mardi, mars 13, 2007

Invisible

"Les parents ont mangé les raisins verts et les enfants ont eu les dents agacées."
ANCIEN TESTAMENT.

On se rappelle que le romancier nord-américain Chester Himes dénonçait, comme caractéristique principale du racisme dont étaient affligés les Noirs (soit les descendants d'esclaves africains), l'invisibilité. Était-ce seulement la conséquence - la dénonciation des multiples discriminations intentées à l'encontre des Noirs-, ou la cause - le fait que la conception de la vie qui anime l'Africain soit à l'origine de ses persécutions par l'Occident métaphysique et monothéiste?
Bon, un peu d'éloge! Moi qui ai si peu goûté le numéro 7 de Philosophie magazine, coincé entre les écoles de pensée qui suivent l'air du temps et les pédants moralisateurs, j'ai été emballé par un petit article marginal. Les Fantômes de l'hôpital. C'est souvent ainsi : le détail donne son sel à l'essentiel. Quand le détail devient l'essentiel, l'essentiel devient l'accessoire... Il est vrai que les événements suivent des courbes étonnantes et imprévues. Je laisse aux disciples des Shadok les amphigouris du dossier spécial consacré à l'école-de-pensée-révolutionnant-le-sexe-et-la-morale. J'entends évoquer le séminaire que le philosophe burkinabais Didier Ouedraogo livre, à l'hôpital Saint-Louis de Paris, aux professionnels de la santé souhaitant s'initier aux méandres des conceptions africaines.
Dans le Réel et son double, Rosset explique que selon Hegel, "ce monde-ci est l'autre d'un autre monde qui est justement le même que ce monde-ci : car cet itinéraire mystérieux, au cours duquel le phénomène se médiatise soi-même en soi-même pour devenir manifestation de l'essence, n'est autre que le chemin qui conduit de A à A en passant par A."
Hegel réconcilie le monde sensible avec le monde idéal grâce à une médiation qui fait du suprasensible "l'exacte duplication" du sensible. J'ignore au juste si Hegel, que je n'ai jamais lu, pour ma grande confusion et ma grande satisfaction, est proche de cette mentalité africaine qu'il a tant décriée dans La Raison dans l'histoire. Il est vrai que les grands philosophes de l'Occident n'ont jamais que délaissé et méprisé la pensée africaine, y décelant l'évocation de sauvageries infra-conceptuelles. Laissons aux historiens de la philosophie cette propension curieuse à ignorer le futur au nom de l'intelligence et de la Raison. Mille pardons!
Hegel pan-africain, l'anecdote ne manquerait pas de sel! Encore que Hegel est l'antithèse du modèle africain. Pour être métaphysicien accompli, Hegel croit à la réconciliation du sensible et de l'idéal grâce au deuxième monde suprasensible. Ce deuxième monde n'est pourtant pas le sensible. L'unicité du réel est ainsi déniée au profit d'une réconciliation de la pensée.
A en croire Ouedraogo, mais aussi l'extraordinaire Kapuscinski d'Ébène, les cultures ouest-africaines ont ceci de commun entre elles qu'elles adhèrent au moogo, "un monde scindé entre celui des vivants et de ce qui les entoure, et celui des génies et des ancêtres invisibles et éternels", selon Lia Duboucheron. Duboucheron toujours : "Deux vases communicants avec une prédominance du second qui investit en permanence le premier et le dépasse puisque c'est lui qui décide de ce qui advient aux hommes." Ouedraogo : "Si nous occupons l'espace éthique de cet hôpital ce matin, c'est parce que le monde invisible nous le permet, c'est une concession de jouissance. Les ancêtres sont impliqués dans tous nos actes quotidiens."
Quelle serait la différence entre la conception hégélienne et la version africaine du réel? Il n'est jamais facile de différencier le dualisme de l'unicité pour la simple et bonne raison que l'unicité conçue comme matérialisme n'est guère plausible et que toute conception qui tend à différencier le réel de sa représentation est catégorisée duelle.
Reste à expliquer le caractère incompréhensible de ce monde-ci. Soit par l'adjonction d'un autre monde, satisfaisant celui-là; soit par l'idée que la représentation est parcellaire et tronquée. En ce cas, l'unicité du réel, plus cohérent que l'ailleurs introuvable, possède une meilleure pertinence que l'unique insignifiant.
Si le réel est double, c'est du fait de la propension humaine à comprendre le même par l'autre. L'homme est contraint à dédoubler l'un en deux pour l'expliquer. Il se pourrait que la conception africaine, dont l'antériorité sur les autres conceptions ne fait pas de doute, n'ait pas accouché que de la métaphysique occidentale, n'en déplaise à Kant ou Hegel (il serait aisé de trouver des correspondances importantes entre la pensée hellène et son ancêtre égyptienne).
Elle porte aussi en son sein la philosophie du futur, selon laquelle, si le réel n'est pas complet, ce n'est pas du fait d'une imperfection du réel (le sensible), mais du fait d'une limite de la représentation humaine. Non pas tant que cette représentation soit imparfaite, mais qu'elle soit ajustée aux besoin immédiats du vivant. C'est la bizarrerie et la supériorité de l'homme que d'envisager ses besoins au-delà des nécessités matérielles. Bizarre : l'homme s'en trouve désemparé et à jamais inquiet. Supérieur : grâce à cet apport, l'homme est capable de s'extraire du pur présent et de dominer son monde.
Il reste à savoir si cette hégémonie tyrannique, dont on mesure les résultats destructeurs à l'aune des avertissements que la communauté scientifique adresse à l'humanité, n'est pas aussi la faiblesse qui perdra le plus grand prédateur de tous les temps. La solution se trouve, non pas dans le ressassement des anciennes métaphysiques, mais dans leur dépassement par la réconciliation. La réconciliation hégélienne supposait la médiation de la synthèse, l'idée d'un troisième terme pour remédier aux antagonismes du dualisme. L'élan de la mentalité africaine vise précisément à réconcilier le monde avec le réel en intégrant le réel qui nous dépasse au monde de l'homme. C'est précisément l'inverse de la démarche moderne, l'homme occidental n'ayant rien trouvé de mieux, pour accroître sa puissance, que de nier le réel transcendant au profit d'une extension inconsidérée du domaine du fini.
En deux mots : de deux, revenons au un. De la complexité duelle, le primat de la représentation, regagnons la chaleur hospitalière de la simplicité singulière - le primat du réel. Ce n'est qu'avec l'Afrique que nous entreprendrons ce retour aux sources, ce retour aux racines. Voyage initiatique aux portes de l'entendement?

3 commentaires:

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