dimanche, mars 11, 2007

Speedy gonzo

Étymologiquement, pornographie désigne la peinture de la prostituée. Le sens est merveilleux. Car la pornographie décrit effectivement la personne prostituée. Soit la réduction de la vie à des sexes, de la violence et de l'argent. Argent : les dizaines de milliards d'euros que charrie l'industrie de la pornographie, puissante industrie parmi les industries. Violence : il est parfaitement conséquent de réduire le sexe à de la force et de la domination - reste à savoir si la vision est juste. Je pense d'ailleurs que cette déformation du sexe traduit le désir de faire du réel une gigantesque parade de forces antagonistes. Sexes : l'être humain est tellement déterminé par son sexe que toutes ses autres composantes (au premier rang desquelles le désir) en deviennent anecdotiques.
On pourrait bien entendu gloser avec justice sur l'exploitation éhontée des personnes que suscite la pornographie : l'immense majorité des acteurs et actrices opèrent dans l'anonymat et la pauvreté; les déviances hors-la-loi y sont légions et demeurent impunies; les phénomènes d'addiction dépassent le caractère anecdotique. Évidemment, la pornographie n'est pas responsable de la violence du monde. La proposition inverse serait même plutôt vraie : c'est la violence qui est cause de la pornographie. Évidemment, l'interdiction prohibitionniste de la pornographie n'est pas souhaitable, même si je constate que le parti qui triomphe dans le phénomène de libération des moeurs n'est pas tant celui des libéraux que celui de l'argent et de l'ultralibéralisme. où l'on voit que la liberté est l'étendard invariablement brandi par les fous et les totalitaires.
Il me semble que la loi française est assez juste en matière de réglementation et de censure des productions pornographiques, même si la démocratisation d'Internet encourage tous les débordements, notamment chez les jeunes dont l'éducation est délaissé par des parents dépassés. Il faudrait grosso modo plus d'encadrement dans les conditions de recrutement, de tournage et de diffusion; et, surtout, des campagnes de prévention qui permettent de dire vraiment, surtout en direction des adolescents, la réalité du sexe pour la différencier de la représentation pornographique. Réalité multiple, mais dont la constante face à la pornographie est de différer radicalement de cette représentation (l'exception confirmant la règle). Ce n'est pas peu dire que la pornographie prétend investir l'horizon de la vie pour en détourner l'absence de valeurs au profit de ses principes brutaux et caricaturaux.
Le développement de l'esprit critique est la pratique que la démocratie encourage le moins. C'est pourtant la garantie de sa pérennité - le plus sûr moyen d'affronter les risques que suscite la liberté. Au premier rang, le fait de mal décrypter la violence et d'en subir de plein fouet la déréliction sans être capable d'en faire une force inexpugnable.
Il est évident que l'expérience de la critique suscite les moyens d'établir la différence entre pornographie et sexualité. C'est d'ailleurs l'un des arguments derrière lequel s'abritent avec lâcheté et mauvaise foi les partisans de la pornographie (soit, pour une large part, les avocats des lobbys de l'industrie du sexe) : jouant avec les zones de latence qu'induit la libération des moeurs (que faut-il interdire sans sombrer dans la censure?), ils se font fort de rappeler que la pornographie ne prétend qu'à l'univers du fantasme. Il resterait à se demander pourquoi les fantasmes touchant à la sexualité engendrent systématiquement les représentations les plus médiocres et grandiloquentes. Ce type de fantasme est pourtant dangereux : en ne tenant pas compte des sentiments et des conventions sociales, on brise le tabou pour délivrer les forces incontrôlables de la domination aveugle.
Le visionnage d'un film pornographique a toujours déclenché en moi d'irrépressibles fous rires. Après quelques minutes de stimulation libidinales, encouragée par le mimétisme et l'évocation explicite, aussi déformée soit-elle, le spectacle de l'échange biaisée (rencontre surfaite, à peine jouée, dans la foulée copulation frénétique et archiprévisible), les couinements caricaturaux alternant entre barytons de taureaux en rut et sopranos de danseuses hystériques (ah! les joies du doublage!), la surenchère des positions précaires, voire dangereuses, qui en viennent à flirter avec la pratique des cascadeurs ou des gymnastes de haut vol, se révèlent plus jubilatoires qu'entraînants. Explicit lyrics, explicit pictures, affirment en substance les rappeurs? Ils devraient ajouter : prévisible - et comique.
C'est la règle qui prévaut pour les films dits d'horreur! Je me rappelle de ce dentiste en proie à des crises aiguë de sociopathie, qui, sous prétexte de consulter ses malheureuses proies, les saucissonnait avec délectation, leur tronçonnaient et leur lacéraient la bouche, en profitant du climat de confiance. Il est vrai que le dentiste est toujours considéré comme un boucher vaguement sanguinaire! Sang, hurlements, sadisme : l'exagération était si caricaturale que je ne résistais pas au fou rire.
La pornographie, loin d'engendrer l'excitation, n'est jamais qu'une vision burlesque du sexe. Les amateurs de pornographie ont-ils conscience de cette dichotomie entre la représentation et la réalité? Au passage, nul besoin de chercher ailleurs ce qui fait le charme si aléatoire de l'écriture sadienne. L'exposition des pires violences est narrée dans une langue magnifique. Le balancement du plus pur classicisme ne laisse pas d'introduire le doute sur les intentions : Sade adhère-t-il à son propos fermement - ou se moque-t-il du monde une bonne fois pour toutes ? En tout cas, si le Divin Marquis prend ses histoires sexuello-criminelles avec le même sérieux que sa conception de Dieu, la dérision est garantie!
Il arrive que les (télé)spectateurs (dont le public des internautes) perçoivent littéralement le film pornographique. La pornographie devient ainsi l'expression fidèle de la réalité. Réalité dont on perçoit l'amalgame : le sexe est en effet considéré comme le meilleur témoin du réel. L'influence du littéralisme n'est pas le triste apanage d'une minorité naïve. Son ombre rejaillit sur les comportements adolescents (où l'on voit le lien entre la pornographie et l'approche fortement individualiste de la violence moderne).
L'adolescence est la proie idéale pour entériner les simplismes qui donnent l'impression de la facilité et de la réconciliation avec le monde. L'éveil à la sexualité encourage, bride rabattue, toutes les réductions. Tant que le sens s'accueille avec confort... La démagogie n'est-elle pas la résolution des problèmes insolubles par la violence? Il est navrant que le grand public n'ait, en matière de sexualité explicitée, que le recours au spectacle de la pornographie!
Non qu'il faille instituer une alternative doucereuse au porno - un soap porno qui ajouterait la mollesse décadente à l'ennui généré par la répétition prévisible. Le porno est en effet si stéréotypé qu'il ne peut être édulcoré sans entraîné sa suppression automatique. Sa force tient dans son seul extrémisme. Comme toutes les expressions radicales, son but est de laisser croire que la violence et la domination sont les moyens de tutoyer la perfection. En la matière, la perfection se trouve résider dans l'Arlésienne de la modernité, ce fameux plaisir que l'homme cherche comme le Saint-Graal et qu'il espère dégotter dans le sexe. Il faudra délivrer l'homme de sa quête sans fond : il n'est pas près de trouver...
L'alternative au porno n'est pas la perspective du sexe non violent. C'est tout simplement l'approche classique, qui veut :
1- que le réel soit représenté avec sa complexité infinie et ses nuances chatoyantes.
2- que le sexe ne puisse être décrit autrement que sous sa forme la plus insignifiante. Rien à dire d'autre du sexe que la pure répétition de ses hauts faits. C'est pourquoi le porno se trouve condamné à sa monotonie; pourquoi l'art et le sexe se trouvent en haute incompatibilité; pourquoi la représentation du sexe est bien plus excitante quand elle demeure suggérée ou à peine dévoilée. Le fantasme se nourrit de l'imaginaire. Une fois exhibé, l'obscène lasse.
La vérité sur le sexe? Il ne saurait être isolé des autres fonctions qui instituent la personne. La pornographie est bien une gigantesque arnaque, une duperie qui n'a de mérite que grâce à la cohérence de son simplisme. Faut-il interdire la pornographie au nom des valeurs qu'elle répand? La véritable réponse tienne dans le diagnostic délivré sur l'époque. Car le succès foudroyant des films X ne tient pas à leur qualité (personne ne songerait à en contester la nullité), mais à leur parenté avec l'idéologie de l'époque, celle que le nihilisme a inventée pour supplanter le divin (dont on sait qu'il fut assassiné).
La pornographie propage le mirage de l'ultralibéralisme. On tronçonne, comme le massacre du même nom, on découpe, jusqu'à n'en plus présenter que des séquences saucissonnées et boudinées, celles qui arrangent tout le monde parce qu'elles propagent l'inaccessible. Le succès de la pornographie est le succédané de l'époque. Elle en est un symptôme plus qu'un péril indépendant.
Il faut être bien perdu, bien triste, laissé à soi comme aux autres, pour espérer dans le spectacle pornographique un brin de réconfort. Car la pornographie n'a rien à apporter, rien à proposer - sauf la surenchère dans la violence et le fini. Les actrices sont appelées à recourir à la chirurgie plastique, les hommes aux stimulants aphrodisiaques. Les seins? D'énormes mamelles. Les fesses? De la gélatine plastique. Les pénis ne sont pas en reste. Ils opèrent dans la concurrence millimétrée et calibrée, allant jusqu'à recourir à la chirurgie pour agrandir le membre symbole de la virilité (en latin, vir désigne la puissance et la vertu).
Qui sont les héros du porno? Les héros de l'époque! Rocco est devenu un mythe pour avoir découvert la longueur démesurée de son organe de pensée, cette courge qui en fait l'étalon d'une certaine époque bien laide. Tabata Cash, dont le pseudonyme indique plus qu'un programme, incarne la salope que tous honnissent pour désirer en goûter les fruits (réputés) torrides.
Les exemples abondent, et il faut s'arrêter. Tandis que Katsumi se fait fouetter et défoncer les orifices pour tenir la distance, Clara Morgane la nymphomane est consultée, avec tant d'autres, comme experte patentée en sexologie! La pornographie permet bien la libération de l'individu brimé : elle assure l'épanouissement radieux de cas qui, autrement, relevaient de la psychiatrie. Vive la pornographie! Malgré les efforts, on peine à donner une fonction aux acteurs pornos, ces tristes pantins qui ne peuvent prétendre au rôle d'acteurs : leur hyperréalisme diffère du mouvement pictural du même nom en ce qu'il n'est que la déformation erronée du réel - l'extension du fini à l'ensemble du réel. Les acteurs, lassés de leur rôle stéréotypé (c'est le moins qu'on puisse prétendre!), se cherchent une fonction autre que celle qu'ils occupent vraiment, ceux de hérauts de la supersexualité, destructrice et perverse. Les pauvres découvrent parfois sur le tard qu'ils sont catalogués à jamais et qu'on ne leur a octroyé un peu de puissance virtuelle qu'en échange de leur humanité. L'adage est cruel : qui sacrifie corps et bien au règne exclusif du fini périt dans les flammes de cette finitude omniprésente, qui s'approche de la description de l'enfer.
Disons-leur tout net : nos porn stars participent de la détestation de la vie, qui veut qu'au final, tout mérite d'être anéanti. Entre-temps, on aura passé son angoisse dans la dénégation du mystère de l'existence. Quand on ne croit plus à la vie, quand on laisse les instincts libres, c'est-à-dire ouverts sur l'absence de sens, on court à l'abîme. Je me soucie moins du devenir des productions pornographiques que de la course folle qui s'est emparée de l'humanité désemparée.
Que l'on examine sérieusement les témoignages des acteurs porno, ravis de leurs expériences, modernes épigones de la découverte d'un autre monde par le plaisir. Quel décalage avec les enquêtes fouillées sur la réalité de ce monde trouble! Le porno mène au néant. C'est le secret de l'époque que de ne laisser de son passage que l'odeur rance de la terre brûlée. Notre adoration du fini nous consumera-t-elle jusqu'au dernier, englouti dans le spectacle du remplacement arbitraire de l'art par la brutalité?
Qu'est-ce que la brutalité? Non pas tant la bestialité, ce sain rapprochement avec le règne animal, que l'affirmation de la toute-puissance du sens. Quand le sens dit tout du réel, il remplace un film de Bunuel par un gonzo au scalpel. Trop de sens tue le sens. N'est-ce pas le propre de la vengeance que de finir sur un autodafé?

3 commentaires:

voyance gratuite par email a dit…

Je vous remercie énormément pour toutes vos propositions sur ce site. Vos partages sont très intéressants et fort enrichissants. Félicitations à vous.

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Sujet très intéressant sera signet votre site pour vérifier si vous écrivez plus sur l'avenir

rosy123 a dit…


Très bon article, comme toujours. Il a le mérite de susciter le commentaire 
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