes, faut-il cette somme harassante de préjugés et de redites?
On m'objectera sans doute que je n'ai pas vu l'émission, intitulée de façon prémonitoire Bas les masques!. Fort bien. Mais quand je vois que les invités sont Massimo Gargia, un éditeur, un écrivain (Claude Dubois) et l'acteur Fabrice Lucchini, je me dis qu'une fois de plus, les tabous tenaces qui permettent à la solide institution de la prostitution de perdurer ont la vie belle.
On m'objectera au surplus que des prostitués et des clients sont invités et donneront leur témoignage éclairé. Pour avoir assisté au tragique malentendu de ces hommes et de ces femmes qui viennent dire une vérité qui ne correspond en rien à celle du trottoir, celle que je connais, moi qui sors à la rencontre de ces personnes depuis bientôt sept ans (eh oui, que le temps passe!), je ne suis pas dupe de l'erreur, quand ce n'est pas du mensonge.
Et que l'on ne vienne pas, les sabots crottés et la mine enfarinée, m'expliquer que je parle à la place des personnes prostituées. Je ne fais que constater le caractère biaisée (faut-il s'en étonner ou s'en émouvoir?) de toute parole soumise à la violence extrême et au mensonge généralisé, qui empêche une prise de conscience politique et sociétale.
J'en vois d'ici d'aucuns me parler de la condition des SDF, qui, eux, se plaignent de leur précarité, alors que la parole des personnes prostituées varient de la dénonciation à la revendication de légitimation, en passant par toutes les positions imaginables. Cet argument est faux, en ce que les associations au contact trouvent de nombreux et troublants points communs entre les deux situations de précarité. Alors, pourquoi les SDF interrogés dénoncent-ils toujours leur exclusion, quand les personnes prostituées laissent entendre un son de cloche si mitigé, si frileux, quand il n'est pas carrément réglementariste?
Peut-être faut-il chercher les causes du malentendu dans le trouble que ne manque pas de susciter l'argent chaque fois qu'il pointe le bout de son nez? Soit la présence d'un intérêt fort, en mesure d'expliquer la légitimation de la prostitution et la condamnation de la clochardisation. Quel serait l'intérêt du clochard à dormir sur le trottoir? Il n'y gagne en effet rien. Encore que je connaisse certains clochards déséquilibrés (l'un fort savant et philologue, fils de riche famille et atteint d'une psychose maniaco-dépressive, de l'avis d'un psychiatre) exigeant le droit de dormir dehors en plein hiver. Parlera-t-on à son endroit de consentement devant lequel il faut s'incliner toutes affaires cessantes? Est-on libre de risquer la mort et la déchéance, comme ces nombreux cas de malheureux hères préférant affronter les affres du froid que l'humiliation d'un accueil en foyers (fort peu hospitaliers, il est vrai, dans leur ensemble)?
Ce qui choque avec les SDF laisserait songeur, quand ce n'est pas de marbre, pour les personnes prostituées, à cause des fortes sommes d'argent que génère la prostitution? On se souvient des rengaines que ne manque jamais de dégainer le grand public mal informé (et qui délivre d'autant plus son avis définitif qu'il se targue avec honnêteté de ne rien connaître à la situation) : les putes aiment coucher, elles aiment la thune, si elles le font, y'a bien une raison, etc. Il n'est pas jusqu'à cet inspecteur de la Brigade des moeurs qui me laissa entendre qu'il partageait ma position pour les prostituées slaves ou africaines, mais qu'il en connaissait de libres et de riches par ailleurs. Je pouvais le croire sur parole!
Outre qu'il mentait (elles étaient si libres que leur Jules, dans une délicieuse polysémie, n'était autre que leur mari, selon une tradition solide dans le milieu classique du proxénétisme), il se récria et poussa des cris d'orfraie quand je lui soumis l'éventualité de proposer à sa fille la voie lucrative de la prostitution plutôt que les difficiles études d'avocat auxquelles elle s'astreignait, qui plus est de mauvaise grâce. Que diable laissait-il la pauvre enfant suer eau et sang, alors que se dessinait pour elle une alternative lucrative ? Il n'en était pas question! Jamais pour sa fille!
Je me refusai à comprendre plus avant la duplicité d'un tel discours, qui consiste à juger bon pour les opprimés et les déshérités ce qui est de l'ordre de l'inconcevable pour les familiers, voire les rejetons de sa chair.
Et si cette redoutable propension à légitimer la prostitution n'était pas l'expression de la vérité? Non que j'adhère subitement aux arguties des réglementaristes et affidés, pour qui la prostitution, pour être le plus vieux métier du monde, n'est jamais qu'un métier comme un autre, appelé à se libéraliser dans tous les sens du terme : soit à connaître, après les affres du proxénétisme, les havres de la félicité.
Je connais trop ce milieu pour savoir ce que cache les promesses de lendemains qui chantent (faux). Un peu comme pour l'intervention en Irak, au nom du Bien, les discours de libération de la prostitution ne sont que les paravents qui permettent aux crapules du crime international de légaliser la plus lucrative des activités. Rendre admissible le crime, quelle prouesse!
Justement, je ne peux manquer de citer la violence du proxénétisme, la violence de la prostitution, la violence du client, la violence de la légitimation sociale, la violence de cet argent qui pour le coup tue (sans que l'argent soit le responsable des tristes débordements -trop- humains qu'il génère) en évoquant le pénible, quoique passionnant, sujet de la prostitution. Serait-ce que la prostitution, thème politique et philosophique par excellence, soit le point de ralliement, le panache sombre, de la violence qui ne dit pas son nom - soit de l'essentiel de la violence que l'homme expérimente, le plus souvent à son corps défendant et en hurlant non?
Allons plus loin : si la prostitution génère autant de violence et de légitimation, en toute bonne foi, c'est que le sexe lui-même, cet objet de tous les tabous et les interdits, qu'on voudrait libérer, y compris en le dérégulant, contient cette formidable violence en son coeur - pour le meilleur et pour le pire. Face solaire et ombre sombre qui expliquent que le lieu de la violence paroxystique, celui de la contrainte et de l'oppression, celui de la destruction (de l'identité en particulier) et de l'exploitation soit parfois perçu comme la simple condamnation de ce qui ressortit du préjugé atavique et de la haine du sexe (donc de la pudibonderie bien comprise).
Dans tous les cas, un constat : la violence est reconnue. Seul diffère le diagnostic, essentiel : pour les uns, la prostitution est une violence; pour les autres, ce sont les préjugés qui constituent la violence - la prostitution étant une activité comme une autre, qui rompra avec la violence en quittant le domaine de l'interdit.
Le sexe n'est le réceptacle de la violence qu'en tant qu'il est le lieu par excellence de la vie et du lien avec le réel. Comme si la création n'allait pas sans une débauche d'énergie et de violence. Rappelons-nous que désir et violence ne font qu'un et que ce qu'on loue comme mécanisme positif ne diffère de la violence stipendiée que par ses effets sur l'homme.
La reconnaissance de la prostitution passe par la reconnaissance de la violence sexuelle. Celle qui explique (enfin) les viols, les déviances sado-masochistes, les conduites (auto)destructrices, les conjoints battus et harcelés, singulièrement les femmes, ces créatures plus faibles, le machisme, où la femme devient le bouc-émissaire de la violence inter-sexuelle (pas seulement). Les tenants de la marchandisation du sexe ont bien compris cette donnée fondamentale, eux qui expliquent que la marchandisation du sexe régulera et réglera la violence.
Je me souviens d'un article de Iacub dans Le Monde des livres, où l'auteur, "à l'instar de beaucoup de féministes américaines" révèle "sans fioritures qu'au commencement, à la base, dans la structure des relations entre les sexes, "il y a le Viol". Cette simplification abusive et extrémiste du sexe à la pure violence en dit sans doute plus long sur les fantasme ou la mauvaise foi qui agitent l'auteur de cet article qui se veut transgressif et provocant.
Il n'est jamais que l'expression de la banalisation de la violence, selon laquelle la violence est une donnée brute, qu'on ne peut qu'accepter. La seule manière de contrer la violence dont on est victime revient à y opposer une violence supérieure, afin de rendre coup pour coup. Cette conception mercantile (et non biblique) se réclame de la longue et glorieuse tradition du totalitarisme classique. Point n'est besoin d'avoir lu les travaux de Girard pour sentir poindre non loin la manifestation essentielle du bouc émissaire. En l'occurrence, le bouc émissaire de cette violence, ce sont les personnes prostituées (mais aussi les clients, en tant que complices de la tragi-comédie). Je reviendrai plus tard sur l'article de Iacub et le compte-rendu effarant qu'elle dresse du King Kong Theory de Despentes.
Pour le moment, je me bornerai à constater que le progressisme éclairé implique l'éradication de la prostitution, comme la suite logique des combats, qui démystifièrent l'esclavage, le colonialisme, le machisme et le totalitarisme, puis entraînèrent leur mise hors la loi (du moins, en terre d'Occident, ce qui n'est pas un mince paradoxe, à l'heure où certaines consciences victimaires aimeraient à faire de l'Occident le Grand Méchant Loup). La prostitution n'est que le chaînon manquant de la sexualité, qui veut que l'humanité se soit attaquée à la violence comme au problème crucial de l'organisation politique. Pour le meilleur et pour le pire. Pour l'instant.

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