vendredi, novembre 17, 2006

Doubles et rhétorique

Le double comme marque de l'illusion, cher à Clément Rosset, est aussi la meilleure rhétorique pour s'assurer d'une audience convaincue et incontestable. J'en veux pour preuve, inattendue, le discours sur la prostitution qui fleurit à l'heure actuelle dans de nombreux milieux. Certains expriment franchement l'ignorance, d'autres estiment que la subversion continue à passer par ce type de positions, au nom de 68 et de la lutte contre le moralisme par exemple. En gros, à écouter Bruckner et d'autres intellectuels, champions de l'hédonisme et de la libération des moeurs, certains manifestant un formatage intellectuel franchement médiocres (comme Iacub), il y aurait les prostituées-esclaves, victimes des réseaux internationaux de la traite humaine, et les prostituées volontaires, celles-là réalisant un travail non seulement consentie, mais qui plus est bénéfique pour une certaine catégorie de la population (la prostituée-psychologue et sexologue étant, comme chacun le sait, appelée à remplacer le sexologue et le psychologue). Je pourrais revenir sur les prémisses évidemment fausses de ce type d'argumentaire. En gros, l'aberration consiste à faire croire que la liberté est présente comme une donnée intangible en chaque individu et que son usage ressortit du libre-arbitre de chacun. Je m'attacherai plutôt au vice inhérent à ce type de raisonnement. S'il est vrai que le double est le symptôme de l'illusion, alors ce discours traduit la duplication de la réalité. En l'occurrence, le réel exprime bien la simplicité de toute chose si l'on rappelle la vérité banale et tragique : la prostitution constitue une destruction du corps, et plus encore de l'esprit, pure et simple.
Par contre, certaines données impliquent que ce genre de discours ne soit pas franchement illusoire, comme ce pourrait être le cas d'un certain idéalisme forcené et sans application possible. En l'occurrence, le discours de légitimation d'un certain type de prostitution ne signale pas seulement la confusion (par exemple) entre la libération des moeurs et de la sexualité (salutaire entreprise en tant que telle) et la légitimation de la violence (sexuelle) au nom de cette attente (entreprise perverse et manipulatoire cette fois). Car il faut bien comprendre que la banalisation de la prostitution et sa légitimation sont les préalables théoriques indispensables à la modification escomptée et tacite, d'ordre très pratique celle-là - je veux parler de la réglementarisation juridique de la prostitution qui s'étend à l'Europe, depuis que l'Allemagne a emboîté le pas aux Pays-Bas sur ce triste thème de l'ultra-libéralisation du corps humain. Selon cette vision où l'argent est une fin et le corps une machine (on serait en droit d'attendre plus de modération et de bon sens en rappelant que l'argent est un moyen et que le corps appartient à une personne douée de sentiments), la prostitution devient un métier possible, comme l'agriculture, selon les mots même de l'inénarrable Iacub, l'alter ego méconnu de Voltaire dans sa lutte contre l'Infâme contemporain. Cas typique de duplication hallucinatoire : il y aurait l'esclave et l'agriculteur comme il y a la prostituée et l'esclave sexuelle. En vérité, l'agriculture en tant que telle est une activité qui permet aux sociétés humaines de se nourrir et d'entretenir les sols de leur espace (entre autres), alors que la prostitution est une destruction de la personne au service de l'enrichissement d'organisations criminelles. L'agriculture en tant que telle construit quand la prostitution en tant que telle détruit. C'est une évidence et qui ne veut pas l'entendre pourra toujours arguer de sa bonne foi en suivant un stage chez un agriculteur, puis dans une maison close. C'est d'ailleurs ce que Iacub devrait commencer par entreprendre avant de se lancer dans ses envolées lyriques, dont le comble est qu'elles prétendent défendre la liberté de personnes atteintes dans leur dignité, au même titre que Séraphin Lampion, dans Tintin, prétend défendre l'élégance contre la vulgarité en nous révélant qu'il n'a rien contre la musique, mais qu'en pleine journée, il préfère franchement un bon demi.
Au passage, une énigme me taraude l'esprit : pourquoi une jeune femme charmante aurait-elle le droit de débiter des sornettes dans les médias en bénéficiant de plus de mansuétude qu'un homme à l'esprit sagace ? La beauté et un piquant accent sud-américain seraient-ils de plus pertinents arguments pour le grand public qu'une petite taille et des traits repoussants ? Curieuse discrimination, qui permet à Iacub de délirer, mais à dessein : car la duplication comme mode de fonctionnement de l'illusion autorise, comme par enchantement, la légalisation des dizaines de milliards d'euros que charrie la prostitution sur l'espace européen. A ce propos, Bruckner nous informe qu'il éprouva fut un temps le besoin de coucher moyennant finances avec des grosses - un fantasme comme un autre. C'est curieux, ce besoin d'étaler ses expériences sexuelles dans les médias. Tout le monde devrait se moquer du ridicule de pareilles déballages. Ou plutôt les prendre avec compassion. En effet, c'est une souffrance que d'être narcissique et de se sentir vide. Pourtant, là n'est pas l'essentiel ! Les fantasmes de M. Bruckner nous indiffèrent peut-être, mais ils illustrent les catégories du décalage et de la vacuité. C'est un peu comme si un styliste s'offusquait de la tenue débraillée et du manque de goût des personnes prostituées sur les trottoirs! Curieuse inclination qui consiste à se montrer incapable de saisir l'ordre des priorités et surtout à entrer en contact avec la souffrance d'autrui ! Comme par hasard, cette définition est aussi celle de la perversion. Et c'est sans doute du côte de la psychopathologie qu'il faut chercher les raisons de la légitimation de la prostitution comme activité indispensable : la perversion consiste bien à occulter la violence et la souffrance dont autrui est victime pour se focaliser sur mon indispensable et incompressible besoin de plaisir immédiat et narcissique. Des Juifs montent peut-être dans le wagon vers Daschau, mais, désolé, je n'ai plus de patates dans la cave pour lancer une bonne vieille goulasch. Voilà le vrai problème du moment. Il révèle l'absolue tragédie de l'existence humaine.
La banalisation de la prostitution appartient à la monstruosité quotidienne et ordinaire. Elle permet à beaucoup de vivre l'esprit tranquille, comme si les personnes prostituées ne souffraient pas. Elle touche au domaine du sexe, domaine tabou entre tous, dont la méconnaissance, voire l'effroi permettent d'aborder le sujet en toute méconnaissance et déformation. C'est pourquoi l'attitude se présentant comme volontiers subversive qui consiste à légitimer la prostitution ne fait qu'accompagner l'entreprise classique de manipulation à des fins de profit massif. La vraie subversion aujourd'hui consiste à défendre les personnes prostituées comme des victimes et à lutter contre les discours illusoires. Tout un programme dont le corrolaire n'est pas le retour à la pudibonderie et au moralisme, mais bel et bien à la libération du sexe. La vraie. Celle du réel et de la liberté bien comprise.

3 commentaires:

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Ce blog a beaucoup de convivialité et un accueil chaleureux
Merci beaucoup

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Merci beaucoup pour cette article comme toujours très intéressant .

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