Etre célèbre

Est-ce Céline qui a lancé la mode de l'écrivain scandaleux? Sûrement pas! Mais, à l'instar d'un Nabe, on remarque aujourd'hui une faune d'écrivains qui pensent visiblement que le scandale est un préalable indispensable à l'expression de sa valeur. Autrement dit, il suffit de débiter le maximum d'âneries pour obtenir ses titre à l'originalité et au génie. Auparavant, c'était l'inverse qui se produisait : on faisait scandale du fait de sa différence. C'est la différence entre le génie et la soif de génie. Nuance.
J'ai connu Nabe grâce à Paris dernière. Devant un Taddeï transi, qui goûte particulièrement le Journal intime, Nabe expliquait qu'il avait raté sa carrière d'écrivain alors qu'il avait vécu en face d'un écrivain appelé à devenir célèbre - Michel Houellebecq. Le spectateur demeurait sur une impression mitigée : Nabe voulait-il sous-entendre qu'il était le grand écrivain incompris de sa génération ou qu'il était passé à côté de sa vocation?
Sur le plateau de Ruquier, le malaise s'accrut : Nabe se fit corriger avec férocité et haine par le gauchiste bobo Miller. Ce n'est pas moi qui apprécierais ce psychanalyste grand bourgeois qui estime visiblement qu'afficher sa générosité extrême par des engagements politiques extrêmes suffit à démontrer la susdite générosité. Miller est l'intellectuel-animateur de son époque. Il possède le vernis culturel pour afficher son mépris de moralisateur souverain et sa hargne d'artiste raté. Miller, en bon pst, aurait-il compris qu'il jalousait la position de damné qu'occupe Nabe? Réglait-il des comptes inavouables à cause d'anciennes prises de bec télévisuelles?
Le départ précipité du plateau de Nabe me laissa sur une impression de malaise : on a beau détester certaines postures, les manières d'agir de Miller étaient marqués du sceau de l'irrespect. Quel est le plus grand fasciste, entre l'agresseur jouissant du consensus des médias et l'outrancier présentant ses Morceaux choisis? Et surtout : qui était Nabe? Un provocateur sans fond ou une authentique ordure?
Je ne sais toujours pas, mais à force de se réclamer de Céline (il n'est pas le seul!), il a fini par me pousser à ouvrir son journal, volume 2. Un certain Tohu-Bohu. Le seul que possède la Médiathèque de Toul. Avec son livre sur le 11 septembre, Une lueur d'espoir. Nabe s'y déclare admiratif de Ben Laden dans une prose insipide. Dans le deuxième extrait de son Journal, Nabe fait assaut de provocation, retranscrit ses soirées chez l'inénarrable Professeur Choron et détaille par le menu ses relations sexuelles avec sa femme. Le résultat? Mitigé, avec l'impression désagréable que Nabe, à force d'être anti tout est anti rien. C'est dingue le nombre de nihilistes que célèbre plus ou moins notre modernité. Car Miller en est persuadé, Nabe fait partie des écrivains-cultes dont la "diarrhée verbale" accouchera de la reconnaissance posthume. Sous-entendu : "salaud lumineux" - génie aussi.
Je suis loin d'approuver ce genre de position. Si Nabe était le nouveau Céline (cette répétition du même annonce déjà l'improbable, Céline étant par définition singulier et unique), Nabe ressemble à Céline par sa face obscure, des idées à courte vue (je ne dis pas que Nabe est un nazillon ou un raciste, mais que vociférer des énormités est sa distraction). En somme, Nabe écrit beaucoup - rien de décisif.
Nabe se plaint que les médias le boycottent, mais je ne suis pas certain que le lire vaille le coup. Le fait qu'il soit meilleur qu'Angot ou Beigbeder ne signifie rien de décisif. Eux sont à ranger dans la catégorie des frustrés à qui manquent une plume et des idées : Angot vocifère et vitupère, Beigbeder trublionne et plastronne. Ce sont des agitateurs symptomatiques du spectacle et de l'esprit de sérieux qui se sont emparés de notre époque. Fort heureusement, les cabotins ne dépasseront pas l'immédiateté du néant.
Et Nabe? Bien en dessous de Houellebecq. Peut-être ses outrances se proposent-elles de combler le vide qu'il cherche à dissiper? Nabe se proclame célinien. S'il a recopié le maître, c'est par les défauts - nullement par sa force. C'est ma seule certitude sur ce féru de jazz et de polémiques.