mardi, mars 06, 2007

Travailleurs, que vivent les 32 heures !

Je reproduis quelques extraits du chat que Le Monde du mardi 6 mars 2007 a organisé entre Pierre Larroutourou, candidat à l'élection présidentielle et délégué national du PS à l'Europe, et des internautes intéressés par ses propositions originales. Question intrigante : pourquoi ce proche de Michel Rocard, économiste sérieux, possède si peu d'accès aux médias, alors que la candidate du Parti Socialiste ressemble de plus en plus à une vitrine cartonnée et cantonnée à un sourire-sandwich éternel et (faussement) béat? Ce n'est pourtant pas de démagogie que la gauche a besoin, mais de propositions fiables et concrètes pour débrouiller l'écheveau complexe de la mondialisation et proposer une alternative au modèle américain tant décrié (et jamais remplacé jusqu'à présent).

Sa45 : Comment voulez-vous que les entreprises soient compétitives en travaillant moins et donc en augmentant le prix de la main d'œuvre (puisque je pense qu'il y aura maintien des salaires) et comment voulez-vous que les entreprises embauchent ? N'allez vous pas au contraire contraindre les entreprises à délocaliser à l'étranger. Nous sommes actuellement le pays qui travaille le moins. Ne serait-il pas logique d'augmenter notre temps de travail ?

Pierre Larrouturou : Vaste question... Nous ne sommes pas le "pays qui travaille le moins". Tous nos pays vont en moyenne vers 30 heures par semaine. La durée moyenne du travail (tous emplois confondus) est de 29,9 heures aux Pays-Bas, et de 33,7 heures aux Etats-Unis. Dans tous nos pays, on a amélioré la productivité, dans tous nos pays, on a besoin de moins de travail pour produire plus. La question est de savoir si on y va par de la précarité, comme aux Etats-Unis ou au Japon, ou par un mouvement bien négocié. En passant à quatre jours, l'entreprise n'augmente pas ses coûts de production.
Plus de 400 entreprises sont déjà passées à quatre jours et ont prouvé que c'était possible. Chez Mamie Nova, le prix du yaourt n'a pas augmenté d'un centime, mais le passage à 4 jours a permis de créer 120 emplois. Si l'entreprise passe à 4 jours et crée au moins 10 % d'emplois nouveaux en CDI, elle a une exonération de 8 % des cotisations. Les plus faibles salaires ne perdent rien, les cadres et les commerciaux perdent 2 ou 3 %. Encore une fois, la semaine de 4 jours est déjà une réalité dans 400 entreprises. Une étude du ministère du travail estime qu'un mouvement général, avec le financement que nous proposons, pourrait créer 1,6 million emplois.

Paglop : Quel est le vrai bilan des 35 heures ? Combien d'emplois créés pour quel coût ?

Pierre Larrouturou : En janvier 1998, j'avais publié un livre, "35 heures, le double piège", dans lequel je soulignais les limites des "35 heures". En réalité, avec la première loi Aubry, les accords 35 heures ont permis de créer des emplois en donnant une vraie réduction du temps de travail (RTT) aux salariés, et sans abîmer l'entreprise. Hélas, avec la deuxième loi Aubry, qui a concerné la majorité des salariés, on pouvait signer un accord 35 heures et rester à 38 heures de durée réelle, et les exonérations ont coûté très cher à l'Etat, alors qu'il n'y avait aucune obligation de créer des emplois. Au total, selon l'Insee, la durée réelle du temps de travail n'a baissé que de 4 % en moyenne. Le mouvement a créé entre 300 000 et 350 000 emplois. C'est mieux que le bilan de la droite (les 200 000 emplois Borloo sont en moyenne à 15 heures par semaine), mais ce n'est pas suffisant pour traiter le chômage de masse.

Aline : Ségolène Royal ne dit pas ce qu'elle veut faire des 35 heures. N'est-ce pas un échec pour vous ? Nicolas Sarkozy, lui, est clair.

Pierre Larrouturou : Nicolas Sarkozy est clair : il veut nous amener vers le modèle américain au moment même où Alan Greenspan annonce que ce modèle peut amener le monde vers une récession globale. Aux Etats-Unis, il n'y a pas eu de loi sur le temps de travail, mais il y a tellement de précarité que la durée moyenne du travail est inférieure à 34 heures. A cause de cette précarité, les salaires réels diminuent, et ce n'est que grâce à un très fort endettement que la croissance se maintient. Mais cette fuite en avant a des limites. En 1929, quand la dernière crise du capitalisme a éclaté, la dette totale américaine (privée et publique) représentait 130 % du PIB, elle vient de dépasser les 250 % du PIB. Voilà pourquoi Greenspan dit qu'on risque d'aller vers une récession mondiale. Visiblement, Sarkozy ne l'a pas compris.

RésidentYuFungLAM2007 : Je n'aime pas cette question car la loi même des 35 heures n'empêche pas de travailler plus. Je détourne la question : on travaille plus mais on ne gagne pas beaucoup d'argent. Doit-on baisser les charges pour inciter les salariés à travailler plus et augmenter leur pouvoir d'achat ?

Pierre Larrouturou : Tant qu'il y aura 4 millions de chômeurs et des millions de précaires, la négociation sur les salaires dans beaucoup d'entreprises se limitera à "si t'es pas content, tu peux aller voir ailleurs". De ce fait, depuis vingt ans, chaque année, ce qui va aux salaires dans le PIB diminue un peu. La part des salaires dans le PIB représentait 79 % en 1982, elle ne représente plus que 67 % (source Insee). C'est un recul considérable. Cette année, quelque 200 milliards d'euros vont aller aux bénéfices, alors qu'ils iraient aux salariés si l'on avait gardé l'équilibre du marché du travail de 1982. Le seul vrai moyen de relancer les salaires, c'est de lutter radicalement contre le chômage pour permettre à tous les salariés de négocier vraiment le contenu et la valeur de leur emploi. Depuis vingt ans, on a multiplié les baisses de charges sans que l'effet sur l'emploi soit vraiment important. Et il faut bien financer les hôpitaux, les retraites. Supprimer complètement les charges n'est pas possible.
Pour élargir les contraintes, on devrait créer au niveau européen un impôt sur les bénéfices. Jamais les bénéfices n'ont été aussi importants, mais jamais on a autant baissé l'impôt sur les bénéfices. Aux Etats-Unis, le taux moyen d'impôt sur les bénéfices est aujourd'hui de 40 %, il n'est plus que de 25 % en Europe. Quinze points de moins ! Aucun pays ne peut tout seul augmenter son impôt sur les bénéfices de 15 points, mais rien de nous empêche de créer un impôt européen. Si le budget européen était financé par un impôt européen sur les bénéfices, les 18 milliards d'euros que la France met cette année dans le "pot" européen pourraient rester en France et servir à financer la protection sociale ou le logement (voir article avec Michel Rocard sur www.urgencesociale.fr).

Mme toutlemonde : La semaine de 32 heures que vous prônez, n'est-ce pas une utopie complète dans le contexte actuel ? Même votre candidate Mme Royal se garde bien de dire ce qu'elle pense des 35 heures !

Pierre Larrouturou : En 1985, après l'échec des 39 heures, personne à gauche ne voulait plus parler de la question du temps de travail. Aujourd'hui, le temps de travail est de nouveau un tabou aux yeux de certains responsables socialistes. Avec Michel Rocard et quelques autres, nous pensons au contraire que c'est un débat fondamental. Ce n'est pas la "solution miracle", mais c'est une des vingt propositions que nous avançons pour lutter contre le chômage. Encore une fois, la durée du temps de travail moyenne aux Etats-Unis est inférieure à 34 heures par semaine. On vit une révolution de la productivité. Cette productivité va-t-elle donner plus de précarité ou plus de qualité de vie ? C'est à nous d'en décider.
Sur Ségolène Royal, hélas, je ne sais pas ce qu'elle pense précisément de cette question.

Demerck : Comment concrètement voulez-vous que les Irlandais ou les Britanniques augmentent l'impôt sur leurs sociétés ? Ils ne vont pas se tirer une balle dans le pied !

Pierre Larrouturou : Les premiers qui, il y a quarante ans, ont imaginé que l'Europe pourrait avoir un jour une monnaie unique, expliquaient que cette monnaie ne serait viable que si l'Europe disposait d'une fiscalité commune et que le budget européen devait peser au moins 7 % du PIB. Aujourd'hui, l'Europe n'a toujours pas de fiscalité, et le budget européen ne représente que 1 % du PIB. En cas de récession aux Etats-Unis, l'Europe n'a aucun moyen aujourd'hui de limiter les dégâts. Voilà pourquoi il est urgent de lancer une négociation sur l'impôt européen pour donner à l'Europe et à chacun des Etats membres de nouvelles marges de manœuvre. Les esprits évoluent.
Il y a un an, le 18 janvier 2006, le chancelier autrichien affirmait devant le Parlement européen qu'il était "absurde de ne pas taxer les profits spéculatifs". Il y a quelques jours, Edouard Balladur a rappelé qu'au niveau européen, rien n'empêche de créer une taxe Tobin pour taxer la spéculation monétaire. Si même Edouard Balladur et le chancelier Schussel sont d'accord, qu'est-ce qu'on attend pour négocier ? Selon les chiffres de la BRI, 3 000 milliards de dollars tournent chaque jour dans le système financier international. Il est fondamental de "calmer le jeu" sur les marchés financiers, surtout si Greenspan a raison et que nous allons vers une récession. Une taxe Tobin améliorée (ceux qui achètent et revendent des monnaies dans la journée sont davantage taxés que ceux qui les gardent plusieurs semaines) permettrait de calmer le jeu sur les marchés financiers.

Jean-Damien Terreaux : Vous avez récemment apporté votre soutien à un syndicat agricole, la Coordination rurale, dont l'essentiel du discours repose sur la dénonciation de l'intervention de l'Etat en agriculture. Cela signifie-t-il que pour vous, le monde du travail salarié et les secteurs dits "indépendants" (artisanat, agriculture, etc.) sont des "mondes définitivement à part" ? Dans le deuxième monde "indépendant", les politiques de partage (du travail, des richesses) et de solidarité que vous préconisez ne sont-elles pas valides ?

Pierre Larrouturou : L'essentiel de mon intervention devant la Coordination rurale a prouvé, au contraire, que les dégâts du libéralisme sont les mêmes pour les salariés et pour les paysans. On peut voir sur notre site l'évolution des salaires par rapport au PIB et, juste à côté, l'évolution des prix agricoles depuis quarante ans. Dans les deux cas, le laisser-faire, le libéralisme amène à appauvrir le plus grand nombre. Dans les deux cas, il faut négocier des règles du jeu. C'est la semaine de 4 jours (entre autres) pour lutter contre le chômage, c'est des quotas (sur le modèle des quotas laitiers) qui permettent de maintenir les prix des productions agricoles. Dans tous les cas, il faut concilier l'existence de règles assez fermes et la liberté individuelle. Quand on parle de la semaine de 4 jours, c'est 4 jours "à la carte". Tout le monde est en moyenne à 32 heures, mais l'organisation concrète n'est pas la même pour un commercial, pour un chercheur, pour un ouvrier ou pour un pilote d'avion.
De même, en matière agricole, l'existence de quotas n'empêche pas chaque paysan de conduire son troupeau ou ses cultures d'une façon assez libre et de valoriser sa production au-dessus des prix minimum si elle le mérite (du lait produit sans que les vaches mangent de l'ensilage est payé plus cher que du lait avec ensilage). Mais, pour en revenir à la RTT, le besoin de souplesse et la diversité des métiers ne doivent pas nous empêcher de faire une franche réduction du temps de travail. En septembre 1993, dans le "Monde", Antoine Riboud, le patron de BNS Danone, disait : "il faut passer à 4 jours-32 heures sans étape intermédiaire, c'est le meilleur moyen d'obliger toutes les entreprises à créer des emplois". La souplesse ne doit pas empêcher une réduction très forte du temps de travail. La productivité a été multipliée par 7 depuis trente ans (voir la courbe sur www.urgencesociale.fr), on parlait déjà des 35 heures en 1978 (rapport Girodet remis à Raymond Barre), trente ans plus tard, il faut dépasser les 35 heures et avoir le courage d'un vrai débat sur la semaine de 4 jours.
Encore une fois, ce n'est qu'une de nos vingt propositions. Nous proposons aussi que l'Europe négocie avec la Chine des montants compensatoires. Nous proposons aussi un vrai financement pour la recherche ou les moyens de doubler le plan Borloo. Nous ne sommes pas des monomaniaques des 4 jours, mais cela reste un débat fondamental.

Demerck : Combien d'heures travaillez-vous par semaine ?

Pierre Larrouturou : En ce moment, beaucoup, car je suis vraiment inquiet. Il y a un mois, le journal Les Echos a publié coup sur coup quatre tribunes sur le risque d'un "effondrement du capitalisme mondial". Dans la dernière tribune, les Echos expliquaient que si les Etats-Unis tombaient en récession, la situation en Chine allait devenir explosive : il n'y a pas d'allocations chômage, et il y a déjà de nombreuses émeutes sociales. L'essentiel de la croissance chinoise vient de la consommation américaine. Si les Etats-Unis tombent en récession, la Chine suivra très vite et nul ne sait si ce qui s'est passé en Allemagne dans les années 1930 ne se passera pas en Chine dans les dix ans qui viennent : "Taiwan jouera au XXIe siècle le rôle qu'a eu l'Alsace-Lorraine au XXe siècle", expliquait récemment Thérèse Delpech. Vendredi dernier, les Etats-Unis ont proposé "plusieurs centaines de missiles à Taïwan pour assurer son autodéfense" (AFP). Dimanche, la Chine a annoncé qu'elle augmentait de 20 % son budget militaire. Il faut être aveugle pour ne pas voir monter les périls. J'aimerais que les politiques français comprennent la gravité de la crise. Il me reste dix jours pour décrocher les 500 signatures et essayer de me faire entendre du plus grand nombre. Mais je rattraperai cet été ma suractivité...

Grop : Vos propositions, qui sont désormais connues, ont fait l'objet de calculs apparemment fiables et confirment une faisabilité. Comment expliquez-vous qu'elles n'aient jamais été suivies ? Pourquoi ne les faites-vous pas valoir dans l'équipe de Mme Royal ?

Pierre Larrouturou : Hélas, depuis quatre ans, nous n'avons eu aucun débat de fond au sein du PS. Dans les vingt-quatre mois qui ont précédé la rédaction du projet, la commission économie ne s'est pas réunie une seule fois. J'ai été invité par des dizaines de groupes de citoyens à participer à des débats aux quatre coins du pays pour développer les idées de mon dernier livre, mais à Solferino, je n'ai jamais eu cinq minutes de parole.

Sandrine : Qu'en est-il des retraites ? Tout le monde sait que les Français devront travailler plus longtemps, alors à quand une vraie réforme ?


Pierre Larrouturou : La question des retraites va devenir très concrète en 2008, puisque la réforme Balladur imposée par décret en août 1993 s'appliquera réellement au 1er janvier 2008. Elle amènera à une baisse de l'ordre de 20 % du niveau de vie des retraites (- 30 % pour les cadres selon l'OFCE). La réforme Fillon impose d'aller à 42,5 années de cotisation pour obtenir une retraite "complète". Mais si nous n'arrivons pas à lutter radicalement contre le chômage, demander aux gens de travailler plus longtemps est stupide. En moyenne, aujourd'hui, quelqu'un qui part en retraite est déjà au chômage ou au RMI depuis trois ans en moyenne. Dire qu'il faudra travailler deux ans de plus, si nous n'arrivons pas à lutter radicalement contre le chômage, ne fera que déplacer le problème. Les gens partiront en retraite après cinq ans de chômage au lieu de partir après trois ans de chômage seulement... Je ne suis pas hostile à moyen terme aux quarante-deux années de cotisation, mais à condition d'avoir radicalement fait reculer le chômage, ce qui passe entre autres par la mise en place de la semaine de 4 jours. Il faudra travailler plus longtemps, mais travailler moins.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Good words.

Unknown a dit…


Superbe…j’adore ton blog plein de belles idées, d’ailleurs je viens de m’inscrire à ta news, si tu veux faire de même, c’est avec plaisir, je vous souhaite bonne continuation à très bientôt
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